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Il était une fois… les contes de Grimm en musique

Publié le 16 décembre 2016 — par Laurent Vilarem

© Domaine public

Maisons de pain d’épices, vilaines sorcières, sortilèges en tous genres, belles princesses captives et autres brigades de nains, les contes des frères Grimm ont fourni matière à de nombreuses œuvres musicales. Petit tour d’horizon de ces contes mis en musique.

Il était une fois… deux frères qui aimaient les vieilles histoires. L’ainé, Jacob, et le cadet, Wilhelm, d’un an plus jeune à peine, se promenaient à travers toute l’Allemagne pour recueillir des contes de fées. Le 20 décembre 1812 paraissait le premier ouvrage de leur travail : les Kinder und Hausmärchen (Contes de l’enfance et du foyer). Le succès fut foudroyant. Traduits aujourd’hui dans plus de 160 langues, les Contes des Frères Grimm ont captivé plusieurs générations avec des histoires ancestrales qui, sans eux, ne seraient pas parvenues jusqu’à nous. Leur travail pionnier de documentation a bien sûr inspiré quantité d’écrivains, d’artistes et de… compositeurs.

Hänsel et Gretel d’Humperdinck (1891)

C’est l’opéra féérique par excellence. Celui que les jeunes allemands entendent dès leur plus jeune âge. Créé en 1893 par Richard Strauss à Weimar, l’opéra sera redonné à Hambourg par Gustav Mahler. Il faudra attendre 1900 pour que l’ouvrage soit créé en France sous la direction d’André Messager. Depuis, l’opéra d’Engelbert Humperdinck a conquis toutes les scènes du monde, notamment lors des fêtes de fin d’année.

— "Hänsel und Gretel" - Humperdinck

 

 

Quel est le secret universel attaché à une œuvre pourtant typiquement allemande ? Tout d’abord une histoire captivante qui enchaîne les péripéties magiques (la maison de pain d’épices !), puis une musique qui mêle inspiration populaire et orchestration influencée par le maître d’Humperdinck, Richard Wagner. Pas étonnant que les plus grandes chanteuses de l’histoire – Elisabeth Schwarzkopf, Christa Ludwig, Lucia Popp ou Kiri Te Kanawa – aient voulu incarner les deux enfants perdus du Conte de Grimm !

Cendrillon

Le Cendrillon de Perrault ou celle des Grimm ? En réalité, la question ne se pose pas en ces termes. Il existe près de 500 versions différentes du conte, dont certaines remontent à l’Antiquité. On sait également que la première version « moderne » fut imprimée à Naples grâce à Giambattista Basile en 1636. La version de Grimm est sensiblement plus cruelle que celle de Perrault, et son apparition en 1812 correspond à la résurgence du conte dans toute l’Europe suite à la création de Cendrillon, l’opéra-féerie de Nicolas Isouard (1810) qui allait influencer Rossini. Dans La Cenerentola (1816), il n’y a certes pas de citrouille ni de carrosse, et la pantoufle est remplacée par un bracelet, mais Rossini adapte le conte aux codes de l’opéra bouffe pour en faire un chef-d’œuvre de fantaisie.

Au tournant du vingtième siècle, Jules Massenet réalisera la version la plus ambitieuse du répertoire avec sa Cendrillon, bientôt suivi de Gustav Holst, Pauline Viardot, Ermanno Wolf-Ferrari ou Peter Maxwell Davies. Côté danse, le ballet de Johann Strauss replace Aschenputtel (Cendrillon en allemand) dans un grand magasin Art Nouveau. Mais de toutes les versions du conte, impossible de résister à l’envie de faire entendre celle du ballet de Prokofiev (1945), avec sa langoureuse danse de minuit qui s’achève sur les douze terrifiants coups de l’horloge, jusqu’à l’éblouissante transformation où le sort s’évanouit.

La Belle au bois dormant

Là encore, Perrault précède la version des Grimm, et avant lui, Giambattista Basile au début du dix-septième siècle. De tous les contes de Grimm, La Belle au bois dormant est certainement le plus « français », et c’est la raison pour laquelle les frères l’écartèrent tout d’abord de leurs recueils avant de le réintégrer, suite à la découverte de variantes plus nordiques.

