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West Side Story : De la fugue baroque à la fugue jazzy

Publié le 21 novembre 2017 — par Charlotte Landru-Chandès

© DR

La chanson « Cool » de West Side Story apporte un vent de modernité sur le Broadway des années 1960. Pourtant, à y regarder de plus près, sa structure emprunte une forme qui remonte… à la Renaissance !

Souvenez-vous du moment où, dans West Side Story, le gang des Jets se réunit dans un garage peu après la mort de son leader, Riff, tué par la bande des Sharks. Ensemble, ils cherchent à apaiser les tensions et préparent leur revanche. C’est dans ce contexte qu’Ice, leur nouveau chef, entonne les premières notes de « Cool ». Sous ses dissonances et ses rythmes irréguliers se cache tout simplement une fugue. Petit point sur cette forme musicale vénérable.

La fugue, qu’est-ce que c’est ?

La fugue est une composition à plusieurs voix (en général trois ou quatre) qui se superposent selon un procédé d’imitation. Cette superposition de mélodies autonomes s’appelle le contrepoint. Le compositeur Marcel Dupré, cité dans les Grands articles de l’Encyclopaedia Universalis, donne une définition très imagée de la fugue, dérivée du latin fuga (la fuite). Pour lui, il s’agit d’« une forme de composition musicale dont le thème, ou sujet, passant successivement dans toutes les voix, et dans diverses tonalités, semble sans cesse fuir ».

La fugue est toujours régie par un principe d’unité du point de vue de la tonalité, du thème et du rythme. Comme on peut le constater dans la vidéo ci-dessous, la fugue en do majeur du premier livre du Clavier bien tempéré de Johann Sebastian Bach se découpe en trois parties. Dans l’exposition, le thème initial (en rouge) est en do majeur. Il est repris par deux autres voix (en bleu) sous forme de réponse, cette fois-ci en sol majeur. Enfin, une quatrième partie le reproduit tel qu’il était au début du morceau. Lors du développement, le thème se retrouve d’une voix à l’autre, mais transformé par des variations au niveau du rythme ou des changements de tonalité. Enfin, le thème initial est rappelé en conclusion.

La fugue, d’où ça vient ?

À partir du XVIe siècle, on assiste au développement de la polyphonie et du contrepoint. Des formes musicales proches de la fugue comme le canon ou le ricercare prennent de l’importance. Dans le canon, les différentes voix chantent le thème en décalé, mais toujours selon un principe d’imitation très « rigoureuse » (Enyclopaedia Universalis). La charpente du ricercare, notamment très employé par le compositeur Girolamo Frescobaldi, est quant à elle plus libre.

La fugue connaît son apogée à l’époque baroque avec Johann Sebastian Bach (1685-1750) et son œuvre Le Clavier bien tempéré, qui rassemble deux livres composés de 24 préludes et fugues chacun (1722 et 1744). Tous les tons et demi-tons de la gamme y passent !

Bernstein opte pour une fugue « cool »

Comment se fait-il qu’une forme aussi stricte que la fugue se retrouve dans la musique de Bernstein ? Parce qu’il la détourne, comme l’ont fait les compositeurs classiques et romantiques avant lui, en particulier Beethoven dans sa Grande Fugue. On parle alors de fugato (style fugué) et non de fugue à proprement parler.

Chez Bernstein, pas de clavecin ou autre instrument baroque : la vedette revient aux cuivres et aux percussions ! « Cette chanson est peut-être la musique instrumentale la plus complexe entendue à Broadway jusqu’à maintenant », selon Nigel Simeone dans Leonard Bernstein, West Side Story. « Cool » est composée de trois voix libres qui correspondent à trois « thèmes » distincts. Le premier est fondé sur un motif de triton, c’est-à-dire un intervalle composé de trois tons qui peut sembler dissonant. En guise de contrepoint, le second est un thème dodécaphonique : la mélodie utilise les douze tons de la gamme. Enfin, la troisième voix est écrite en style be-bop (style de jazz fondé sur l’improvisation qui recourt à des harmonies dissonantes et à des tempos rapides). Ces trois « sessions » musicales se répondent tout au long de la chanson, jusqu’au retour du thème initial.

Charlotte Landru-Chandès

Charlotte Landru-Chandès  collabore à France Musique, La Lettre du Musicien et Classica. Elle conçoit des podcasts pour l'Opéra national de Paris et la Philharmonie de Paris.