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Le code secret des luthiers

Publié le 21 février 2017 — par Jean-Philippe Échard et Pierrick Gaudry

© DR

Cette découverte donne accès à d’importantes données sur le marché des violons anciens, notamment la cote des prestigieux instruments de Stradivari.

Un code pour cacher le prix des instruments

Au XIXe siècle, l’atelier de luthier « Gand & Bernardel » était l’un des plus grands fournisseurs de violons de Paris. Les musiciens pouvaient y trouver des instruments neufs mais aussi des instruments d’occasion, parmi lesquels on retrouve de grands noms de la lutherie : Stradivari, Guarneri, Amati, Bergonzi...

Au sein des archives de cet atelier, conservées au Musée de la musique à Paris, trois registres tenus par Gand & Bernardel révèlent que certains montants sont cryptés, des lettres de l'alphabet remplaçant les chiffres. Les prix d'achat, ainsi que les prix de réserve sont cachés aux clients potentiels, le luthier se réservant une... négociation.

— Page du registre mentionnant le Stradivarius dit le « Tua » et son code - © Musée de la musique

Le secret : un mot « musical »

Jean-Philippe Echard (conservateur au Musée de la musique) et Pierrick Gaudry (crypotlogue, directeur de recherche au LORIA) ont étudié ces registres et révélé le code secret alors utlisé. La clé de ce code est un mot très musical : « HARMONIEUX ».
Ce code se veut simple et efficace : facile à convertir rapidement par le marchand-luthier, lui permettant ainsi de mener à bien ses négociations de vente, tout en restant indécelable pour le client... voire pour les employés de l'atelier.

— Le code secret - © Musée de la musique

Finalement assez simple, mais très efficace : facile pour le marchand-luthier de décoder rapidement les prix chiffrés et pouvoir mener ses négociations de vente, mais assez robuste tout de même.

L’histoire du violon de Stradivari, le « Tua »

Dans ces registres figure notamment une transaction concernant l’un des instruments phares de la collection du Musée de la musique : le violon fait par Antonio Stradivari en 1708, connu comme le « Tua ».
Le 29 décembre 1885, Teresa Tua, alors agée de 19 ans et déjà grand espoir du violon, fait l’acquisition d’un violon Stradivarius auprès de l’atelier Gand & Bernardel, pour un montant de 8 000 francs.
Le déchiffrage du registre nous dévoile que les luthiers l’avaient eux même acheté pour 5 500 francs, le prix affiché était alors de 10 000 francs et le prix plancher (ou de réserve), en dessous duquel la négociation ne pouvait aller, de 8 000 francs.

Teresa Tua fit don de ce prestigieux violon au Musée du Conservatoire en 1935.

Le marché de la lutherie et son évolution

Ce déchiffrage, une fois appliqué aux plus de 2 500 transactions recensées dans ces registres, permettra d’avoir une image précisément définie du marché de la lutherie au XIXe siècle, et en particulier de distinguer l’évolution des cotes des plus grands luthiers.

— Prix d'achat et de ventes de quelques instruments, avec la marge réalisée - © J.P Echard - Musée de la musique


Ce déchiffrage va être appliqué à l’ensemble des plus de 2 500 transactions pour apporter un gros corpus de données (presque du big data pour le XIXe siècle) pour donner une image plus précisément définie du marché de la lutherie au XIXe siècle, et en particulier distinguer l’évolution des cotes de tel ou tel luthier.

Le code secret du luthier par CNRS

Références
Jean-Philippe Echard, Pierrick Gaudry. « An harmonious encoding of instruments values by a 19th-century Parisian violin dealer. » Cryptologia (2017)

Signataires de l’article
Jean-Philippe Echard
Musée de la musique, Cité de la musique - Philharmonie de Paris
Centre de Recherche sur la Conservation, USR 3224

Pierrick Gaudry
LORIA UMR 7503, CNRS,
Inria, Université de Lorraine