La kora de Victor Schœlcher exposée au Musée de la musique offre un excellent point de départ pour déplier une histoire de l’instrument et de ses multiples réappropriations au cours des XIXe et XXe siècles. Il est rare de pouvoir cerner de façon aussi fine le contexte ayant mené au déplacement d’un objet hors d’Afrique. Alors que les discussions sur la restitution du patrimoine africain ont connu un nouveau souffle depuis la remise du rapport de Felwine Sarr et Bénédicte Savoy en 2018 poussant les musées occidentaux à interroger davantage la provenance de leurs collections, les recherches se heurtent souvent au silence des sources. À l’inverse, la trajectoire des koras du Musée de la musique peut être en partie retracée en suivant le parcours et les écrits de leur illustre collecteur. Marchand de porcelaines, critique d’art et homme politique, Victor Schœlcher est surtout l’un des principaux abolitionnistes français et l’architecte du décret d’abolition de l’esclavage en France en 1848. En parallèle de ses engagements intellectuels et politiques, il se passionne tout au long de sa vie pour les arts au sens large, collectionnant des milliers d’estampes, bronzes, médailles, livres ou partitions. Au cours des voyages d’étude qu’il entreprend dans les années 1840 dans les îles de la Caraïbe, en Égypte ou en Sénégambie pour nourrir sa critique anti-esclavagiste, Schœlcher fait aussi l’acquisition de nombreux objets, dont plusieurs dizaines d’instruments de musique. À travers la biographie singulière de ces harpes entre la Sénégambie et Paris se dévoilent ainsi quelques jalons de la collecte, de la réception et des usages — parfois vénéneux — des instruments d’Afrique dans la France coloniale. S’y lit aussi le formidable pouvoir de réinvention de la kora et de ses musiciens au fil des contextes historiques, géographiques et politiques.
Alexandre Girard-Muscagorry, La kora de Victor Schœlcher. L’empire d’un instrument ouest-africain, Paris, Éditions de la Philharmonie, coll. «Musée de la musique», 2024.