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102 min
En intégralité, jusqu’au 31 décembre 2035

Ligeti concertos

Ensemble intercontemporain - Matthias Pintscher
Enregistré le 10 mai 2019 (Grande salle Pierre Boulez - Philharmonie)

Programme

1.
Générique - installation des musiciens
01:22
2.
György Ligeti
Concerto pour piano
27:00

I. Vivace molto ritmico e preciso 
II. Lento e deserto 
III. Vivace cantabile 
IV. Allegro risoluto 
V. Presto luminoso

Composition : 1985-1988. 
Dédicace : à Mario di Bonaventura. 
Création des trois premiers mouvements : le 3 octobre 1986, dans le cadre du Festival Steirischer Herbst de Graz, par Anthony di Bonaventura (piano) et  l’Orchestre Philharmonique de Vienne sous la direction de Mario di Bonaventura. 
Création des mouvements IV et V : le 29 février 1988, à Vienne, par les mêmes interprètes. 
Effectif : piano solo – flûte/flûte piccolo, hautbois, clarinette/clarinette en la/ocarina alto en sol, basson – cor, trompette, trombone – 2 percussions – 2 violons, alto, violoncelle, contrebasse. 
Éditeur : Schott. 
Durée : environ 22 minutes.

J’ai, dans ce concerto, mis en œuvre des conceptions nouvelles tant pour l’harmonie que pour le rythme. Lorsque l’œuvre est bien jouée, c’est-à-dire… à la vitesse requise et avec l’accentuation correcte dans chaque « strate de tempo », elle finit au bout d’un certain temps par « décoller » comme un avion : la complexité rythmique empêche de distinguer chaque structure élémentaire et crée un univers sonore qui paraît planer. Cette dissolution de plusieurs structures élémentaires dans une structure globale, de nature complètement différente, est un des postulats fondamentaux de mes compositions. Depuis la fin des années cinquante, c’est-à-dire depuis les pièces pour orchestre Apparitions et Atmosphères, j’explore cette idée de base en tentant de l’exploiter chaque fois de manière renouvelée.

Le deuxième mouvement (le seul des cinq qui soit lent) possède une construction rythmique rigoureuse, toutefois plus simple que celle du premier mouvement. Du point de vue mélodique, il est basé sur le déploiement d’un mode d’intervalles strictement contrôlé, alternant deux secondes mineures et une seconde majeure de neuf notes par octave (cf le Mode 3 de Messiaen). Ce mode est transposé aux diverses hauteurs et détermine les harmonies du mouvement à l’exception de la section finale. L’orchestre continue alors dans le mode à neuf tons, tandis qu’au piano apparaît une combinaison diatonique (les touches blanches) et pentatonique (les touches noires), créant un miroitement scintillant de « quasi-mélanges ».

J’ai également utilisé, dans ce mouvement, des timbres inusités et des registres extrêmes : piccolo très grave, basson très aigu ; canons de sifflet à coulisse, l’ocarina alto et cuivres avec sourdines ; combinaisons sonores tranchantes du piccolo, de la clarinette et du hautbois au registre le plus aigu ; alternance entre le sifflet-sirène et le xylophone.

Le troisième mouvement possède un rythme complexe particulier. Des configurations mélodiques et rythmiques illusoires apparaissent, superposées à la pulsation fondamentale rapide et constante. J’ai conçu le quatrième mouvement comme le mouvement central du Concerto. Ses éléments mélodiques-rythmiques (cellules germinales ou fragments de motifs) sont en eux-mêmes rudimentaires. Le mouvement commence simplement avec des successions puis des superpositions de ces éléments, formant des mélanges harmoniques. Il en résulte une structure kaléidoscopique, car il n’y a qu’un nombre limité d’éléments qui, tels les éclats du kaléidoscope, réapparaissent toujours sous diverses formes d’augmentation et de diminution. Mystérieusement émerge alors un ordre rythmique complexe de talea secret, d’abord sous forme abstraite, puis, très progressivement comme dans le premier mouvement, composé en deux vitesses, décalées l’une de l’autre (encore une fois avec triolets et duolets, mais avec d’autres structures asymétriques que dans le premier mouvement). Graduellement, les longues pauses initiales s’emplissent de fragments de motifs, et l’on se trouve dans un maelström rythmique-mélodique. Sans changement de tempo. Uniquement par la densité croissante des événements musicaux, une rotation d’éléments successifs et superposés, augmentés et diminués, engendre l’accroissement de la densité qui suggère, en soi, l’accélération.

