Philharmonie de Paris - Page d'accueil

Secret d'instruments – Les orgues du Musée de la musique

Publié le 14 mai 2024

— Les orgues du Musée de la musique

Jean-Claude Battault : Voilà ce fameux Schweickart. C'est l'un des rares survivants de tous ces orgues de salon français du XVIIIe siècle.

On connaît deux Schweickart : celui-ci et celui qui se trouve à Bâle, qui est en forme de bahut.

Celui-ci est assez étonnant parce que tous les tuyaux sont en bois, avec une particularité : il y a un hautbois et un basson ici, et un tuyau de bois aussi.

Et puis il y a une flûte avec les tuyaux inversés.

Si on se penche un peu, il y a des tuyaux en flûte traversière.

Il faut savoir que cet instrument a appartenu au comte d'Ogny, qui était fermier général, qui s'occupait de la poste et qui a fait partie de la Loge Olympique.

La fameuse Loge Olympique qui avait commandé la "Symphonie parisienne".

Maçonnique, oui, c'est ça.

Qui avait commandé les "Symphonies parisiennes" à Haydn.

On pense que l'instrument a pas mal joué du temps du comte d'Ogny.

Au décès du comte d'Ogny, l'instrument est passé chez ses héritiers.

Il est resté chez ses héritiers jusque dans les années 1960.

Là, il a été racheté par un antiquaire, qui l'a revendu au même collectionneur qui possédait le pianoforte organisé.

Ce collectionneur a voulu le faire restaurer, donc il a demandé à Rémy Mahler de remettre cet instrument en état de jeu.

Il est resté chez Rémy Mahler un certain temps parce que Rémy n'avait pas le temps de s'occuper pleinement de cet instrument.

Finalement, nous avons récupéré l'orgue, en le rachetant au propriétaire.

L'instrument était à moitié restauré.

On a demandé à Quentin Blumenroeder de terminer la restauration, et à Catherine Jones, restauratrice d'ébénisterie, de s'occuper du meuble.

Benjamin Alard : Il y a deux...

Jean-Claude Battault : Il y a deux positions.

Benjamin Alard : Voilà, deux pédales.

Jean-Claude Battault : Ce que je conseille, c'est que ce soit l'organiste qui pompe.

Comme ça, il peut vraiment doser le soufflet.

Il va pratiquement jusqu'en haut.

Jean-Claude Battault : Il y a un témoin qui nous alerte ?

Benjamin Alard : Le témoin, c'est le petit bout de carton qui est là.

Jean-Claude Battault : On le voit quand c'est fermé.

Benjamin Alard : Voilà.

Jean-Claude Battault : D'accord.

Avant de jouer, évidemment, il faut pomper.

Vous pouvez y aller, encore.

Encore, vous n'êtes pas encore sur la soupape.

Voilà.

Benjamin Alard :  Ah.

Basson, bourdon, bourdon.

Bourdon.

L'orgue Schweickart, qui permet, grâce à la pompe,

de temps en temps, de faire vivre le vent et de lui donner une certaine vie, comme laisser mourir le son.

À ce moment-là, c'est l'orgue lui-même, avec le soufflet qui retombe, qui fait que le son disparaît.

Pendant qu'on alimente l'instrument, le son, notamment durant les sons tenus, peut avoir une certaine vie.

C'est ça qu'on peut rechercher, qui rapproche aussi, le son de l'orgue, qui peut parfois être qualifié de monotone, qui rapproche l'orgue de l'homme, et d'un homme qui actionne cette machine.

Jean-Claude Battault : Le répertoire à jouer sur ces instruments, c'était aussi probablement des musiques de salon.

On devait jouer des pots-pourris et des pièces pour orgue, puisqu'il y a quand même beaucoup de littérature pour orgue pour ce type d'instruments.

Benjamin Alard : Certains compositeurs de l'époque ont laissé beaucoup de musique, mais par rapport à la musique pratiquée à l'époque, notamment à l'orgue, les grands organistes improvisaient la plupart du temps.

On peut qualifier les œuvres écrites à l'époque d'improvisations notées, un peu retravaillées, même écrites pour être publiées, mais le goût, à l'époque, était surtout, et pratiquement en tout temps, lié à l'improvisation.

Je dirais qu'au fur et à mesure de la découverte, je pense qu'il est très, très, très important, j'insiste, très, très, très, très important, quand on découvre un instrument, de ne pas arriver avec une partition ou quelque chose qu'on a déjà en tête.

Il faut impérativement improviser pour essayer de voir ce que l'instrument peut donner, comment il peut sonner, expérimenter, voir sous quelle facette, sous quel mélange, sous quelle registration, sous quel registre, avec quelle articulation...

Il y a beaucoup de paramètres qu'on peut explorer, et ces paramètres à explorer sont extrêmement importants, mais on peut difficilement les explorer en ayant, je dirais, une sorte de handicap de la partition et de la lecture.

