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Clara Iannotta, un Portrait Musique du Festival d'Automne | Entretien

Publié le 27 septembre 2024

— Clara Iannotta, un Portrait Musique du Festival d'Automne | Entretien

J'étais en train d'essayer de me retrouver moi-même. Il y avait eu le covid, il y avait eu le cancer. J'étais perdue, je ne savais plus où j'étais. J'étais en train de me chercher à travers le son. Avec Alessandro Solbiati, ce qui m'a... la chose qui m'a le plus marquée de ma formation avec lui, c'était sa générosité à nous donner sa technique. Il nous a montré sa technique, très particulière, très détaillée, qu'il utilisait. Il l'utilise encore aujourd'hui pour composer. Il nous a montré ça, il nous a appris cette technique-là. Il nous a appris, au moins à moi, à me poser énormément de questions. Pourquoi ça ? Il n'acceptait pas : "J'aimais bien cet accord." Ça, il n'acceptait pas. Donc je devais toujours essayer de répondre à mon plaisir. Pourquoi j'ai fait ça ? Pourquoi je vais faire ça ? À travers sa technique, j'ai développé ma propre technique. Avec Frédéric Durieux, au Conservatoire de Paris, c'était très intéressant parce qu'il m'a appris la discipline. C'est-à-dire qu'on a fait de très belles discussions, surtout du côté analytique de la musique. Et on a travaillé tous les jours, vraiment suivre le parcours d'une façon très quotidienne. Après, quand je suis allée à Harvard, j'ai étudié avec Chaya Czernowin. C'était totalement différent parce que j'étais plus âgée, j'avais plus d'expérience dans la musique, j'avais déjà ma technique. C'était vraiment le travail sur le concept. Essayer de comprendre comment donner confiance au concept parce que c'est le concept, parfois, qui peut donner des idées musicales qu'on ne pouvait pas avoir si on partait du son dans l'abstrait. C'était un parcours de formation, à mon avis, assez complet. Je suis très contente d'avoir étudié avec trois personnalités très différentes. La façon dont je commence une pièce, ça change selon le projet. C'est-à-dire que... Il m'est arrivé, surtout dans les années passées, de commencer une pièce par l'inspiration d'un son. Voilà, une cloche. Quand j'ai visité Fribourg-en-Brisgau pour la première fois, j'ai été très étonnée par les cloches de la cathédrale. Ou bien, parfois, il m'est arrivé de passer dans une rue, d'écouter un son dans plusieurs espaces, d'enregistrer ce son-là, et puis de me dire : "Ça, ça va être le début de la prochaine pièce." Dans les dernières années, donc ça fait maintenant... cinq ans, quelque chose comme ça, j'ai commencé un tout petit peu à essayer de trouver un concept, une idée qui n'est pas forcément musicale. J'ai écrit, par exemple, une pièce pour orchestre qui s'appelle "Moult", qui part de l'idée de la mue des araignées. J'avais lu un poème de cette écrivaine irlandaise, Dorothy Molloy, qui inspire tout mon travail. Cette pièce-là parlait de la mue d'une façon différente. Là, j'ai commencé à rechercher un peu pour savoir de quoi il s'agissait. Je suis tombée sur plusieurs articles, plusieurs vidéos d'araignées qui font leur mue. J'ai été étonnée. Je me suis dit : "C'est magnifique." À chaque fois que les araignées doivent grandir, elles laissent une trace tangible de leur passé. Elles sortent de leur exosquelette. Et à un moment donné, devant moi, il va y avoir deux corps, l'un qui est vide, qui représente le passé, et l'autre, le nouveau corps pour grandir, qui représente le présent et le futur. Je me suis dit : il y a ces deux temporalités tangibles. Comment puis-je faire ça dans la musique ? Ça a ouvert tout un univers d'idées, d'idées musicales qui m'a donné la possibilité d'écrire la pièce "Moult". Le concept, plusieurs fois, me pousse un peu hors de ma zone de confort. Ça fait 20 ans, voire plus, que je fais ce métier. J'ai beaucoup d'expérience sur le