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Kery James : entretien avec la figure de proue du rap conscient

Publié le 14 mars 2022 — par Philharmonie de Paris

— Entretien avec Kery James

Le Poète Noir et ses invités à la Philharmonie

Ça va être un concert exceptionnel.
Regardez-le, vous verrez.

C’est une tournée acoustique. On l’a appelée Le Mélancolique Tour, en référence à une chanson de mon dernier album. La particularité de ces concerts acoustiques, c’est qu’on essaie vraiment de mettre le verbe en avant. 
Et c’est assez minimaliste. Sur scène, j’ai un clavier et un percussionniste.
Là, exceptionnellement, comme c’est un concert à la Philharmonie, je serai aussi accompagné d’un vibraphoniste et d’une chorale.
Le concert commence de façon presque aérienne, très posée. Puis on finit quand même en puissance et on fait lever les gens.
Je joue particulièrement des titres que je trouve bien écrits, sans prétention, et des titres qui sont importants dans ma carrière, et je rajoute des titres des nouveaux albums.
C’est ça qui est excitant pour nous, c’est de faire redécouvrir au public le texte, parce qu’ils l’entendent différemment, ou tout simplement, ils l’entendent pour la première fois. Parce qu’il n’y a plus l’artifice de la boîte à rythmes.
Ce soir, j’aurai Tunisiano, de Sniper, avec qui j’interprète une version inédite d’un titre de Sniper, qui m’a beaucoup touché, « Sans repères ».
J’aurai aussi Stomy Bugsy, pas pour interpréter un titre, mais pour faire une lecture, un extrait d’un discours de Thomas Sankara.
J’ai Imany qui vient aussi faire une lecture : un extrait du discours d’une militante contre les violences policières, Amal Bentounsi.
J’ai une chorale, et aussi du beat-box, avec Eklips.
J’ai aussi de la danse, puisque j’ai un spécialiste du krump qui est là ce soir.
Ce sera vraiment un show hip-hop.

30 ans de rap conscient

J’ai découvert le rap au début des années 1990. J’ai commencé par la danse. J’ai eu une période de tag, mais je n’étais pas doué.
Après la danse, j’ai écrit mes premiers textes, des textes de ragga.
Ensuite, j’ai écrit du rap et mon premier disque est sorti en 1992. J’avais 13 ou 14 ans.
Parce qu’à l’époque, il y avait Kris Kross, un jeune groupe de rap américain. Ils avaient 16 ans et ils avaient fait un carton, et des producteurs français ont voulu faire pareil.
Sauf que nous, on n’était pas Kris Kross. On venait d’ailleurs. On avait déjà l’envie de dire des choses, de parler de la société, donc ils n’ont pas pu nous modeler comme ils voulaient.
Donc voilà, moi, j’écris depuis cette période-là, et j’ai essayé, après, de me diversifier. J’ai écrit une pièce de théâtre, un film... Là, j’en écris d’autres. 
J’essaie de ne pas avoir de frontières. Je sais que les gens aiment bien barricader les choses en France. Chacun veut faire croire que ce qu’il fait, tu ne peux pas le faire.
Moi, j’essaie d’aller où j’ai envie d’aller, à partir du moment où je peux dire quelque chose, où je peux toucher des gens.
Ça m’est même venu à l’esprit d’écrire un spectacle comique, que je n’interpréterai pas.
Je n’ai pas de frontières, tant que je reste moi-même.
L’essence, c’est mon engagement, et les mots.
Ça peut être du cinéma, de la musique... Ce n’est qu’un véhicule.

Musicalement, je dirais Charles Aznavour.
Pour l’écriture, je dirais plutôt Césaire, Fanon.
Voilà. Après, je ne suis pas très influençable, que ce soit dans la vie ou même musicalement.
Pour toucher les plus jeunes, je compte plus sur le cinéma.
Musicalement, non, je vais aller dans un truc plus mature. J’abandonne totalement l’idée d’essayer de faire de la musique pour les jeunes.

Le hip-hop français aujourd’hui

Pour moi, le hip-hop, c’est fini.
Il y a une discipline du hip-hop, qui est le rap, qui a pris le pas sur les autres.
Avec tout ce que ça coûte.
Aujourd’hui, le rap est devenu la nouvelle variété française, et ça lui a coûté quelque chose. Il a perdu de son essence, de son authenticité. Surtout, ce qu’on a perdu, c’est l’amour des mots.
J’ai grandi à une époque où il y avait quand même... on ne va pas dire que c’était de la littérature française, mais il y avait quand même une recherche dans les mots.
Moi, je viens d’IAM, NTM...
Aujourd’hui, du point de vue de la langue, c’est très pauvre.
Il y a des gens qui font du rap peut-être encore plus engagé que le mien, mais qui n’ont pas beaucoup d’audience.
Je viens d’une époque où c’était très dur de sortir un disque, et chaque groupe qui sortait avait une identité.
Tu ne pouvais pas confondre La Cliqua et Time Bomb, Time Bomb et Mafia K’1 Fry. Tu ne pouvais pas confondre Mafia K’1 Fry avec Assassin.
Chacun avait son identité.

Images de la captation du concert

Monsieur Pierre Caillot va balancer la batterie et vous allez faire du bruit pendant 30 secondes non-stop !

Le messager du rap français présente son concert donné à la Philharmonie, revient sur ses 30 ans de carrière dans le hip-hop et livre son analyse du rap français d’aujourd’hui.

Depuis son premier EP avec Ideal J en 1992, Kery James n’a cessé de prendre de l’envergure. Parolier percutant, interprète vibrant, il saisit la réalité de la société française avec une grande acuité et s’attache à bousculer les consciences. Avec sept albums solo au compteur, des apparitions au cinéma devant et derrière la caméra, ou encore au théâtre, Kery James apparait aujourd’hui comme la figure centrale du rap engagé en France.

En marge de l’exposition Hip-Hop 360, Kery James présentait le 4 février dernier à la Philharmonie Le Poète noir et ses invités, un projet créé en 2012 au Théâtre des Bouffes du Nord et régulièrement renouvelé et étoffé depuis. Pour ce concert acoustique, le rappeur français joue sur la mise en avant du verbe en proposant au public ses chansons aux textes les plus travaillés, réarrangées pour l’occasion.

Habituellement accompagné d’un percussionniste et d’un claviériste lors de son Mélancolique Tour, Kery James étoffe son équipe pour ce concert à la Philharmonie. Il s’entoure également d’un vibraphoniste, de choristes et de quelques invités spéciaux : les rappeurs Tunisiano (Sniper) et Stomy Bugsy (Ministère A.M.E.R.), la chanteuse Imany, le beatboxer Eklips ou encore le danseur WOLF.

L’essence c’est mon engagement, et les mots.

Alix Mathurin, de son nom civil, évoque ensuite sur ses débuts dans le hip-hop, revient sur ses 30 ans d’engagement via l’art musical et audiovisuel, et livre son analyse sur le rap français d’aujourd’hui.

Revoir le concert Le Poète noir et ses invités en replay sur Philharmonie Live.