Il y a la pompe qu'on doit gérer, il y a l'instrument qu'on doit découvrir de façon lente, parce que pour la plupart, il y a plusieurs registres, donc il faut essayer de les comprendre.

Dans le cas de l'orgue Schweickart et aussi du piano organisé, où il y a plusieurs registres d'orgue, plusieurs jeux, on peut les appeler comme ça aussi, il n'y a pas le nom des jeux qui sont inscrits, donc il faut découvrir lentement.

Souvent, les jeux sont divisés.

Une partie des jeux peuvent être appelés sur le haut du clavier pour les dessus, et une autre partie pour les basses.

Il faut essayer de trouver comment on peut utiliser ça.

Et une fois qu'on a fait un bon tour de ce qui est possible, ça prend déjà énormément de temps.

Il faut laisser le temps faire.

Évidemment, tout ça est doublé, et accompagné de discussions, de découvertes, avec le conservateur qui est là.

C'est très, très important, parce qu'au moment où une question intervient, ou un musicien peut essayer quelque chose, là, la question vient, et une réponse est apportée.

On peut aller voir comment ça se présente à l'intérieur de l'instrument, comment ça réagit, essayer la chose d'une autre manière.

Ça, c'est ce qui est le plus intéressant.

Jean-Claude Battault : Voilà l'orgue expressif.

Celui-là date de 1834.

On suppose qu'il a été présenté à une Exposition universelle de Paris, vu le meuble très décoré.

C'est l'un des premiers orgues expressifs.

Les soufflets sont en bas, avec les pédales pour pomper, comme un harmonium.

Ici les anches, avec les résonateurs.

Ce qui est assez amusant,  c'est que nous avons les diapasons pour l'accorder.

Benjamin Alard : Il est entré quand au musée ?

Jean-Claude Battault : Il n'y a pas très longtemps en fait. Il est rentré en 2015.

Benjamin Alard : Il était dans quel état ?

Jean-Claude Battault : Le meuble a été restauré, évidemment.

Quentin s'est occupé des tuyaux.

Il y avait pas mal de travail à faire.

Il a été complètement démonté en fait.

Le clavier aussi avait des petits problèmes.

Il n'était pas tout à fait aligné.

Donc il a fallu le démonter complètement.

Ce qui est intéressant, c'est qu'il y a une petite manette ici, qui permet de bloquer le soufflet.

Quand le soufflet est bloqué, il n'y a pas d'expression.

Mais quand on fait ça, je ne sais plus dans quel sens...

Voilà. Normalement, vous avez l'expression.

C'est-à-dire que le soufflet, vous pouvez, en pédalant...

Soit ça devient un réservoir, soit ça l'alimente directement.

Benjamin Alard : L'orgue expressif de Müller permet une grande expressivité et nuance dans ses sons.

C'est un instrument très touchant, et ce qui m'a frappé, c'est que le musicien lui-même est obligé de façonner le vent, le souffle et l'air qu'il donne à l'instrument pour l'alimenter en vent.

Il y a deux façons de jouer cet orgue qui a un registre unique pour tout le clavier.

Il y a la façon de le jouer en utilisant les deux pédales qui alimentent un réservoir et qui peuvent alimenter et donner du vent aux sons qui peuvent être continus.

On peut parfois faire des effets expressifs si on utilise la surpression en créant des sforzandos, par exemple, des sortes d'élans de crescendo ou decrescendos.

Il y a une autre position qui neutralise le réservoir et qui permet au musicien qui actionne ses pédales d'alimenter lui-même directement sans avoir de réserve d'air.

Ça, c'est encore plus proche de l'humain que les deux autres instruments.

J'ai l'impression que l'emprunt est créé aussi par une saturation, non ?

C'est possible.

Si on joue trop fort, ça ne va pas.

Puis il faut forcer.

Je crois que ce n'est pas la peine de...

Oui, de donner...

Il y a le très piano.

C'est comme un peu le...

Ça n'a rien à voir, mais...

C'est comme si au clavicorde, on joue trop, ça ne va pas.

Ça, ça me semble être le forte...

D'ailleurs, le forte, quand il n'y a pas l'expression, il n'est pas si fort.

C'est normal.

En fait, il ne faut pas forcer.

Parce que même...

la justesse n'est pas bonne.

Qu'est-ce qu'il y a comme autres chansons, un peu de cette époque, qui sont connues, qu'il y a dans les livres ? 1830.

Jean-Claude Battault : Un hymne révolutionnaire, parce qu'on n'est pas loin de 1830.

Benjamin Alard : Ah oui, c'est vrai.

Jean-Claude Battault : Comme on est au tout début de l'orgue expressif, on devait probablement arranger des pièces d'orgue, mais c'était de la musique de salon.

Benjamin Alard : Ça marche très, très bien.

Mais oui, je vais travailler.

Mais c'est vrai que c'est pas du tout...

C'est mieux quand on se laisse aller.