son. Je peux imaginer des sons extrêmement complexes. Évidemment, j'ai mon goût à moi. Il y a des sons que j'aime, et beaucoup de sons que je n'aime pas du tout, que je ne veux pas utiliser. Si je dois commencer par un son, je vais choisir un son que j'aime. Si j'utilise un concept, le concept a besoin de sons différents, qui ne sont pas forcément ceux que j'aime. Je suis forcée de sortir de ma zone de confort, et de trouver des choses que, sinon, je n'aurais pas faites. La façon dont j'ai commencé à penser au son, petite, c'était une idée de son déconnecté de l'instrument. Je ne pense jamais à l'instrument pour lequel j'ai écrit. J'ai grandi avec mon père qui, au lieu de m'acheter des jouets, m'a appris à les construire. Chez nous, c'était interdit d'avoir des jouets. On n'allait pas les acheter. Mais par contre, il m'a montré comment partir d'une idée et utiliser tout ce qu'il y a autour de moi pour créer cette idée de jouet. Au début, je devais faire des expériences avec le matériel. Je devais comprendre comment marchaient les choses. J'ai commencé à répliquer ce que je voyais, soit chez mes amis, soit à l'école, soit à la télé. Au fur et à mesure, dès que j'ai compris comment le matériel marchait, j'ai commencé à avoir une image des jouets que je voulais construire et à me servir de ce qu'il y avait autour de moi. Ça, ça m'a appris à voir l'objet déconnecté de sa fonction. Une chaise ne doit pas seulement être une chaise. Il y a un potentiel, ça peut servir à une idée abstraite qu'il y a dans ta tête. Dès que j'ai commencé à écrire de la musique, c'était exactement ça. C'est-à-dire que j'ai une image en son. J'essaie d'avoir une image sonore dans ma tête et de me servir de ce dont j'ai besoin pour la reproduire physiquement. C'est pour ça que, depuis le début, toutes mes pièces, si les instruments n'arrivent pas à me donner ce son-là que j'ai dans la tête, je vais soit le préparer, soit utiliser des objets. Si les objets et les préparations ne sont pas suffisants, je vais construire l'instrument moi-même. Je l'ai fait dans plusieurs pièces. L'idée de la musique électronique, des outils électroniques, c'était : là, j'ai carte blanche. Je peux vraiment... La seule limite, c'est mon imagination et à quel point je suis forte pour utiliser les outils. Voilà. Le Festival d'Automne, quand j'étais étudiante ici, à Paris, représentait un peu le festival où j'écoutais de la musique que je n'aurais pas écoutée autrement. J'ai vu des choses que... J'ai découvert des compositeurs que je n'avais jamais entendus avant. Voir Pierluigi Billone, qui, en Italie, n'est jamais joué. À l'époque, il n'était pas du tout joué. J'ai vu "Prometeo", de Luigi Nono, que je n'avais jamais vu. Avant même que je rencontre Joséphine, le Festival d'Automne a été le lieu de découvertes absolument nouvelles. Pour moi, c'est très... Je suis très émue de... d'un côté, de pouvoir continuer le travail que Joséphine a fait. C'est une personne à qui je dois à peu près tout. C'est la personne qui m'a fait confiance avant tous les autres. Je dis toujours que pouvoir programmer le Festival d'Automne, c'est le rêve que je n'avais pas. C'est magnifique. Aujourd'hui, en 2024, être mise à l'honneur avec le portrait au Festival d'Automne, c'est fantastique. La relation que j'ai avec ma musique, donc le métier de compositeur, c'est extrêmement égoïste ou concentré sur moi-même. J'écris pour me découvrir. La programmation, par contre, ouvre aux autres. Quand j'écris ma musique, je suis le public de moi-même. J'essaie seulement concentrer le miroir sur moi-même. Par contre, il y a énormément de choses. Il y a la possibilité d'ouvrir aux autres, de créer la scène musicale, de créer des plateformes, de créer des possibilités pour les autres. La programmation, pour moi, c'est me consacrer à découvrir de nouvelles voies dans la musique, de