Comment l’afrobeat est-il devenu, à l’image du reggae, un genre musical planétaire, revendiqué par plus d’une centaine de formations professionnelles sur les cinq continents ? Tant que Fela vivait, la puissance de son propos artistique, politique, médiatique faisait rempart à toute concurrence. Exception faite des emprunts ou citations de ses contemporains africains (Super Rail Band de Bamako, Orchestre Poly-Rythmo de Cotonou…), l’efflorescence du genre afrobeat démarre quatre ans après la disparition de son créateur.
En 2001, Francis Kertekian, l’éditeur de Fela qui s’est acharné à identifier puis racheter les droits sur l’essentiel de son œuvre, publie le fruit de son travail en format numérique. La révolution technologique permet alors aux DJ de s’emparer librement du trésor rythmique et mélodique qu’est l’afrobeat, qu’ils réinjectent sur les sonos des clubs pour un public avide de puissants grooves à danser. La trentaine de CD parus sur le marché international va capter l’attention de nombreux musiciens. L’afrobeat leur apparaît comme un nouveau territoire musical comblant le fossé entre pop et jazz. On voit alors fleurir des formations afrobeat. Antibalas, pionnière du genre formée dès 1998 à Brooklyn USA, devient la référence. Naturellement, c’est à ce groupe que le chorégraphe Bill T. Jones confie la partie musicale de son spectacle Fela!, comédie musicale retraçant la légende du musicien nigérian. De novembre 2009 à janvier 2011, elle triomphe à Broadway.
En vingt ans, l’afrobeat s’est répandu dans le monde avec une singulière vitalité. En France où il vivait avant de disparaître en avril 2020, Tony Allen, cocréateur des rythmiques afrobeat, a fait de nombreux émules, dont Les Frères Smith, Fanga, Monkuti ou Jumbo System. Chaque année, en octobre, pour l’anniversaire de la naissance de Fela, des associations comme Afrobeat No Limit ou Rares Talents organisent le Fela Day. Londres fête aussi la Felabration, notamment avec Dele Sosimi, ex-clavier d’Egypt 80 et ami de Femi, qui a suscité les vocations de musiciens anglais comme le London Afrobeat Collective ou Kokoroko Afrobeat Collective.
En Belgique, Benjamin Tollet, alias DJ Mukambo, a fondé le Global Afrobeat Movement pour promouvoir la scène mondiale. Les deux CD qu’il a réalisés, compilant des morceaux de qualité venus des quatre horizons, révèlent une dynamique sans cesse renouvelée. Partout se regroupent des musiciens passionnés : Ogun Afrobeat en Espagne ; They Must Be Crazy au Portugal ; le collectif Music Is The Weapon en Suède ; The Mabon Dawud Republic en Hongrie ; Muito Kaballa Power Ensemble en Allemagne ; Ojibo Afrobeat en Lituanie ; JariBu Afrobeat Arkestra au Japon…
Les groupes se multiplient aux États-Unis : Kokolo Afrobeat Orchestra, Akoya Afrobeat ou Underground System à New York, mais encore Chicago Afrobeat Project et bien d’autres. Sur la côte est du Canada brille The Souljazz Orchestra, et sur la côte ouest Kara-Kata Afrobeat Group. L’Amérique latine n’est pas en reste avec He K Tombe au Mexique, Newen Afrobeat au Chili, Tabó Afrobeat en Uruguay ou Luka Afrobeat Orquesta en Argentine. Au Brésil, les propositions intéressantes abondent avec IFÁ Afrobeat, Bixiga 70, ÈKÓ Afrobeat ou le magnifique Abayomy Afrobeat Orquestra.
Comme l’explique très justement Olivier Cathus sur son blog Afro-Sambas.fr, la connexion entre le Nigeria et le Brésil passe par une culture yoruba commune. « Certes, Fela Kuti n’a pas évoqué les orixás dans ses morceaux, ses paroles étaient avant tout politiques et leur pertinence n’a rien perdu avec le temps. Mais pour un groupe brésilien, peut-être la pertinence à jouer de l’afrobeat aujourd’hui se trouve-t-elle dans l’affirmation de cette spiritualité commune. »