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Les Clés du classique #25 - Le Concerto en sol de Ravel

Publié le 08 décembre 2022 — par Charlotte Landru-Chandès

14 janvier 1932, Salle Pleyel, à Paris. C’est le jour de la création du Concerto en sol de Maurice Ravel. Au clavier, la pianiste Marguerite Long, sa dédicataire. À la baguette, le compositeur, qui dirige l’Orchestre des Concerts Lamoureux. Le triomphe est total.

La série Les Clés du classique nous fait découvrir les grandes œuvres du répertoire musical.

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Les extraits du Concerto en sol de Maurice Ravel sont interprétés par l’Orchestre de chambre de Paris, sous la direction de Thomas Zehetmair avec Benjamin Grosvenor au piano. Ce concert a été enregistré à la Cité de la musique le 16 novembre 2014.

Retrouvez l'intégralité du concert sur Philharmonie à la demande.


Cela fait presque vingt ans que Ravel songe à une œuvre pour piano et orchestre. Au début des années 1910, il commence à écrire une pièce d’inspiration basque, intitulée Zazpiak Bat, mais il y renonce assez vite. C’est finalement passé la cinquantaine, à la fin des années 1920, que Ravel revient à l’idée d’un concerto pour piano. Il n’en écrira d’ailleurs pas un, mais deux, simultanément, conçus en miroir l’un de l’autre.

Le premier, celui en sol, est le fruit d’une commande du chef et compositeur Serge Koussevitzky, pour célébrer les 50 ans de l’Orchestre Symphonique de Boston en 1931. Le second est une demande du philosophe autrichien Ludwig Wittgenstein pour son frère pianiste, Paul, amputé d’une main lors de la Première Guerre mondiale. Ces deux concertos en gestation, Ravel s’amuse à les appeler celui à « deux pattes » et celui à « une patte. »

C’est le premier, celui en sol, qui va lui causer le plus de soucis. Son écriture est douloureuse : « J’en suis aux vomissements », écrit-il en 1929. Puis deux ans plus tard : « Mon Concerto est fini, mais je ne suis pas loin de l'être moi-même. (...) Le repos absolu m'est ordonné ; on me traite à coups de sérums. » Épuisé par le travail, malade, Ravel n’aura pas réussi à rendre l’œuvre à temps pour le cinquantenaire de l’Orchestre Symphonique de Boston. En parallèle, la composition du Concerto pour la main gauche est beaucoup plus fluide. Il est même terminé en premier. Il sera créé quelques jours avant le Concerto en sol.

À l’époque, le genre du concerto n’est plus tellement à la mode en France. Depuis Saint-Saëns, le public n’a pas connu d’œuvre majeure dans ce répertoire… Les concertos de Poulenc, pour piano seul et pour deux pianos, viendront plus tard ; Ravel est donc l’un des premiers compositeurs français du XXe siècle à s’attaquer au genre.

Dans un premier temps, Ravel donne à son Concerto le nom de « divertissement ». Il suit la tradition classique d’une œuvre en trois parties, avec deux mouvements rapides qui encerclent un mouvement lent. Ravel respecte ses modèles : Mozart, pour la structure, et Saint-Saëns, pour le côté brillant. D’ailleurs, pour le deuxième mouvement, l’Adagio, Ravel s’inspire beaucoup de Mozart et du mouvement lent de son Quintette pour clarinette.

Plus original, Ravel emprunte aussi au jazz, en écho à une tournée effectuée aux États-Unis en 1928. Le Concerto pour la main gauche est lui aussi très influencé par le jazz. Ravel adore le jazz, et il y a déjà fait référence dans quelques-unes de ses œuvres, comme son opéra L'Enfant et les Sortilèges. Dans le Concerto en sol, les accents jazzy sont surtout perceptibles dans le premier mouvement, avec un rythme syncopé, une couleur cuivrée et des mélodies ponctuées de notes bleues.

Ravel envisage de se produire lui-même en soliste pour la création du Concerto en sol. Il passe des heures à revoir les études de Chopin et de Liszt pour perfectionner sa technique. Finalement, son œuvre se révèle trop difficile pour lui ! Il décide donc de faire appel à Marguerite Long, qui a déjà créé son Tombeau de Couperin.

Quand Ravel lui apporte le manuscrit, il lui reste peu de temps pour monter l’œuvre. La pianiste se souvient : « Il me fallait non seulement me débrouiller dans cette forêt de pattes de mouche, mais aussi tenir mes engagements de fin d’année, et paraître dans plusieurs concerts. Or Ravel, soit chez moi, soit au téléphone, me harcelait sans arrêt, m’empêchant de travailler et poussant jusqu’au génie l’art de perdre son temps et de le faire perdre aux autres. »

Peu après sa création, Ravel et Marguerite Long font connaître le Concerto en sol à l’Europe entière, et partout, c’est un succès. Les deux concertos comptent parmi les œuvres ultimes de Ravel. Un an après leur création, en 1933, frappé par une infirmité cérébrale, il ne pourra plus écrire, ni jouer.

Charlotte Landru-Chandès

Charlotte Landru-Chandès  collabore à France Musique, La Lettre du Musicien et Classica. Elle conçoit des podcasts pour l'Opéra national de Paris et la Philharmonie de Paris.

Un podcast de Charlotte Landru-Chandès, réalisé par Taïssia Froidure. Une production Cité de la musique - Philharmonie de Paris.