Le violoncelliste s’interroge depuis plusieurs années sur l’empreinte creusée par l’homme sur terre, ciselée entre passé et avenir, nature et culture. Son Bach Project décliné sur les six continents depuis août 2018 s’appuie sur les Suites pour violoncelle, compagnes de toute une vie, pour étayer la discussion.
Convaincu de la force d’un engagement collectif et polymorphe, Yo-Yo Ma associe à chaque concert des intervenants extra-musicaux afin d’élargir les horizons de réflexion et d’éprouver concrètement le rôle et le pouvoir de la musique dans les enjeux sociétaux contemporains.
Vendredi 21 octobre, le planétologue Sylvain Bouley installe des télescopes sur la terrasse de la Philharmonie de Paris. Le public pourra, à l’issue du récital de Yo-Yo Ma, prolonger le voyage musical vers l’infini.
Yo-Yo Ma partage depuis plusieurs années son Bach Project dans le monde entier avec pour ambition d’ouvrir une discussion entre musique classique et sujets sociétaux. Comment vous êtes-vous rallié à ce projet d’envergure ?
Sylvain Bouley: En tant que planétologue, je travaille avec le cosmologiste Jean-Philippe Uzan, qui s’est intéressé tout particulièrement aux échanges de Yo-Yo Ma avec le public en marge des salles de concert. Il y a trouvé des similitudes avec ce que nous faisons pour valoriser l’astronomie auprès du grand public, qui consiste à faire naître une émotion chez des personnes qui ne sont pas spontanément sensibles au sujet. Jean-Philippe Uzan a pris contact avec les équipes de Yo-Yo Ma, qui lui ont proposé d’intervenir au cours d’un concert.
Ce projet fait-il résonner en vous une sensibilité de mélomane ?
S. B.: Astronomie et musique ont toujours pour moi fait bon ménage, le lien est ténu entre les deux. J’ai grandi dans la musique puisque mon père était directeur de conservatoire et ma mère enseignait la musique en collège. J’ai moi-même fait de la harpe pendant dix ans. Et puis je m’occupe aujourd’hui de la Société astronomique de France, créée par Camille Flammarion, qui était ami avec Camille Saint-Saëns. Je suis donc très heureux de participer à ce projet.
Que proposez-vous à la Philharmonie de Paris le soir du concert ?
S. B.: Notre proposition souhaitait impliquer des jeunes. Nous collaborons depuis plusieurs années avec l’association France Fraternités dans une démarche pédagogique originale intitulée «Montreurs/Montreuses d’étoiles». Nous formons des adolescents migrants et réfugiés à l’astronomie afin qu’ils aillent ensuite à leur tour éveiller la curiosité scientifique du grand public, dans la rue. Ils deviennent ainsi des «sachants», des «montreurs de lune». Ils sont associés au projet de la Philharmonie: ils assisteront au concert, participeront à l’installation des quatre télescopes orientés vers Saturne et Jupiter, et seront acteurs avec nous de cet après-concert.
Pourquoi avez-vous choisi de cibler ces deux planètes ?
S. B.: Nous aurions aimé montrer la Lune, très populaire, mais elle ne sera pas visible le 21 octobre. Nous reportons donc nos télescopes sur Saturne et Jupiter, qui sont deux grosses planètes très différentes l’une de l’autre, aisément visibles en cette période. Elles ont une personnalité forte car elles se livrent dans tous leurs détails, contrairement à d’autres dont la perception est moins précise. Le public pourra contempler les bandes nuageuses de Jupiter, les satellites qui l’entourent, les anneaux de Saturne. Au-delà de l’observation, nous souhaitons offrir l’opportunité à tout un chacun de se laisser surprendre par la beauté de ces planètes, et créer une émotion. Mettre l’œil à l’oculaire ouvre l’accès à un monde parallèle: ces planètes, situées à des milliers d’années de nous, deviennent tout à coup présentes et réelles, c’est stupéfiant. L’expérience est similaire à celle du concert, qui transporte ailleurs. Écouter les Suites de Bach ou observer les planètes est la promesse d’un moment hors du commun, qui sera singulier pour chacun. C’est ce voyage que nous proposons, qui offre l’opportunité de se recentrer sur soi tout en étant subjugué par ce qui nous dépasse. L’astronomie est, comme la musique, un art qui nous permet de goûter à la beauté sans nécessité d’être connaisseur.
On observe les planètes, mais les écoute-t-on aussi ?
S. B.: Sur Mars, un sismomètre a récemment enregistré des secousses, ce qui a permis de reproduire dans sa dimension sonore un impact à la surface de la planète. On sait également reconstituer le son d’une étoile filante. Il faut rappeler que notre perception du son vient de la vibration de l’air, directement liée à la pression atmosphérique de notre planète. Écouter les Suites de Bach sur Jupiter n’aurait donc rien à voir avec ce que nous en percevons sur Terre.
Propos recueillis par Claire Boisteau
CONCERT. Vendredi 21 octobre, à 20 h, à la Philharmonie de Paris, The Bach Project, intégrale des Suites pour violoncelle seul de Bach, Yo-Yo Ma (violoncelle). Télescopes mis à disposition sur la terrasse de la Philharmonie et rencontre avec des membres de la Société astronomique de France à l’issue du concert.
CONFÉRENCE DÉBAT AVEC MUSIQUE. Samedi 22 octobre, à 17 h, à la Maison de l’Unesco, à Paris, « Une invitation à créer l’avenir », Yo-Yo Ma (violoncelle), Matthias Maurer (astronaute de l’Agence spatiale européenne) et invités.