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B.A.C.H., ou l’art des signatures musicales

Publié le 06 mars 2019 — par Louise Boisselier

© DR

Quelle chance de s’appeler Bach lorsqu’on est musicien ! Le célèbre Johann Sebastian fait partie de ces rares personnes à porter un nom entièrement transposable en musique. Quatre lettres puis quatre notes qui émaillent son œuvre avant que les générations suivantes ne s’en emparent. D’une signature sonore, le B.A.C.H. s’érige alors en véritable symbole artistique.  

Des Bach au B.A.C.H.

La-si-do--mi-fa-sol : A-B-C-D-E-F-G. Aux syllabes latines, le solfège anglophone préfère les lettres de l’alphabet. En Allemagne, quelques subtilités s’adjoignent à ce principe : le B désigne le si bémol, le H le si bécarre et un simple S remplace souvent le Es du mi bémol… Dès lors, les compositeurs disposent de neuf sons à partir desquels coder noms, initiales ou autres messages subliminaux. Johann Sebastian Bach est le premier de sa lignée à dissimuler dans son œuvre le motif tiré de son nom : B.A.C.H., ou si bémol-la-do-si bécarre. On le découvre dès la Sonate BWV 966, dans diverses pièces religieuses ou encore dans L’Art de la fugue1. Inachevé, ce cycle s’interrompt symboliquement avec l’apparition du fameux motif, énoncé comme troisième sujet de l’ultime fugue…

— Jan Sebastian BACH, Die Kunst der Fuge, Kontrapunkt 19 (Capella Cracoviensis)

On pourrait déceler dans ce cryptage récurrent un certain narcissisme. Toutefois, l’usage que fait Bach de sa signature revient plutôt à signaler sa soumission devant Dieu, du moins dans sa musique religieuse (il signait par ailleurs ses œuvres du sigle SDG, pour Soli Deo Gloria). À sa suite, sa descendance s’approprie le motif et, en 1732, un cousin légèrement arrogant se targue du fait que « tous ceux qui ont porté ce nom ont été, dit-on, aussi loin qu’il est connu, très dévoués à la musique, ce qui peut-être vient du fait que même les lettres b-a-c-h sont très mélodieuses dans cet ordre »2.

 

Postérité du B.A.C.H.

La fortune du motif s’accroît paradoxalement après la mort de son inventeur. On le voit passer chez Mozart ou Beethoven, on savoure son application ludique chez Borodine ou Poulenc, on le découvre plus récemment dans les pages d’Aperghis ou Schnittke. Sa popularité culmine chez les romantiques allemands, qui font du Cantor de Leipzig le modèle de la culture (voire de la suprématie) germanique ; en citant le motif, ils revendiquent l’héritage de Bach, admiré notamment pour sa maîtrise du contrepoint. En référence à ce dernier aspect, le B.A.C.H. sert souvent de sujet de fugue, tandis que son apparition prolifère dans les œuvres pour orgue : le Prélude et Fugue sur B.A.C.H. de Liszt en propose une assimilation particulièrement brillante.

— Franz Liszt, Prélude et Fugue sur B.A.C.H. - Jean-Baptiste Dupont, orgue

 

Quelques années plus tard, les compositeurs de la Seconde École de Vienne (Schönberg, Webern et Berg) adoptent eux aussi son contour sinueux, intégrant le motif au langage sériel nouvellement élaboré.

À la postérité du B.A.C.H. se joint une fascination des musiciens pour ce principe des lettres mélodieuses. De nouveaux motifs sont créés, souvent à partir d’initiales : Chostakovitch signe avec les notes D.S.C.H., A.S. désigne Schönberg, A.B. Berg… Schumann porte ce procédé à son comble, parsemant ses pièces de messages cryptés : dans son Lied Waldsgespräch, destiné à sa future femme Clara, les basses mi-si-mi dessinent le terme allemand EHE (mariage) et la partie centrale recourt au ton d’ut majeur, en référence au C associé à Clara. Une codification née de Bach qui perdure pour allier au plaisir des notes celui des mots et de leurs profondeurs symboliques.

— Matthis Goerne - Liederkreis ,OP 39 " Waldgespräch "

 

1 Pour une liste exhaustive, consulter l’article « Les notes b-a-c-h » de Jean-François Boukobza, in Musique, mémoire et création, Éditions de la Cité de la musique, 2012.

2 Johann Georg Walther (ou « Monsieur Bach de Leipzig »), Dictionnaire de musique, 1732.