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La musique légère dans le Paris de Picasso

Publié le 14 septembre 2020 — par Élise Petit

— Le père Frédé et ses invités au cabaret montmartrois Le Lapin agile, Paris, [1919]. - © SZ Photo / Scherl / Bridgeman Images

Sur les pas de Picasso dans le Paris du premier XXe siècle

C’est à l’occasion de l’Exposition universelle de 1900 que le jeune Pablo Picasso fait son premier voyage à Paris avec son compatriote Carles Casagemas. Un pavillon y vante les mérites de la « Fée Électricité » et, grâce à l’éclairage au gaz, les heures de la nuit sont déjà accessibles à tous. Les quelque cinquante et un millions de visiteurs qui affluent entre avril et novembre découvrent une capitale dédiée au divertissement et aux plaisirs nocturnes, qui propose un éventail immense de spectacles et de manifestations artistiques et musicales en tout genre, des cafés-concerts aux cabarets, en passant par le cirque. La fin des années 1880 a marqué un tournant dans l’industrialisation et la massification des loisirs, entrainant une multiplication des lieux de plaisir et une professionnalisation des « amuseurs » et chanteurs de rue, qui investissent les salles nouvellement construites. Cette effervescence musicale connait un arrêt provisoire après le début de la Grande Guerre, et les excentricités de la Belle Époque se rangent, pour un temps seulement, derrière la façade convenue des concerts de charité ou des programmes patriotiques. L’année 1915 signe le retour en grâce de toutes les activités, tandis que les Années folles sont marquées par la « fureur de la danse » qui envahit progressivement les salles de la capitale.

À leur arrivée à Paris en octobre 1900, Picasso et Casagemas se rapprochent d’emblée de leurs amis catalans vivant sur place, principalement à Montmartre. C’est par ce biais qu’ils trouvent leur atelier de la rue Gabrielle. Il règne alors à Montmartre un vent de liberté et de bohème propice aux nouveaux venus désargentés, en même temps qu’une émulation artistique exceptionnelle. Grâce à une lettre envoyée par Picasso à son ami Ramon Reventós, on sait qu’ils fréquentent immédiatement le Moulin de la Galette et le Divan japonais, célèbre pour ses « déshabillages », ainsi que le cabaret des Truands. De son côté, Casagemas écrit : « Le boulevard de Clichy est plein d’endroits insensés comme Le Neant, L’Enfer, Le Ciel, La Fin du Monde, les 4 z’Arts, le Cabaret des Arts, le Cabaret de Bruant et bien d’autres qui n’ont aucun charme mais qui font beaucoup d’argent[1]. »

Lors de son deuxième voyage à Paris, en 1901, Picasso rencontre Max Jacob, avec qui il partage rapidement une minuscule chambre boulevard Voltaire. Toutes les soirées ou presque se passent alors au Lapin agile, nouveau cabaret du père Frédé, à la demande de qui Picasso exécutera son fameux tableau destiné à orner la salle principale. Au gré des années, il y est en compagnie de Fernande Olivier, Ramon Pichot, Maurice Utrillo, Georges Braque, Maurice de Vlaminck, André Derain, Kees Van Dongen, Pierre Mac Orlan ou André Salmon, entre autres. Mais le cabaret artistique est victime de son succès et, dès 1906, tous ces lieux sont pris d’assaut par les touristes et les bourgeois désireux de s’encanailler, ainsi qu’on peut le lire dans le Guide des plaisirs à Paris, à propos du cabaret Bruant : « Il y a tant d’honnêtes gens et d’honnêtes femmes qui éprouvent une sensation délicieuse à se voir, au moins une fois en leur vie, traités en voyous[2] ! » Inévitablement, la recherche de profit se fait au détriment de l’authenticité ; la « bande à Picasso » fuit le Lapin agile en 1910 et élit domicile à la taverne de l’Ermitage, boulevard de Clichy.

 

[1] Cité par John Richardson avec la collaboration de Marilyn McCully, Vie de Picasso, t. I : 1881-1906, trad. fr. William O. Desmond, Paris, Éd. du Chêne, 1992, p. 160.

[2] Guide des plaisirs à Paris, Paris, Édition photographique, 1899, p. 87.

 

Extraits de « La musique légère dans le Paris de Picasso, de la Belle Époque aux Années folles », par Élise Petit, in C. Godefroy dir. Les Musiques de Picasso, Paris, Éditions de la Philharmonie/Éditions Gallimard, 2020, p. 60-61.

 

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