Dans les années 2010, les projets de Neil Hannon se font plus nombreux et la créativité est toujours au rendez-vous. En témoignent les albums Bang Goes the Knighthood (2010) et Foreverland (2016), un condensé de l'art pop.
Avec la nouvelle décennie qui débute, les albums de Neil Hannon sous pavillon The Divine Comedy vont légèrement s’espacer dans le temps. Cela ne signifie pas que l’inspiration est en baisse, bien au contraire, simplement son statut d’orfèvre étant désormais reconnu à sa juste mesure, de nouvelles sollicitations se présentent à lui. En 2009, avec son truculent comparse de Dublin, Thomas Walsh du groupe Pugwash, il enregistre notamment sous le nom Duckworth Lewis Method un album entièrement consacré au… criquet. Et aussi à leur passion commune pour Electric Light Orchestra. À la demande d’un directeur de théâtre, il adapte également en comédie musicale le livre pour enfants de Arthur Ransome, Swallows and Amazons, dont la première a lieu à Bristol en janvier 2010.
Cinq mois plus tard débarque enfin un nouvel album de Divine Comedy, le premier depuis sa rupture de contrat avec la multinationale EMI et la création de son propre label Divine Comedy Records. Cette prise de contrôle totale de la production de ses disques comme de ses concerts, si elle est moins confortable a priori, se traduit par une embellie artistique éclatante, et Bang Goes the Knighthood possède tous les arômes d’une très haute cuvée, l’une des meilleures de sa carrière. À nouveau enregistré aux studios RAK avec Guy Massey, avec sur la moitié des titres les plantureuses orchestrations de Andrew Skeet, BGTK n’a rien d’une autoproduction fauchée mais apparaît au contraire comme l’œuvre la plus cossue de Hannon, d’une variété de tons et de styles qui provoque bien des éblouissements. La longue suite d’ouverture en trois tableaux, «Down in the Street Below», en est la plus belle illustration, tout comme l’euphorique «I Like» qui referme ce disque de toutes les audaces.
Qu’il laisse parler sa fibre satirique dans une charge à la Ray Davies contre les requins de la finance («The Complete Banker») ou qu’il creuse au plus profond de sa fibre sentimentale («When a Man Cries»), Neil est l’auteur/compositeur de toutes les nuances humaines, doublé d’un mélodiste qui ne semble jamais devoir faiblir. «Neapolitan Girl», «Have You Ever Been in Love» ou «Island Life» en sont d’évidentes démonstrations, comme «Assume the Perpendicular» est l’illustration de son obstination, la chanson datant de ses jeunes années d’apprentissage (sous le nom «October») et ayant été remise sur l’établi de nombreuses fois avant de trouver sa forme accomplie. Un autre titre, «At the Indie Disco», semble évoquer la nostalgie des fêtes lycéennes au son des tubes des Smiths, de The Cure et New Order, mais Neil avouera avoir pour la première fois mis les pieds dans une «disco» peu de temps avant d’écrire la chanson, à l’invitation de Stuart Murdoch de Belle and Sebastian, cette tradition pourtant ici magistralement retranscrite n’existant pas en Irlande du Nord. Être capable d’encapsuler une époque sans l’avoir vécue est la marque des songwriters les plus affûtés, et il en apporte ici une preuve particulièrement éclairante. Dans les chœurs de cette chanson, comme dans ceux de deux autres titres, apparaît la voix acidulée de Cathy Davey, chanteuse irlandaise militante de la cause animale, qui va devenir peu de temps après sa compagne et provoquer des changements dans la vie de Neil qui influenceront l’album suivant, Foreverland.
LE GENTLEMAN-FARMER DE LA POP
Le couple est désormais installé dans la campagne de Dublin, dans une vaste maison qui devient vite un refuge pour animaux (des ânes, des cochons, des chevaux, des chiens, une véritable Arche de Neil) et sert d’inspiration à l’écriture d’un album plus modestement orchestré que le précédent. Comme McCartney avant lui (Ram), Neil Hannon trouve dans la compagnie des bêtes et l’harmonie domestique loin des tumultes urbains une parfaite quiétude de gentleman-farmer. L’album débute par «Napoleon Complex», qui évoque ce syndrome des personnes de petite taille cherchant à compenser leur nature par un destin social hors norme, et ramené à son parcours on peut trouver le parallèle (et l’autodérision qui en émane) assez finement vu. Plusieurs morceaux de bravoure sont encore au programme, notamment «Catherine The Great» (dédié à sa reine Cathy à lui), avec son clavecin étincelant et ses chœurs d’opéra, ou le sublime «To the Rescue», l’une des chansons les plus poignantes de son répertoire, qui résonne à la fois avec leur combat en faveur des animaux et, dans un plan plus large, avec celui des migrants qui affluent sur les côtes anglaises.
Il y a aussi des choses plus légères, comme ce duo très Nancy & Frank Sinatra («Funny Peculiar») avec Cathy Davey, ou les touchants «My Happy Place», «Foreverland» ou «The One Who Loves You» qui traduisent cette sensation nouvelle et exaltante d’un paradis enfin trouvé. Neil Hannon n’hésite plus non plus à se muer en acteur de ses chansons, s’inspirant notamment du répertoire français comme sur «The Pact» (écrit en pensant aux chansons d’Édith Piaf) ou ce «I Joined the Foreign Legion (to Forget)», empreint d’une désuétude assumée comme dans les opérettes d’avant-guerre. C’est avec ce disque souvent charmant que se clôture ce cycle rétrospectif pour les 30 ans de The Divine Comedy, comme on referme un livre dont chaque page nous aura procuré la sensation de partager une fierté immense et de mesurer la chance d’avoir vécu à la même époque que l’un des musiciens et chanteurs les plus brillants de l’histoire de la pop.