Ça a pratiquement disparu, parce que depuis l'invention de l'électricité, les organistes n'ont plus, soit pour les instruments de petite taille, à fournir eux-mêmes le vent, et c'est quelque chose, sur ces trois instruments, qui a été vraiment très marquant pour moi, de fournir le vent nécessaire à son propre jeu.

Le troisième, c'est le piano organisé d'Érard. 

Le facteur d'orgue n'est pas connu, on ne sait pas qui a construit l'orgue.

Là, c'est l'association des deux, c'est-à-dire le mélange des sons du piano, un piano relativement ancien, parce que c'est un piano de 1791, qui a aussi des couleurs assez rares, assez expressives, comme le jeu de luth, qui est ténu.

Ces sons du piano associés aux sons de l'orgue se mélangent très, très bien, et donnent aussi quelque chose, à la fois qui a à voir avec la musique de chambre, et aussi donne une certaine vie au son de l'orgue.

Jean-Claude Battault : Nous avons eu la chance d'acheter cet instrument alors qu'il était déjà restauré, puisque le propriétaire l'a cédé au musée après sa restauration.

D'après les registres Érard, on sait qui est le premier propriétaire.

Ensuite, il est passé par les vicissitudes probablement de la Révolution, et il est parvenu jusque dans la collection de la maison Érard, qui l'avait rachetée au propriétaire précédent.

À la fermeture de la maison Érard, dans les années 60-70, l'instrument a été revendu.

Finalement, dans les années 80, un collectionneur privé l'a racheté et a voulu le faire restaurer pour le jeu.

L'instrument a été restauré par Patrick Collon pour la partie orgue et Alain Moisan pour la partie piano.

Il y a un jeu de forte que l'on actionne par une manette, qui permet en fait de jouer, d'imiter le tympanon, un instrument courant au XVIIIe siècle.

Et il y a un système qui permet de soulever les marteaux, soit dans les basses, soit dans les aigus, pour pouvoir combiner le jeu de l'orgue.

On peut jouer l'orgue tout seul, mais on peut aussi jouer l'orgue avec la partie basse du piano, la partie aiguë, ou le piano entier.

C'est un instrument avec des registres et des combinaisons.

Benjamin Alard : Je dirais que c'est une expérience pas seulement musicale et mentale, c'est une expérience physique aussi, qui est très enrichissante.

De faire corps avec l'instrument, de respirer avec l'instrument et de savoir, par rapport à ce qu'on veut faire musicalement, comment le faire.

Vous avez été formidables.

Depuis 2020, les Secrets d’instruments sont des rendez-vous réguliers programmés tout au long de la saison au cœur du Musée de la musique. Construits autour d’un dialogue entre musiciens et membres de l’équipe de Conservation et de Recherche du Musée, ils mettent en valeur les trésors de la collection en dévoilant leurs secrets et leurs sonorités exceptionnelles.

Le choix des sujets permet de valoriser certains instruments iconiques de la collection : des pianos des prestigieuses maisons Érard et Pleyel, des clavecins de célèbres facteurs des XVIIe et XVIIIe siècles tels Rückers-Taskin et Couchet, un violon Stradivari, les fabuleuses trompettes d’Aïda, un choix de sanzas sélectionnées parmi les 300 de notre collection, le fameux oud Nahhât , un koto du XVIIIe siècle fabriqué par Yasujiro Ogura, l’un des plus grands maîtres luthiers…

En 2024, afin de garder trace de ces moments privilégiés, le Musée a fait réaliser un film sur les orgues du Musée, l’un des Secrets de la saison 23-24. L’objectif est ainsi de transmettre ces savoirs exceptionnels au plus grand nombre.

Ce film vous propose de les découvrir en compagnie de Benjamin Alard (organiste) et de Jean-Claude Battault (chargé de conservation-restauration). Ils abordent ensemble les questions relatives à leur fonctionnement, au répertoire adapté, à la prise en main et aux techniques de soufflerie, ainsi qu'à leur histoire.

Benjamin Alard s’est prêté au jeu : il apprivoise progressivement et en direct les trois instruments présentés sous l’œil expert de Jean-Claude Battault. Dès la première rencontre avec les instruments, il a paru primordial à l’équipe audiovisuelle de rester invisible : caméra à la main, lumière naturelle, micros discrets afin de capter la spontanéité des échanges, des premières réactions du musicien et aussi des premiers sons. Un deuxième temps de témoignage plus posé a permis de recueillir les sensations de Benjamin Alard sur ces claviers et d'en apprendre davantage sur leur histoire avec Jean-Claude Battault. Enfin, la captation de moments musicaux finalise cette découverte. Un montage alternant ces trois phases en retranscrit toute la richesse et dévoile en quelques minutes trois instruments rares de la collection du Musée de la musique.


Orgue de salon, Jean-Baptiste Jérémie Schweickart, Paris, 1784
Orgue expressif, Théodore Achille Müller, Paris, 1834
Piano organisé, Maison Érard, Paris, 1791