Le San Carlo ouvre ses portes le 4 novembre 1737, devançant de 41 ans la Scala de Milan et de 55 ans la Fenice de Venise. Charles de Bourbon, le nouveau roi de Naples qui, depuis 1734, redonne à la cité le rang de capitale d’un grand royaume, l’avait ardemment souhaité. La construction de la nouvelle salle, qui donne directement sur la ville depuis une aile du palais royal, est confiée à l’ingénieur militaire Giovanni Antonio Medrano et à l’entrepreneur Angelo Carasale pour un coût total de 75 000 ducats, une somme énorme. Après seulement huit mois, le théâtre est inauguré avec la création d’Achille in Sciro, un mélodrame de Pietro Metastasio sur une musique de Domenico Sarro, maestro de la Chapelle royale.
La structure de la salle reflète encore le projet initial, un plan en forme de fer à cheval composé de 184 loges disposées sur six niveaux, plus une loge royale, pouvant au total accueillir 1 379 spectateurs. L’édifice connaît une série de rénovations, dont la première est réalisée en 1762 par Giovanni Bibiena, suivie par celles de Ferdinando Fuga et de Domenico Chelli. Pendant la décennie de domination française, de 1805 à 1815, sous le règne de Joseph Bonaparte puis de Joachim Murat, Naples reste la capitale du royaume. C’est une période de bouillonnement et de renouveau musical pour le San Carlo, qui fonde notamment en 1812 la première école de ballet d’Italie, bientôt considérée comme l’une des plus prestigieuses d’Europe.
L’architecte Antonio Niccolini apporte à son tour au théâtre diverses modifications, avant d’être chargé de le réédifier totalement suite à l’incendie qui le ravage le 12 février 1816. Il place au-dessus du fronton une statue de la nymphe Parthénope couronnant la tragédie et la comédie, et orne le cadre de scène d’un bas-relief symbolisant le Temps et les Heures, toujours présent aujourd'hui, sur lequel la nymphe figure également. La reconstruction du théâtre est si rapide qu’il est inauguré moins d’un an plus tard, en janvier 1817. D’autres éléments décoratifs apportés au cours du siècle sont d’une grande valeur et d’une particulière beauté : le rideau de scène, réalisé par Giuseppe Mancinelli, représentant les Muses et Homère parmi poètes et musiciens, ainsi que la toile peinte du plafond figurant Apollon présentant Mercure aux plus grands poètes grecs, latins et italiens, œuvre de Giuseppe Cammarano.
Les XVIIIe et XIXe siècles voient aussi le San Carlo accueillir les compositeurs les plus illustres d’Europe et les chanteurs les plus acclamés, dont des castrats et autres primas donnas, alors que l’orchestre acquiert une réputation internationale. Dans la première moitié du XIXe siècle, le concours du très renommé impresario d’opéra Domenico Barbaja assure au grand théâtre de Naples une place de premier plan dans toute l’Europe. La direction musicale en est successivement confiée à Rossini (1815-1822), Donizetti (1828-1838) et Mercadante, tandis que le jeune Bellini y fait ses débuts avant son envol international. Verdi présente quatre œuvres au San Carlo, dans le cadre notamment de créations mondiales ou italiennes. Puis, les nouveaux favoris du public tels Puccini et les représentants de la nouvelle école vériste, comme Mascagni, Giordano, Cilea et Leoncavallo, s’y affichent dès le début du XXe siècle. Ce même siècle verra les plus grandes étoiles de l’art lyrique enflammer les salles plusieurs décennies durant, il suffit pour cela d’évoquer les noms de Renata Tebaldi, Maria Callas, Mario Del Monaco, Luciano Pavarotti et tant d’autres.
De même que lors de la Première Guerre Mondiale, le théâtre poursuit ses activités sans interruption pendant toute la Seconde Guerre, sauf pendant le soulèvement populaire des Napolitains connu sous le nom Quattro giornate di Napoli [Quatre journées de Naples], fin septembre 1943. Les représentations reprennent dès le mois de décembre, et le San Carlo est le premier théâtre italien à monter des tournées à l’étranger, lesquelles se poursuivent aujourd’hui encore. En 2009, l’établissement fait l’objet d’une restauration de grande ampleur, qui redonne leur lustre d’origine à l’ameublement, aux stucs et à l’architecture intérieure, tout en le dotant d’équipements modernes et sophistiqués ainsi que de lieux adaptés aux exigences d’aujourd’hui.
Grandes voix, grands chefs et metteurs en scène prestigieux sont les ingrédients que le San Carlo associe à ses atouts de toujours : son orchestre, son chœur, ses équipes artistiques et techniques, des costumiers aux ingénieurs du son en passant par les machinistes et, bien sûr, son corps de ballet. Mais le regard est tourné vers l’avenir : avec la création de la plateforme San Carlo Digital Opera House, le Teatro di San Carlo est prêt à relever le défi du troisième millénaire.
L’Académie du Teatro di San Carlo
Parmi les lignes directrices qu’il trace pour le Teatro di San Carlo dès le début de son mandat en 2020, le surintendant Stéphane Lissner donne la priorité à la création d’une Académie pour jeunes chanteurs lyriques, sur le modèle de celles qu’il a fondées à la Scala de Milan et à l’Opéra de Paris. Surmontant les problèmes liés au confinement imposé par la pandémie de Covid-19, l’Académie de chant lyrique du San Carlo est à la manœuvre pour organiser dès l’été 2021 un concours international, qui recueille près de 400 candidatures venues du monde entier, menant à l’admission d’un groupe restreint de 11 élèves, confiés par le directeur et coordinateur de l’Académie, Ilias Tzempetonidis, aux soins de Mariella Devia, l’une de nos grandes chanteuses lyriques d’aujourd’hui, à titre de professeure et responsable pédagogique. Outre une formation technique et d’interprétation de haut vol, les élèves bénéficient de cours d’approfondissement musicologique et culturel, de master-classes et de rencontres avec les artistes participant aux spectacles du théâtre. Et c’est surtout pour eux l’occasion unique d’assister aux productions du San Carlo avec de grands interprètes et de monter sur scène, que ce soit pour des rôles secondaires dans le grand répertoire ou pour des rôles plus importants dans des productions pour jeune public.
Avant même la fin du cours de spécialisation de deuxième année, des élèves de la première promotion de l’Académie se sont vu confier des rôles dans des concerts et productions lyriques de la saison 2022-23 et de la suivante.
Pour leur première représentation publique, l’ensemble des élèves a donné un concert dans la cour d’honneur du Palais royal de Naples en juin 2022 avec un choix d’arias et d’ensembles du Don Quichotte de Paisiello à l’occasion de l’exposition Don Quichotte, présentée au musée du Palais royal. Le 15 septembre de la même année, l’Académie a participé à son premier récital d’opéra sur la scène du San Carlo (un événement inscrit dans le programme de la saison). En 2022, les élèves ont également entrepris une tournée européenne, débutant par un concert à Prague pour le centenaire de l’Institut culturel italien et se poursuivant en 2023 par des récitals à Paris, avec notamment l’interprétation de la partition intégrale de Don Quichotte au Louvre.