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Zombie Zombie & Philippe Druillet : la science-fiction en sons et lumières

Publié le 27 avril 2023 — par Pascal Bertin

— Philippe Druillet & Zombie Zombie - © Philippe Druillet

Le trio électro kraut parisien et le dessinateur de bande dessinée étendent leur collaboration à un spectacle à la hauteur de leurs imaginaires : loin dans les étoiles.
— Zombie Zombie - Nusquam et Ubique

D’un côté, un groupe de la scène indépendante parisienne, qui cultive un art rétro-futuriste des musiques électroniques depuis une quinzaine d’années. De l’autre, l’un des grands noms français de la bande dessinée de science-fiction, actif depuis les années 60, auteur de nombreux albums de référence, cofondateur de la maison d’édition Les Humanoïdes Associés et du magazine Métal Hurlant. Déjà mise à profit pour des visuels de disques, la rencontre entre Zombie Zombie et Philippe Druillet ne s’était pas encore concrétisée en public. La voilà en chair, en os, en monstres et en vaisseaux spatiaux dans une ambitieuse création scénique intitulée Un Voyage halluciné.

Tout a démarré il y a quelques années par la commande de la Philharmonie de Paris à Zombie Zombie d’un spectacle dans le cadre du week-end thématique « Futurismes ». Un choix évident à en juger par le nom du groupe et les penchants tant naturels que surnaturels de ses deux membres fondateurs. Avec ce double zombie, le duo annonçait dès sa naissance la couleur de sa musique (sombre, vive ou psychédélique), sa portée répétitive et sa valeur tant cinégénique, cinéphile que cinétique. Cinégénique car chacune de ses créations électroniques a irrémédiablement fait naître le flot d’images fantasmées qu’elle serait censée accompagner. Cinéphile car le groupe connaît ses classiques du fantastique et de la science-fiction, lui qui a maintes fois rendu hommage au virtuose John Carpenter, entre autres sur la longueur d’un album en 2010. Cinétique enfin, car par sa constitution initiale – réunion de Cosmic Néman, ex-batteur du groupe folk Herman Düne, et d’Étienne Jaumet, saxophoniste et claviériste de talent – , Zombie Zombie dispose d’une force de frappe ascensionnelle tant en studio que sur scène où ses envolées instrumentales embarquent régulièrement dans de grands moments de transe.

— Philippe Druillet & Zombie Zombie - © Philippe Druillet

Le cinéma leur a logiquement ouvert les bras, Zombie Zombie signant deux bandes originales de films, Irréprochable (2016) et L’Heure de la sortie (2018), intercalées en douceur dans une discographie inaugurée en 2006 et intégralement parue sur le label électro parisien Versatile. Jusqu’à Vae Vobis, album sorti au printemps 2022, premier du groupe sur Born Bad Records, un autre indépendant de la capitale à l’esthétique plus éclectique (Frustration, Villejuif Underground, Forever Pavot, Star Feminine Band…). Une maison ouverte à tous les vents, juste parfaite pour un groupe qui refuse des étiquettes qu’on serait bien en peine de lui trouver. Tout juste peut-on déceler chez lui des influences parfaitement digérées qui le mènent vers des intentions à la croisée de la synthwave, du krautrock, de l’ambient et de l’électro cosmique.

Et ne comptez pas sur Vae Vobis pour préciser la moindre piste car l’album se régale à varier les plaisirs. Là où Zombie Zombie avait habitué à une économie de mots, Vae Vobis se singularise par de nombreux moments chantés, tantôt inscrit dans une sorte de prolongement d’une french touch à la Air/Daft Punk avec l’aide d’un vocoder (War is coming), tantôt multipliant des textes en latin confiés à des chœurs où s’illustrent Angèle Chemin, soprano rompue au contemporain barré, et Laura Etchegoyhen, qui avait déjà dirigé les chœurs sur la B.O. de L’Heure de la sortie. « Modus Operandi » donne la sensation d’entendre un Kraftwerk en mode gothique là où « Nusquam et Ubique » laisse imaginer une chorale disco démoniaque, telle le Magma de Christian Vander sous acide, et « Ring Modulus » un Ennio Morricone perdu sur Mars. L’album se clôt sur les divagations vocales de « Consortium », confirmant un renouvellement rare pour un groupe à la formule aussi balisée, même si Zombie Zombie s’est élargi à un trio depuis 2017 en intégrant le musicien Jérôme Lorichon, alias Lori Schönberg, autrefois aperçu au sein des projets Berg Sans Nipple, Flop, ou Purr, pour lui confier percussions, claviers, trompette et vocoder.

Infiniment variée, cette œuvre est d’autant plus emballante qu’elle vient accompagnée d’un visuel imaginé par Philippe Druillet et son associé Dimitri Avramoglou, eux qui avaient déjà conçu celui de l’album précédent, Livity, et ont enchainé avec la réalisation de l’incroyable vidéo de « Nusquam et Ubique ». Une fois l’épidémie de Covid passée, leur collaboration a enfin pu se porter sur la réponse à la commande de la Philharmonie. Druillet et Avramoglou se sont fendus de l’habillage visuel du spectacle du trio, dans la grande tradition futuriste et délirante des travaux de Druillet. Sur scène, tandis que Dimitri Avramoglou se charge en direct de l’animation des images du maître, François Decourbe, spécialiste des lumières, dirige un light show psychédélique et analogique. Résultat : Un Voyage halluciné riche visuellement, mais aussi musicalement puisque Zombie Zombie est pour l’occasion entouré des chanteuses lyriques Laura Etchegoyhen, Lena Woods et Louise Botbol. Une formidable odyssée sonore et visuelle, qui explore les codes et les imaginaires de la science-fiction d’hier et de demain.

Pascal Bertin

Journaliste et auteur, Pascal Bertin est le collaborateur régulier de Libération, Tsugi, Getup Radio, Vice France, ainsi que de la SACEM, du Printemps de Bourges et du CDN de Reims.