Le cinquième mouvement, un presto très bref, est le plus complexe quant à la structure rythmique. Il repose sur un développement de l’idée des configurations illusoires du troisième mouvement. Ce mouvement final est caractérisé par une alternance de champs harmoniques comprenant d’une part la combinaison des gammes diatonique et pentatonique, d’autre part une équidistance diagonale résultant des combinaisons des deux gammes par tons décalées d’un demi-ton. Cette étrange combinaison domine aussi la structure harmonique du troisième mouvement.

Mon évolution, dans les années 1980, a été influencée par la conception rythmique des musiques africaines subsahariennes, la conception métrique et rythmique de la musique proportionnelle du XIVe siècle, et la nouvelle science des systèmes dynamiques et des configurations géométriques fractales. Les illusions acoustiques et musicales, si importantes pour moi, ne sont pourtant pas recherchées comme des fins en soi, elles forment plutôt la base de mes considérations esthétiques. J’aime les formes musicales qui sont moins des processus que des objets ; la musique comme temps suspendu, comme un objet dans un espace imaginaire, la musique comme une construction qui, malgré son développement dans le déroulement réel du temps et sa simultanéité dans notre imagination, est présente dans tous ses moments. Abolir le temps, le suspendre, le confiner au moment présent, tel est mon dessein suprême de compositeur.

György Ligeti

3.
György Ligeti
Concerto pour cor
21:45

I. Praeludium 
II. Signale, Tanz, Choral 
III. Aria, Aksak, Hoketus 
IV. Solo, Intermezzo, Mixtur, Kanon 
V. Spectra 
VI. Capriccio

Composition : 1998-1999. 
Dédicace : à Marie Luise Neunecker. 
Création : mouvements I à VI : le 20 janvier 2001, à l’occasion du 50e anniversaire de Das neue Werk à Hambourg, par Marie Luise Neunecker (cor) et le Asko Ensemble, sous la direction de George Benjamin ; pour le mouvement VII : le 30 septembre 2002, à Utrecht, par Marie Luise Neunecker (cor) et le Asko Ensemble sous la direction de Reinbert de Leeuw. 
Effectif : cor/cor double/cor naturel – flûte, flûte/flûte piccolo, hautbois, cor de basset/clarinette, cor de basset/clarinette en mi bémol, basson – 4 cors naturels, trompette, trombone – 2 percussions – 2 violons, alto, violoncelle, contrebasse. 
Éditeur : Schott. 
Durée : environ 15 minutes.

C’est par intérêt pour la recherche de nouvelles harmonies et pour leur concrétisation sonore que j’ai composé ce concerto, qui comprend un cor solo et quatre cors naturels (intégrés à l’orchestre). Depuis plusieurs années déjà, je rejette tant le chromatisme total que le tempérament égal, utilisé depuis plusieurs siècles dans l’histoire de la musique européenne – depuis le Tristan de Wagner, en ce qui concerne le chromatisme. Plusieurs compositeurs d’aujourd’hui partagent ma tentative, quoique certains soient revenus à des tonalités et des modalités simples. […]

Las du chromatisme, je suis à la recherche d’une sorte de diatonisme non tempéré qui admettrait d’autres liaisons harmoniques que celles du tonalisme européen historique. Les cors naturels sont des instruments idéaux pour les systèmes alternatifs de hauteur des sons. Je ne compose pas pour autant une musique harmonique au goût du jour : j’utilise les sons harmoniques pour obtenir des combinaisons d’accords non harmoniques. Je n’ai pas produit de système organisé : je laisse des sons sortir librement pour que se créent, par organisation spontanée, des agencements tonaux non traditionnels. Aux quatre cors naturels se joignent deux cors de basset qui jouent « tempéré » et se fondent dans un timbre à l’unisson avec les cors. Le cor solo joue en alternance du cor en fa-si bémol et du cor naturel en fa, les quatre cors de l’orchestre changent leur accord de mouvement en mouvement ; j’ai obtenu ainsi un riche choix de combinaisons harmoniques.

György Ligeti

4.
György Ligeti
Concerto pour violoncelle
20:01

Composition : 1966. 
Dédicace : à Siegfried Palm. 
Création : le 19 avril 1967, à la Radio Sender-Frei de Berlin, par Siegfried Palm (violoncelle) et l’Orchestre Symphonique de la Radio de Berlin sous la direction d’Henrick Czyz. 
Effectif : violoncelle solo – flûte/flûte piccolo, hautbois/cor anglais, clarinette,  clarinette/clarinette basse, basson – cor, trompette/trompette en , trombone – harpe – 2 violons, alto, violoncelle, contrebasse. 
Éditeur : Peters. 
Durée : environ 14 minutes.

