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La musique classique dans les séries TV

Publié le 09 janvier 2017 — par Christophe Dilys

— Ciné concert - © W. Beaucardet

De la musique classique dans des séries TV ? Et pourquoi pas ? De Dr House à Westworld, de Frasier à Mozart in the Jungle, les séries n’hésitent pas, comme le cinéma avant elles, à jouer de son pouvoir expressif. La preuve en quelques pistes.

La musique classique au cinéma est un terrain déjà bien balisé. Depuis le vrombissement des contrebasses accompagnant le lever du soleil dans 2001, l’Odyssée de l’espace à l’accord de Tristan dans Melancholia, en passant par la nuée d’hélicoptères wagnériens d’Apocalypse Now, le cinéma a toujours offert une porte d’entrée à la musique classique. Qui n’a pas découvert de grandes pages symphoniques grâce à leur capacité à accompagner des images postérieures à elles ?

La vraie question, maintenant que les séries télévisées apportent à notre quotidien un aspect visuel aussi produit que les films les plus aboutis, tout en persistant à confier la bande originale aux ordinateurs, est : qu’en est-il de la musique classique à la télévision ? Petite liste de pistes absolument non exhaustive et extrêmement partiale.

Musique diégétique : House M. D. et Johann Sebastian Bach

À force de se laisser convaincre qu’il y a dans la musique de Bach des bienfaits thérapeutiques, il fallait bien qu’une des plus célèbres séries médicales nous en fasse entendre quelques notes. Dans le premier épisode de la saison 6, Broken, Docteur Gregory House (Hugh Laurie) lutte contre son addiction au Vicodin dans un centre de désintoxication, et en profite pour faire ce qu’il fait de mieux : soigner les patients les plus mystérieusement condamnés. Annie, mutique et immobile jusque-là, s’exprime alors pour la première fois depuis des années, avec un violoncelle et le Prélude de la Première Suite pour violoncelle de Johann Sebastian Bach.

Musique d’accompagnement : John Adams et Franz Schubert

Dans cette série produite par HBO, les premières heures des États-Unis sont décrites à travers les yeux de John Adams, le deuxième président des États-Unis et corédacteur de la Déclaration d’indépendance. À période sombre et hésitante, musique feutrée et inexorable : les épisodes 5 et 6 (Unnecessary War et Unite or Die) font figurer une très intéressante réécriture de l’Andante du Trio n° 2 op. 100 de Franz Schubert. Sont progressivement intégrés à la ligne mélodique bien connue des appogiatures et une seconde voix qui transposent le matériau du romantisme allemand à l’atmosphère violonistique quasi irlandaise propre aux États-Unis de la fin du XVIIIe siècle.

Musique portrait : Frasier et Brahms

Docteur Frasier Crane et son frère Niles Crane vivent tous les deux leur vie de psychiatres à Seattle. L’un prodigue ses conseils à la radio, l’autre reçoit ses patients dans son cabinet, et tous deux naviguent en bons notables dans les hautes sphères de la vie socio-culturelle de la ville : ils briguent des positions aux comités d’administration de l’opéra et du musée, boivent et mangent français, chantent du Wagner, etc. Dans le paysage insouciant des sitcoms des années 1990, l’existence d’esthètes pompeux et exigeants reste de l’ordre de l’inouï pour le public. Pour compléter ce portrait improbable, les producteurs de Frasier recourent très souvent à la musique classique, et pas forcément aux plages les plus connues.

Frasier interrompt sa cuisine pour diriger le finale des Variations sur un thème de Haydn de Brahms.

Musique comme personnage en soi : Hannibal

Il y a quelque chose de culinaire dans l’utilisation de la musique dans la série Hannibal. Comme l’accompagnement d’un plat, qui fait parfois l’objet d’une recette propre, la musique classique peut posséder une dynamique, dérouler une narration en soi. La liste des musiques utilisées pendant les repas de notre cannibale serait trop longue à dérouler, aussi nous vous invitons à consulter cette adresse, qui liste toutes les musiques entendues, épisode par épisode, et à regarder cette courte scène qui résume assez bien l’ambiance :

Musique classique comme sujet : Mozart in the Jungle

Cette série produite par Amazon a fait du bruit lors de sa sortie en 2014 auprès du grand public mais aussi auprès des musiciens ; un regard documenté sur les coulisses d’un orchestre fait forcément hausser le sourcil. Les traits sont exagérés pour certains, irréalistes pour d’autres. Il est cependant raisonnable de penser qu’il ne s’agit pas d’un documentaire sur la vie des musiciens d’orchestre. Toute licence est au service de l’inventivité et d’un message clair : « les musiciens classiques sont aussi rock’n’roll que n’importe qui. » Y avait-il besoin de le dire ? Peut-être. Est-ce vrai ? Peut-être.

Musique classique utilisée à des fins comiques

Depuis les facéties de Bugs Bunny et Tom et Jerry sur du Franz Liszt, il a été rendu évident que la musique classique a aussi un fort potentiel comique. Il y a quelque chose, dans l’objectivité et le détachement de la musique classique, qui, lorsqu’elle est mise en scène, prête sans doute plus à rire qu’une musique composée expressément pour la situation comique.

Seinfeld : Avec Friends, Seinfeld est la sitcom reine des années 1990. Cette série sur l’observation du quotidien frappe toujours juste, et sait augmenter la réalité avec une fantaisie surréaliste. Dans cette scène, Frank Costanza se souvient d’avoir envoyé ses collègues soldats aux toilettes pour avoir trop épicé la nourriture, pendant la guerre de Corée, dans une parodie de Platoon. Évidemment, l’occasion d’entendre l’Adagio pour cordes de Samuel Barber.

30 Rock : Cette série, autour des préparatifs et des intrigues qui se cachent derrière une émission-comédie parodiant Saturday Night Live, met en scène Alec Baldwin en patron aussi sévère que pédant. Incarnant l’establishment dans tout ce que sa fonction de directeur de chaîne de télévision peut recouvrir, il se livre dans cette scène à un duel piano-flûte avec Condoleezza Rice.

Construire une ambiance historiquement complète : Westworld et Debussy

Un des usages les plus intéressants de la musique classique dans les séries récentes est certainement à chercher dans Westworld. Dans cette série basée sur une histoire de Michael Crichton (Jurassic Park), des invités déambulent dans un parc peuplé de robots en tous points semblables aux humains recréant l’univers du Far West. Les notes de la Rêverie de Claude Debussy flottent, indifférentes, au-dessus de la vraie fausse violence du parc et des couloirs gris des laboratoires. Deux éléments ressortent du choix de cette musique. Tout d’abord, il s’agit d’une pièce composée en 1890, en pleine période de la conquête de l’Ouest et du massacre des amérindiens. Ensuite, si nous écoutons la matière musicale proprement dite : cette main gauche absolument régulière et mécanique, et cette main droite qui s’émancipe de cette régularité constituent un parfait écho musical à cette histoire de robots qui progressivement et calmement prennent conscience de leur existence.

— Reverie (Westworld Soundtrack)