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Emmanuelle Bertrand apprivoise le « Poilu »

Publié le 25 octobre 2021 — par Emmanuelle Bertrand

— Emmanuelle Bertrand - © Jean-Baptiste Millot

En  jouant le fac-similé du violoncelle fabriqué en 1915 pour Maurice Maréchal, Emmanuelle Bertrand redonne voix à cet emblème de la lutherie de fortune.  En écho à ce concert, Charles d'Hérouville propose la première biographie du
« Poilu » , l'œuvre des luthiers Antoine Neyen et Albert Plicque, qui vient de paraître aux Éditions de la Philharmonie.

 

— Violoncelle de guerre : Emmanuelle Bertrand / Charles d'Hérouville

 

Je n’oublierai jamais ce jour de 2009 où, pour la première fois, j’ai pu approcher le « Poilu », ce violoncelle légendaire qui sommeillait depuis plusieurs décennies dans la réserve du Musée de la musique de Paris. Son histoire m’accompagnait depuis mes jeunes années de formation au Conservatoire. Il avait été conçu pour mon « grand-père du violoncelle », Maurice Maréchal, le maître de mon maître Jean Deplace, et je rêvais d’en entendre la sonorité, certaine qu’elle portait l’empreinte des heures qui l’avaient vu naître et celle des secrets d’amitiés nouées dans l’adversité. L’attachement de Maurice Maréchal à ce violoncelle attestait son rôle essentiel. Jusqu’à la fin de la vie du musicien, dans les années 1960, l’instrument « trônait » dans son salon, debout dans l’angle de la pièce où chacun de ses élèves pouvait l’observer lorsqu’il suivait un cours particulier.
Le jour de cette rencontre donc, je découvrais avec émotion le « Poilu » dans l’espoir de le jouer lors d’un concert à la Cité de la musique, où Emmanuel Hondré m’avait donné carte blanche. Malheureusement, le temps l’avait considérablement altéré et l’instrument se trouvait fragilisé par de nombreuses fractures. Retendre les cordes était inenvisageable. Son chant restait un mystère.
Grâce au luthier Jean-Louis Prochasson, qui accepta sans hésiter d’en réaliser un fac-similé, de nombreuses énigmes furent résolues. Nous pouvions retracer chacune des étapes de fabrication réalisées par les soldats Neyen et Plicque en 1915 et ainsi mettre nos pas dans les leurs. De cette expérience naissait une copie parfaite de l’instrument dont la sonorité était conforme en tous points aux propos de Maurice Maréchal : « Il a un son de viole de gambe mais il ne faut pas le forcer, mais le mener doucement sinon il casse » (Lettre à ses parents du 1er novembre 1915) – un instrument au son velouté, peu puissant, doté d’une très grande densité de timbre. Il m’a fallu l’apprivoiser et résister à la tentation de vouloir le « faire sonner » davantage. J’ai souvent eu l’impression, en le jouant, qu’il livrait ses secrets en confidence.

— Emmanuelle Bertrand en concert à la Cité de la musique , Paris, 9 novembre 2018. - © Charles d'Hérouville

 

Comme Maurice Maréchal, Antoine Neyen et Albert Plicque sont dans mes pensées chaque fois que je pose les mains sur l’instrument. Aujourd’hui, grâce à l’engagement passionné et généreux de Charles d’Hérouville et à son minutieux travail d’enquête, ces deux soldats retrouvent un prénom. Tous deux ont conçu le « Poilu » quelques semaines avant de perdre la vie au combat. À travers l’histoire de cet instrument singulier, ce livre leur offre un tombeau et restitue leurs visages.


 

Charles d'Hérouville, Le Violoncelle Neyen et Plicque : mémoire d’un Poilu, Paris, Éditions de la Philharmonie, coll. « Musée de la musique », 2021.

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Emmanuelle Bertrand