Nées entre 1968 et 1984, elles viennent d’Angleterre, d’Italie, du Japon, de Norvège, de Singapour, de Slovénie. Elles représentent une jeune génération de compositrices qui prêtent une oreille nouvelle au monde qui les entoure.
Nulle caractéristique « féminine » ne saurait être décelée dans l’approche de la création des compositrices. Leur vécu en tant que femmes leur fait sans doute explorer d’autres imaginaires que leurs confrères, mais il serait vain de tenter de distinguer, dans le paysage de la création, des tropismes esthétiques féminins et masculins. Ce concert entièrement féminin en est une brillante démonstration. Nées entre 1968 et 1984, formées aux quatre coins du globe, les compositrices présentent des sources d’inspiration et des préoccupations compositionnelles aussi hétéroclites et éclectiques que possible.
Pour son premier projet à l’Ircam, la Singapourienne Diana Soh est ainsi partie d’un détail, d’un presque rien, qui constitue la base de la pratique de tout flutiste : les différents types d’attaque utilisés, ces coups de langue qui sont tour à tour des [p], des [k] et des [t]. De ce presque rien, elle tire un dialogue intime entre l’interprète et son instrument, bientôt sublimé en un jeu jubilatoire par l’électronique en temps réel…
Si, pour Soh, l’informatique musicale est un complice dans l’exploration intime de l’instrument, elle est en revanche, pour Lara Morciano, un « complément à la virtuosité instrumentale ». Italienne très active en France, cette dernière développe une écriture de l’électronique qui s’entrelace étroitement avec l’écriture instrumentale. Dans Raggi di stringhe (littéralement : « Rais de cordes »), le dispositif électronique en temps réel (également réalisé à l’Ircam) est à la fois pour le violoniste un partenaire de musique de chambre et une extension de son jeu pour mieux le faire rayonner.
D’enchevêtrements, il est aussi question dans Arabescos de Tansy Davies. Cette Britannique nourrit sa musique de ses voyages, des paysages et des scènes que ceux-ci lui proposent. C’est ainsi qu’Arabescos pour hautbois et piano est né d’une visite de la célèbre Alhambra de Grenade. Et plus spécifiquement de la découverte des fabuleux enchevêtrements d’arabesques qui font la beauté des décorations murales et architecturales de ce joyau arabo-andalou. Elle s’inspire ici de ces entrelacs hallucinants et apparemment infinis, le hautbois dessinant dans l’air ses arabesques aériennes, tandis que le piano suggère le décor changeant en arrière-plan - comme si l’on visitait le palais, pièce après pièce.
La Japonaise et francophile Misato Mochizuki trouve elle aussi son inspiration dans les arts visuels, mais plus près de nous : dans une toile de Vincent van Gogh. « J’ai besoin pour me mettre à composer d’un élément déclencheur – une règle personnelle qui régit l’organisation de l’œuvre, dit-elle. Cet élément me vient la plupart du temps d’un concept ou d’une idée extra-musicale que je vais analyser puis traduire musicalement. » Représentant un bois de couleur bleue, ladite toile de Van Gogh a ouvert, par le truchement d’un innocent jeu de mot sur le nom du « hautbois », tout un imaginaire. La pièce est ainsi une rêverie autour de cette image de bois, « habitée de mystère, de mythes, de folies, de tout ce que l’imaginaire peut engendrer ».
Les enjeux formels sont aussi parfois à l’origine d’une pièce. C’est le cas de Movimento fluido III, de Nina Šenk. Troisième volet du cycle, il est né à la demande de musiciens qui voulaient reprendre Movimento fluido pour flûte alto, violoncelle et piano, mais avec un effectif instrumental différent – selon les mots même de la compositrice slovène, la nouvelle partition relèverait presque d’une « variation » de la partition originelle. Laquelle a vu le jour dans des circonstances singulières : c’était en 2007 et Nina Šenk, après avoir complété à Dresde sa formation commencée à Ljubljana, venait d’intégrer la classe de composition de Matthias Pintscher à Munich. Jusque-là, les pièces qu’elle composait se présentaient comme une juxtaposition de blocs contrastés. Pour la première fois, dans Movimento fluido, elle a voulu d’une musique aux transitions plus fluides. Alternant des passages très structurés rythmiquement et d’autres, plus libres, la pièce s’inspire ainsi de formes couramment utilisées dans le jazz – une musique dans laquelle la compositrice slovène a baigné toute sa vie.
Enfin, la fantasque Norvégienne Maja Ratkje est sans doute l’une des créatrices les plus inclassables aujourd’hui : compositrice, certes, produisant des pièces de concert, des œuvres scéniques et de la musique électro, elle est aussi vocaliste (terme qui lui va beaucoup mieux que chanteuse, tant elle joue de sa voix plus que de son chant) sur les scènes contemporaines ou jazz, et même vidéaste. Breaking the News est une œuvre à son image, c’est-à-dire tout à fait singulière – qui, en outre, prend un visage radicalement différent à chaque nouvelle performance. La pièce dépend en effet, littéralement, de l’actualité, puisque Ratkje demande à ses interprètes de puiser la matière musicale et textuelle dans un quotidien paru le jour même du concert.