Novembre 1964, San Francisco : une petite quinzaine d’instrumentistes, dont Steve Reich, crée la pièce de Terry Riley In C. Une partition d’une seule page, sans indication d’instrumentation, présente les 53 motifs qui doivent être interprétés par les musiciens (dont le nombre n’est pas défini) sur une pulsation inamovible. Chacun avance à son propre rythme dans l’enchaînement des motifs qu’il répète plus ou moins longtemps, tout en veillant à éviter un décalage trop important avec ses congénères. Suivant les choix, la performance de l’œuvre dure de quelques minutes à plusieurs heures.
L’enregistrement original de la pièce, datant de 1968, est récemment entré au National Recording Registry de la Bibliothèque du Congrès des États-Unis, qui réunit des enregistrements jugés significatifs selon des critères culturels, historiques ou esthétiques. Aussi important soit-il, celui-ci ne reflète pour autant que l’un des visages possibles de l’ouvrage, dont le caractère « ouvert » est l’une des données constitutives : « In C est un chef-d’œuvre non pas en tant que tel mais pour ce qu’il fait advenir », écrit Robert Carl dans la monographie qu’il lui consacre. Toujours aujourd’hui l’œuvre la plus connue du compositeur, elle est considérée comme la partition fondatrice du mouvement minimaliste. Sa remise en question des fonctionnements du langage musical ouvre une voie nouvelle aussi bien dans le sérail de la musique savante qu’en dehors.
La programmation thématique que consacre la Philharmonie, à l’occasion des soixante ans de sa naissance, à cette œuvre sans cesse renouvelée en envisage fort logiquement les résurgences et prolongements. Le DJ Joakim, fondateur du label Tigersushi et l’un des acteurs majeurs de la scène électronique française, offre une relecture façonnée par son esprit curieux et son sens de l’hybridation musicale. En réponse, Erwan Keravec propose le lendemain une version pour vingt musiciens, sonneurs de cornemuses et bombardes, créant un bagad contemporain dans lequel l’auditeur hypnotisé se retrouve comme immergé. Sasha Waltz élabore sa chorégraphie colorée en écho au processus artistique de la pièce de Riley, lui conférant par là une portée politique : « il s’agit de prendre des décisions seul.e et ensemble, de se connecter à l’autre, d’écouter, de se soutenir, de grandir ensemble, de se laisser de l’espace, de ressentir ce qui est nécessaire », explique-t-elle.