Ligeti avait initialement projeté d’écrire une œuvre en un seul mouvement, faite de vingt-sept fragments enchaînés. Au cours du travail de composition, ce projet a été modifié. La version définitive comprend deux mouvements : le premier, lent et statique, est l’élaboration d’un seul des fragments ; le second regroupe les vingt-six autres, qui restent toutefois indistincts du fait de leur recouvrement partiel.

Le Concerto pour violoncelle s’organise donc en deux volets de durées égales, semblables par leurs dernières mesures, à la façon d’un distique librement rimé. La cadence du soliste qui clôt le second volet (« cadence chuchotée ») se situe au plus loin du pathos des concertos traditionnels. Elle est comme la version figurée de l’événement final du mouvement précédent : un fortissimo abrupt dévoile soudain l’abîme qui sépare les basses profondes du fragile suraigu tenu par le violoncelliste. Le compositeur a pu comparer ce dernier à un « funambule » : la conquête – toute silencieuse dans son vertige même – des harmoniques de plus en plus impraticables l’amène aux limites du possible.

Le second mouvement a également tout d’une « aventure instrumentale ». Mais, contrairement aux œuvres vocales ainsi intitulées – Aventures et Nouvelles Aventures ont été composées respectivement en 1962 et 1965 –, ce n’est plus celle du (non) sens, mais celle d’un point de vue, d’une perspective : ce que Ligeti a appelé la « technique des fenêtres ». Un même paysage sonore qui défile, percé d’ouvertures qui ouvrent sur lui-même, ou sur d’autres percées qui à leur tour le dévoilent… (peut-on encore parler de « variations » ?). Dans cette aventure, un procédé cher au compositeur – et appelé à un développement important dans les œuvres ultérieures – trouve sa place : la superposition de différentes strates de figures rythmiques asynchrones, à la façon d’un mécanisme de précision déréglé (comment ne pas songer au Poème symphonique pour 100 métronomes de 1962 ?).

Le premier mouvement, quant à lui, évolue dans l’atmosphère raréfiée si caractéristique de certaines pièces antérieures, celle précisément d’Atmosphères (1961). Une seule note – quand a-t-elle commencé d’exister ? – est imperceptiblement brouillée pour former un cluster. Dans le même calme, celui-ci conduit à une nouvelle immensité : un si bémol qui s’étend sur cinq octaves (c’est un tel espace qui ouvre la Première Symphonie de Mahler).

Peter Szendy

5.
György Ligeti
Concerto pour violon
32:05

I. Praeludium : Vivacissimo luminoso 
II. Aria – Hoquetus, Choral : Andante con moto 
III. Intermezzo : Presto fluido 
IV. Passacaglia : Lento intenso 
V. Appassionato : Agitato molto

Composition : 1990-1992. 
Dédicace : à Saschko Gawriloff. 
Création de la version en trois mouvements : le 3 novembre 1990, à Cologne, par Saschko Gawriloff (violon) et le Kölner Rundfunk Sinfonie Orchester sous la direction de Gary Bertini ; création de la version complète : le 8 octobre 1992, à Cologne, par Saschko Gawriloff (violon) et l’Ensemble Modern sous la direction de Peter Eötvös. Effectif : violon solo – flûte/flûte en sol/flûte à bec alto, flûte/flûte piccolo/flûte à bec soprano, hautbois/ocarina soprano en ut, clarinette/clarinette en mi bémol/ocarina sopranino en fa, clarinette/clarinette basse/ocarina alto en sol, basson/ocarina soprano en ut – 2 cors, trompette, trombone – 2 percussions – violon (scordatura), 4 violons, alto (scordatura), 2 altos, 2 violoncelles, contrebasse. 
Éditeur : Schott. 
Durée : environ 27 minutes.

Initialement composé de deux mouvements, puis créé dans sa version complète en cinq mouvements à Cologne, le Concerto pour violon a ensuite subi quelques modifications substantielles dans le quatrième mouvement – et de détail dans les autres mouvements. À l’origine de ce concerto, le Trio pour violon, cor et piano et ses substituts de système tempéré : « Le piano est tempéré, le violon joue des quintes pures et, dans les trois premiers mouvements, j’ai écrit pour cor naturel. En entendant ces trois différents niveaux de tempérament, cela m’a donné des idées musicales très spécifiques pour le Concerto pour violon. » La virtuosité du soliste, qui culmine dans la cadence libre du cinquième mouvement où le matériau mélodique employé est laissé à l’initiative de l’interprète, se double d’une virtuosité d’écriture dont l’efficacité paraît emprunter à Haydn ses catégories perceptives. Ainsi, les quintes à vide du premier et du cinquième mouvement engendrent, emblématiques, la constitution d’une dense polyphonie de cordes allégoriques : entre ordre et désordre.