Laissons donc de côté la belle Pavane de la belle au bois Dormant de Ma mère l’Oye de Ravel (1910) ou l’opéra de Respighi (1923) directement inspirés par Perrault, pour nous concentrer sur les Dornröschen (La belle au bois dormant en allemand) de la tradition germanique. Il existe un opéra d’Humperdinck (1902), une vaste cantate de Brice Pauset (2012) ou encore une pièce (2015) que le compositeur suisse Michael Jarrell composa en hommage au violon d’Isabelle Faust appelé « Dörnroschen », un Stradivarius de 1704 qui dormit durant plusieurs décennies dans un château oublié…

Mais qui dit Belle au bois dormant dit bien sûr valse du ballet de Tchaïkovski (1890). Car dès les premières mesures, c’est l’enfance de tout un chacun qui remonte…

Blanche-Neige

Cette fois-ci, pas de doute : Blanche-Neige (ou Schneewitchen en allemand) est bien une redécouverte des frères Grimm. Paru dès leur tout premier ouvrage de 1812, il s’agit d’un conte authentiquement germanique. Que ceux qui accusent le film de Disney d’avoir affadi l’histoire originelle blâment également les frères allemands puisque ces derniers n’eurent de cesse d’adoucir un conte en tous points pervers. Dans la première version, la méchante belle-mère n’est autre que la mère de l’héroïne, on compte plusieurs tentatives de meurtre et un châtiment de la reine particulièrement brutal (Blanche-Neige doit porter des chaussons brûlants jusqu’à tomber morte par terre !).

Premier d’une longue liste de compositeurs, Carl Reinecke écrivit un conte musical en neuf mouvements pour deux voix et chœur féminin en 1874. Spécialiste des Grimm, Engelbert Humperdinck y ira bien entendu de sa version en 1888. Plus près de nous, le compositeur suisse Heinz Holliger a créé à Zurich en 1998 un très vaste et très sombre opéra d’après l’interprétation psychanalytique du conte par l’écrivain Robert Walser (il n’y a pas de nains !). N’oublions pas non plus le ballet d’Angelin Preljocaj en 2008 qui utilise la musique de Mahler (à noter que le compositeur autrichien s’est servi d’un conte de Grimm dans Das klagende Lied), ou encore l’opéra de Markus Felix Lange qui a vu de nombreuses reprises en France depuis sa création à Cologne en 2011.

Raiponce

Peu connu en France, ce conte (Rapunzel en version originale) a été popularisé par le récent film de Walt Disney. Paru dans le premier volume du recueil des frères Grimm, le conte raconte l’histoire d’une jeune fille aux longs cheveux d’or enfermée dans une tour par une méchante sorcière…

Hormis Rapunzel, le premier opéra de Lou Harrison (1953), le personnage apparaît souvent dans des opéras qui mélangent de nombreux personnages féériques. Ainsi en va-t-il de l’opéra de chambre de Conrad Susa, régulièrement interprété aux États-Unis, Transformations, qui utilise pas moins de seize contes de Grimm. Ce procédé culmine dans Into the Woods, le musical de Stephen Sondheim qui offre en 1986 une relecture trash des vieux contes : Cendrillon et Raiponce ont bien épousé leurs princes mais leur mariage est un échec, leurs hommes pensant aux deux beautés endormies que sont Blanche-Neige et la Belle au bois dormant !

— Lou Harrison: Rapunzel (1952)

 

 

Dans cette scène, Raiponce réclame sa liberté à la vieille sorcière (Bernadette Peters) mais, malice de Sondheim oblige, c’est pour la vieille marâtre qu’on éprouve de la compassion !

Mais encore…

Les contes de Grimm continuent d’inspirer les compositeurs d’aujourd’hui. Le format de l’opéra de chambre ou du spectacle pour enfants est souvent privilégié, avec des réussites bien sûr variables. Le premier opéra de George Benjamin, Into the Little Hill (2006), est une brillante relecture du conte Le Joueur de flûte de Hamelin. Le compositeur français Denis Levaillant a donné quant à lui sa version des Musiciens de Brême (2010), tandis que Le Vaillant Petit Tailleur a été mis en musique par le compositeur hongrois Tibor Harsányi (1937). Quant à David Walter et Emmanuelle Cordoliani, les spectateurs de la Philharmonie de Paris auront la chance de découvrir le 18 décembre leur interprétation du conte La Jeune Fille sans mains

Mais plutôt que poursuivre une liste forcément non exhaustive, terminons ce petit panorama des contes de Grimm en musique par les Märchenbilder de Robert Schumann. Datée de 1853, cette œuvre pour alto et piano ne donne aucun indice sur l’origine des quatre pièces de caractère qui la composent. On sait seulement que Schumann s’inspira de « Märchen », c’est-à-dire de « contes » en allemand. Une chose est sûre : le compositeur connaissait les recueils des frères Grimm…