faire de la musique que je n'écrirais jamais, mais que je trouve absolument essentielle dans la scène musicale. Chercher des artistes, par exemple, qui n'ont pas encore eu la chance de parler au grand public. Ça, c'est pour moi absolument important. Essayer de créer une direction, créer un lien. De toute façon, dans chaque programme, on doit toujours penser que s'il y a surtout plusieurs compositeurs, plusieurs œuvres dans le programme, il doit y avoir quelque chose, un parcours. Donc on y pense. C'est un peu comme composer. Mais la chose intéressante, c'est que je ne suis pas seule. Je suis, par exemple, en dialogue avec les musiciens, avec les compositeurs, avec la ville elle-même, avec les autres programmateurs, etc. C'est vraiment ce dialogue qui se construit, qui m'aide à sortir de moi-même, si on veut. C'est une des choses plus intéressantes de pouvoir me dédier à la programmation. Mais le Festival d'Automne est différent des autres festivals qui n'étaient que des festivals de musique, que j'ai dirigés. Et là, c'est des performances. Il n'y a pas que la musique au Festival d'Automne. Il y a le théâtre, la performance, les arts visuels. Dans ce portrait qu'on va faire le 11 octobre, les quatre pièces évoluent vraiment, elles montrent vraiment mon évolution dans cette dernière période de ma composition. On commence avec "a stir among the stars" une pièce qui a été inspirée par la mue des araignées, la version pour ensemble de ma pièce pour orchestre, "Moult", qui est dédiée à cette nouvelle conception de temporalité que j'avais... que j'avais travaillée avec ce concept de la mue, donc cette temporalité tangible en face de moi. Donc on commence par cette période-là, puis il y a ces deux pièces, "they left us grief" et "echo from afar", qui sont ces deux pièces quand je me suis perdue. J'étais en train d'essayer de me retrouver moi-même. Il y avait eu le covid, il y avait eu le cancer, et j'étais perdue, je ne savais plus où j'étais. J'étais en train de me chercher à travers le son. Ça se voit dans la forme de ces pièces. Puis, il y a la dernière pièce, "glass and stone," qui représente un peu un nouveau parcours. Elle arrive juste à la fin de ces cinq années où j'ai essayé de me redécouvrir moi-même. Je l'ai écrite cette année, alors que j'étais exposée à tout ce travail de théâtre. Je me suis permis d'utiliser des choses que je n'avais jamais voulu toucher dans ma musique, c'est-à-dire du texte, des images, de la vidéo. Je ne les avais jamais utilisés. J'ai toujours pensé que le son est suffisant. Et je le pense encore : le son est suffisant, mais j'ai décidé d'utiliser le texte et la vidéo comme une couche sonore qui ne passe pas par les oreilles. Je pense que cette pièce-là est la première pièce du début d'un nouveau cycle de ma vie. Après, on va voir si ça va être déjà bien ou si ça va continuer à évoluer dans les prochaines années. 

Rencontre avec Clara Iannotta, voix majeure de la scène musicale contemporaine. L’Ensemble intercontemporain, qui la suit depuis plus de dix ans, lui offre un concert monographique constitué de plusieurs créations françaises, toutes sous l’influence de Dorothy Molloy, à laquelle la compositrice italienne emprunte ses titres.

De la poétesse irlandaise, elle aime la pénombre des atmosphères, au travers de laquelle le regard distingue les contours d’un réel aux perspectives bouleversées. a stir among the stars, a making way  (2019-2020) s’intéresse à la mue de l’araignée, et à ce double fantomatique ainsi abandonné. echo from afar  (2022) tente « d’écrire l’espace », de l’appréhender en tant que matériau de composition au moyen notamment de l’électronique. Quant à glass and stone, la nouvelle oeuvre qui conclura ce programme, elle devrait être aussi atypique que le quatuor new-yorkais Yarn/Wire pour laquelle elle a été initialement composée en 2023.