Parmi les soldats mobilisés pendant la Grande Guerre, nombreux sont les musiciens, amateurs ou professionnels, cherchant à poursuivre leur pratique de la musique. La facture instrumentale « de fortune » qui se développe au front donne alors lieu à des créations insolites.
Le « Poilu » de Maurice Maréchal
Maurice Maréchal et son violoncelle de campagne « Le Poilu » - Voir plus de photos
Violoncelliste français né en 1892 à Dijon, Maurice Maréchal entre au Conservatoire de Paris en 1905 et y remporte son premier prix en 1911. Mobilisé dès le début de la Première Guerre mondiale comme agent de liaison dans le 74e régiment d’infanterie, il rejoint ensuite le 274e régiment. Très vite, il ressent le besoin d’entendre et de jouer de la musique pendant les moments de répit. Les paquets de « l’arrière » qui lui parviennent contiennent cigarettes et sonates de Bach, Mendelssohn, Chopin ou Boëllmann. Il lui faut alors acquérir un instrument.
En février 1915, Maurice Maréchal loue non sans difficulté un violoncelle et une poignée de partitions à Reims, les commerçants étant peu enclins à louer du matériel à des soldats en partance pour le front. Quelques mois plus tard, en juin 1915, le violoncelle dit « Poilu » est confectionné à partir des morceaux d’une porte et d’une caisse de munitions, le chevalet et le sillet ayant été expédiés au front par la mère de Maréchal. La facture de l’instrument est réalisée par deux soldats menuisiers dans le civil : Antoine Neyen et Albert Plicque.
Inscription découverte à l’intérieur du violon : « Neyen Antoine - 195, rue de Crimée - 19e Paris - 15 juin 1915 - Souvenir »
L’inscription est prémonitoire, tous deux tombent au combat peu de temps après, à l’automne 1915.
Maurice Maréchal joue dès que l’occasion se présente et fait de nombreuses rencontres grâce à son « Poilu », en particulier celle du violoniste Lucien Durosoir et du musicien, compositeur et chef d’orchestre André Caplet. Tous trois entrent en février 2016 en subsistance dans la 5e division du Général Mangin. Mélomane, ce dernier souhaite former un ensemble de musique de chambre dédié à son état-major. La musique joue alors un rôle salvateur pour ces trois soldats : « Je peux dire que mon violon m’a sauvé la vie », confesse Durosoir à Maréchal. Ceux-ci sont en effet tenus à l’écart du cœur des combats et se produisent quasi quotidiennement devant de nombreux gradés. Le « Poilu » ne laisse personne indifférent : son aspect amuse beaucoup Mangin et « ferait le désespoir des luthiers », d’après Lucien Durosoir. Les maréchaux Joffre et Pétain, les généraux Foch, Mangin et Gouraud signent l’instrument.
Un an plus tard, le 17 janvier 1917, Maurice Maréchal et André Caplet jouent devant Claude Debussy sa Sonate pour violoncelle et piano, qu’ils ont travaillée pendant le conflit.
Copie du violoncelle de Maurice Maréchal, réalisée par le luthier Jean-Louis Prochasson
Le violon de campagne de René Moreau
Violon de campagne de René Moreau - Voir plus de photos
Né en 1883, le violoniste René Moreau suit les enseignements de Guy Ropartz au Conservatoire de Nancy. Pendant la Première Guerre mondiale, il officie comme musicien et brancardier dans le 152e régiment d’infanterie. Comme Maurice Maréchal, lui aussi cherche à se procurer un instrument.
Son violon de campagne est construit fin 1916 au cœur des Vosges alsaciennes, dans les tranchées, à partir d’une boîte de madeleines de Commercy, d’une peau de chèvre et d’un couteau de poche. L’archet est réalisé avec les crins de la queue du cheval de son colonel. Malgré la précarité des conditions dans lesquelles l’instrument voit le jour, sa facture révèle une ornementation riche, dans une esthétique Art nouveau. La volute du violon est surmontée d’une crête qui rappelle la queue d’un hippocampe ou une fougère repliée, tandis que des feuilles de chêne ornent la table et le fond de l’instrument.
Volute du violon de René Moreau
Si son aspect est très travaillé, le violon de campagne de René Moreau n’en est pas moins fonctionnel. Il serait même à l’origine d’une trêve entre Français et Allemands. Un soir, pendant près de 30 minutes, perché sur une petite éminence au-dessus de sa tranchée et face à l’ennemi, René Moreau interprète la Méditation de Thaïs de Jules Massenet. Le lendemain, on entend entre autres des notes d’harmonica s’élever des tranchées adverses, sans qu’aucun tir ne vienne rompre cette trêve spontanée.
Violon Curt Oltzscher
De l’autre côté du front, la facture instrumentale de guerre se tourne principalement vers les vents et les percussions. Les instruments à cordes réalisés par les Allemands n’étant pas légion, le violon Curt Oltzscher fait office d’exception.
Prisonnier de guerre, le soldat Curt Oltzscher est détenu à Romans, dans la Drôme. Bien qu’il ne soit vraisemblablement pas luthier (aucun autre instrument ne lui est attribué), la fabrication d’un violon lui est sans doute apparue comme un excellent moyen de tromper l’ennui. La conception du violon Oltzscher est simple, mais soignée : s’y mêlent des éléments de lutherie conventionnelle (chevilles et cordier sont des pièces standard produites en série pour les violons) et du bois de récupération sculpté. Son esthétique est éloignée des canons de la lutherie du début du XXe siècle, qui s’inspire alors principalement des modèles crémonais d’avant 1750. Ce design « prototype » traduit soit une volonté de se démarquer de la facture traditionnelle, soit une connaissance limitée de celle-ci.
Concert Poilu sur instruments d'infortune, donné le 14 novembre 2014 à la Cité de la musique
La nouvelle vitrine du Musée de la musique
Après sa présentation dans plusieurs expositions temporaires, notamment à Péronne, Mirecourt et Meaux, le « Poilu » de Maurice Maréchal est aujourd’hui de retour à Paris dans une nouvelle vitrine du Musée de la musique, aux côtés des violons de campagne de René Moreau et Curt Oltzscher, et de divers documents d’époque.