Après l’archétype mécaniste, les clocks (montres) et clouds (nuages) du Poème symphonique pour 100 métronomes, ou la rythmique illusoire et le moto perpetuo du Continuum pour clavecin, ici domine l’hétérogénéité des éléments mis en œuvre – échelles pentatoniques, diatoniques, modales, chromatiques et gammes par tons.

La poétique de Ligeti se nourrit des labyrinthes de quelques écrivains (Jorge Luis Borges, Lewis Carroll, Franz Kafka ou Sándor Weöres), mais aussi des gravures paradoxales de Maurits C. Escher, des thèses du zoologue Hansjochem Autrum ou de l’historien de l’art Ernst Gombrich, des fractales de Benoît Mandelbrot, et des représentations graphiques de limites complexes réalisées par Heinz-Otto Peitgen et Peter H. Richter. De telles références, qu’elles soient littéraires ou scientifiques, dénotent un contexte d’illusions et manifestent une pensée générative de la forme musicale qui féconde idée et matériau, entendement et invention, construction et imagination poétique, et qui réalise « un organisme musical nouveau, se nourrissant aux sources mêmes de ses prélèvements et intégrant dans son métabolisme l’énergie de ses ingestions », selon Denys Bouliane.

Et les emprunts musicaux s’accumulent, eux aussi, dans le Concerto de Ligeti, avec la même soif et le même détachement, non exempt d’ironie et d’esprit ludique : de la technique médiévale du hoquet aux réminiscences de la troisième de ses propres Six Bagatelles, laquelle devient cantus firmus. Ou encore : le dépouillement de chorals se souvenant des Symphonies d’instruments à vent de Stravinsky dans le deuxième mouvement ; l’effet de flûte à la fin du cinquième, dérivé de la Quatrième Symphonie de Chostakovitch ; les pulsations complexes de la musique subsaharienne ; les inhumaines combinatoires rythmiques et métriques des Études de Nancarrow ; la notation proportionnelle et l’isorythmie de l’Ars Nova ; l’aria du deuxième mouvement et la passacaille du quatrième, inscrits dans une esthétique renaissante ; l’extension du principe de l’hémiole baroque 1 ; les Phantasiestücke de Schumann ; les ostinati rythmiques et les accentuations irrégulières de Bartók, symboles d’une asymétrie fondatrice (3+2+2+2 croches dans le premier et le troisième mouvement) ; l’lntermezzo avec ses gammes chromatiques sans fin.

Laurent Feneyrou

Dans ce deuxième volet de son portrait Ligeti, l’Ensemble intercontemporain nous livre une intégrale exceptionnelle de son œuvre concertante, qu’il a partiellement enregistrée en 2015.

Une intégrale extrêmement contrastée, tant la musique de Ligeti a subi de mutations et métamorphoses au fil des ans : chacun de ces quatre concertos est ainsi emblématique de la période dans laquelle il s’inscrit. Le Concerto pour violoncelle (1966) est typique de sa production des années 1960 : une musique qui délaisse la hauteur pour l’agrégat sonore, dont les lentes évolutions internes donnent naissance à un fascinant kaléidoscope de couleurs timbrales. Composé vingt ans plus tard, le Concerto pour piano présente plutôt un kaléidoscope rythmique, Ligeti s’inspirant des polyrythmies africaines et des géométries fractales. Dans son Concerto pour violon, en 1992, il cherche à s’affranchir du système d’échelles de hauteur tempéré, la microtonalité introduisant une esthétique sonore plus instable, au sein d’une œuvre par ailleurs très lyrique. Ce travail se poursuit sur son versant harmonique dans son Concerto pour cor (1998-2003), en juxtaposant le cor solo (qui alterne entre un cor d’harmonie en fa et si bémol et un cor naturel en fa) avec quatre cors naturels accordés chacun différemment au sein de l’orchestre. Ligeti intitulera ce dernier « Concerto hambourgeois », en hommage à sa ville adoptive en même temps qu’en référence à Bach.

Coproduction Ensemble Intercontemporain, Philharmonie de Paris

En partenariat avec

Distribution

Ensemble intercontemporain
Matthias Pintscher, direction
Sébastien Vichard, piano
Hae-Sun Kang, violon
Pierre Strauch, violoncelle
Jens McManama, cor

Compositeurs - Auteurs

György Ligeti