Dans Le réveil de la force, l'identité musicale de la saga est identifiée, mais John Williams y insuffle un renouveau, grâce à des thèmes inédits et un matériau musical diversifié.
En 2015, au moment de prendre sa plume pour replonger dans une galaxie lointaine, très lointaine, John Williams estime : « C’est comme écrire un opéra puis en composer six autres basés sur le même type de matériau et la même histoire... sur une période de 40 ans. On a une boîte à outils, une signature et il faut étendre ces éléments. »
Composer la suite du Retour du Jedi trente-deux ans après impliquait le réemploi de marqueurs musicaux jalonnant les six épisodes existants de la saga. On retrouve ainsi le pan épique de l’écriture williamsienne peuplé de fanfares de cuivres, de motifs répétés de façon propulsive et de marches héroïques – telle la Marche de la Résistance magnifiant l’arrivée des X-Wings sur la planète Takodana attaquée par le Premier Ordre et signalant clairement l’appartenance des pilotes au Bien, dans une opposition franche des forces en présence. Les envolées rapides de bois dans l’aigu, le souffle lyrique des cordes, l’usage coloristique des timbres comme les glissandi de harpe, les trémolos de violons et les touches chatoyantes de percussions cristallines sont d’autres jalons forts de la partition.
Williams ne se laisse toutefois pas enfermer dans le carcan du matériau existant. Les thèmes connus (thème de Luke, Fanfare des rebelles, thème de la Force, thème de Leia, thème d’amour de Han et Leia et Marche impériale) sont utilisés de façon parcimonieuse et inventive, dans une association toujours relativement mouvante à leurs référents originels. Ainsi, dans la scène où Rey et Finn sont poursuivis sur Jakku, la Fanfare des rebelles retentit de façon éclatante lorsque le Faucon Millenium apparaît pour la première fois à l’image, contredisant avec humour l’appréciation négative de Rey vis-à-vis de ce « tas de ferraille ». La Marche impériale fait une apparition unique mais remarquable aux bassons et à la clarinette basse sur le plan du casque carbonisé de Dark Vador, déformé en un rictus sinistre, alors que Kylo Ren promet de se montrer digne de l’héritage de son grand-père. L’énoncé grinçant du thème se fait particulièrement poignant, le jeune homme ayant avoué lutter contre « l’attrait de la lumière » – tout comme Vador, tiraillé dans Le Retour du Jedi entre son affection pour son fils et son allégeance à l’Empereur. Une autre scène fait d’ailleurs écho, sur le plan musical, au climax dramatique de l’Épisode VI où le Sith prenait la décision d’assassiner l’Empereur : lorsque Rey combat Kylo Ren et prend peu à peu conscience de sa maîtrise naissante de la Force, le thème de la Force, d’abord fragile et mélancolique aux bois sur des trémolos de cordes, résonne ensuite puissamment aux cuivres accompagnés par les timbales lorsque la jeune femme parvient à renverser le cours du duel et vaincre son adversaire.
Magnifiée par le mixage et les systèmes de diffusion sonore numériques, la palette orchestrale de Williams explore les tréfonds du registre grave, où des notes tenues en sanskrit sont confiées à des voix de basses tibétaines pour caractériser Snoke.
Emblématique de ses partitions récentes, l’orchestration est par ailleurs caractérisée par une grande mobilité des motifs : une même ligne mélodique est fragmentée en petites sections confiées à des instruments de familles différentes. Cette écriture est très répandue dans le film, notamment lors des énoncés du thème de Poe Dameron. Au cours de l’offensive de la Résistance sur Takodana, le pilote abat dix chasseurs TIE et trois Stormtroopers. Alors que les déplacements rapides de son vaisseau sont suivis en un unique plan continu, le thème débute aux cors puis passe aux violons et trompettes, violons et cors, violons, cors et trompettes, renforçant la majesté et l’exaltation de cette chorégraphie aérienne aussi héroïque que gracieuse.
Le thème de Rey, relevant du même procédé, confirme par ailleurs une autre particularité de l’écriture orchestrale récente de Williams : après un motif d’accords délicat et sautillant joué au célesta et au piano, la deuxième phrase, douce et chantante, est confiée au piano seul avant d’être reprise à la flûte. Cette attribution d’un segment mélodique important au piano soliste, non fondu avec les autres pupitres, constitue une nouveauté́ dans la saga et rejoint certaines pages de Lincoln (S. Spielberg, 2011), de La Voleuse de livres (B. Percival, 2013) et du Bon Gros Géant (Spielberg, 2015).
Formé de ces deux phrases et d’une troisième idée mélodique plus ample et lyrique, le thème se développe et s’épanouit tout au long du film : d’abord pensif et délicat, traduisant la solitude de l’héroïne, il gagne progressivement en profondeur et en connotations héroïques jusqu’à la scène du duel avec Kylo Ren. Contrairement au thème de Leia, celui de Rey n’est pas un thème d’amour et ne renvoie pas à la féminité du personnage, mais souligne avec finesse la trajectoire narrative et émotionnelle de l’héroïne – une approche que prolongera Williams pour Rose dans Les Derniers Jedi (2017).
Kylo Ren se voit attribuer un autre thème majeur de la partition : un rugissement cuivré et pesant de cinq notes descendantes, « incarnation du mal » selon Williams, complété par un motif plus pensif en notes répétées, suggérant l’hésitation du jeune homme et la vulnérabilité qu’il cache sous une pâle imitation du masque de Vador. Tout comme le thème de Rey, celui de son jumeau noir témoigne de la capacité qu’a Williams à saisir musicalement les multiples facettes d’un personnage.