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« Aussi précieux que sa propre vie » - La petite histoire d’un grand koto

Publié le 24 août 2023 — par Alexandre Girard-Muscagorry

— Yasujiro Ogura, koto, vers 1780 : détail du décor floral des chevalets mobiles - © Jean-Marc Anglès

Parmi sa riche collection d’instruments non-européens, le Musée de la musique conserve un rare koto japonais du XVIIIe siècle. En prévision du Salon que lui consacre la Philharmonie de Paris le 23 septembre, retour sur l’histoire de ce prestigieux instrument.
— Etsuko Chida jouant le koto (E.962.1.1) du Musée de la musique

En 1962, le musée instrumental du Conservatoire (l’ancêtre du Musée de la musique) reçoit l’instrument en don de la part de Sahei Mizuno, un collectionneur et facteur de koto réputé. Alors âgé de 71 ans, celui-ci souhaite offrir l’instrument le plus précieux de sa collection à un musée français en signe d’amitié franco-japonaise. Dans le discours qu’il prononce lors de la réception organisée à Paris en son honneur, Sahei Mizuno insiste sur les points communs entre les deux pays: «Nous connaissons la France comme une grande nation sachant toujours faire fleurir de nouvelles fleurs culturelles sur les traditions de la plus ancienne civilisation de l’Europe et nous lui témoignons un profond respect et une sympathie naturelle, parce que nous sommes aussi un peuple qui a su conserver, dans un coin de l’Extrême-Orient, une vieille civilisation». Asahi Shinbun, l’un des grands quotidiens nationaux japonais rend compte en des termes tout aussi élogieux du départ vers Paris de l’instrument, «chargé du rêve et des vœux de son ancien propriétaire». Selon le journal, ce koto est, aux yeux de Sahei Mizuno, «aussi cher que ses propres enfants», «aussi précieux que sa propre vie» et constitue l’un des plus beaux instruments de musique du pays, tant du point de vue de l’esthétique que du son.

— La tête du koto (E.962.1.1) ornée d’un délicat décor végétal incrusté - © Claude Germain

De fait, c’est une pièce tout à fait exceptionnelle qui rejoint le musée instrumental, accompagné de tous ses accessoires (chevalets, pupitre, coussin en brocart…) soigneusement rangés dans de multiples boites. Taillé dans un très beau bois de paulownia (kiri) aux veines ondoyantes, l’instrument est orné sur la tête et les côtés de la caisse de délicats motifs en forme de fougères, de pissenlits, de prêles, de papillons, découpés dans de petits morceaux d’or, de corail, de jade, d’ivoire, d’argent, d’ambre et de nacre. Les chevalets qui se glissent sous chacune des treize cordes de soie sont, quant à eux, décorés de motifs floraux à l’or et terminés à leur extrémité par un morceau d’ivoire. Ce koto de grande qualité serait l’œuvre de Tasuke II Kikuoka (dit Yasujiro Ogura) qui, selon le donateur, l’aurait fabriqué vers 1780, en collaboration avec le maître Dōshō pour la réalisation du décor. 

Originaire de Chine, le koto a sans doute été introduit au Japon aux alentours du VIIIe siècle, durant la période Nara. Joué à l’origine dans le cadre de l’orchestre de cour Gagaku, le koto est aussi pratiqué au sein des milieux aisés comme instrument soliste ou au sein de petits ensembles comprenant un luth shamisen et une flûte shakuhachi. Au regard de son extrême raffinement, l’exemplaire du Musée de la musique a sans doute moins appartenu à un musicien professionnel qu’à une personne de l’aristocratie, comme le suggère également le blason en forme de fleur de paulownia peint sur l’étui. Le concert du 23 septembre 2023 sera ainsi l’occasion d’apprécier l’élégance de cet instrument et d’explorer toutes ses qualités sonores dans un répertoire de suites vocales intimistes proposées par la musicienne Etsuko Chida.