Orchestre de Paris / Christoph von Dohnányi
Programme
I. Allegro
II. Adagio
III. Finale : Presto
Composition : 1763.
Création : le 19 février 1763 (date probable) au château Esterháza.
Effectif : 2 hautbois,1 basson – 2 cors – clavecin – cordes.
Durée : environ 16 minutes.
La Symphonie n° 12 de Haydn appartient au groupe des œuvres composées peu après l’entrée de Haydn en 1761 au service de la famille Esterházy, à laquelle il resta lié pendant plus de trente ans ; cette situation, où le compositeur avait à son entière disposition un certain nombre de musiciens et de chanteurs, eut sur sa productivité et l’évolution de son style un effet particulièrement bénéfique.
Composée en 1763, cette Douzième Symphonie – ne nous fions pas à cette numérotation : Haydn avait déjà écrit une vingtaine de symphonies avant même la période d’Eisenstadt (1761-1765), particulièrement féconde sur ce plan – fut peut-être entendue lors d’un concert organisé le 19 février de cette même année par Nikolaus Esterházy, « Nicolas le Magnifique». Comme la plupart des symphonies jusqu’en 1776, elle est écrite pour un orchestre comprenant deux hautbois, deux cors, deux parties de violon, une partie d’alto et la basse (qui réunit violoncelle, contrebasse et basson), reflet des forces musicales dont Haydn dispose alors.
Alors que la plupart des symphonies haydéniennes de cette époque commencent d’adopter la coupe « moderne » (en quatre mouvements), la Symphonie n°12, qui est l’une des plus courtes du compositeur, s’organise en trois mouvements seulement, évoquant la sinfonia d’opéra également tripartite – un univers dont certains passages semblent ici se souvenir. Dans la tonalité rare de mi majeur (on en trouve un seul autre exemple chez Haydn, la Symphonie n°29, et un chez Schubert, la Symphonie D. 729), elle s’ouvre sur un Allegro entraînant aux effets orchestraux efficaces et se clôt sur un Finale plus emporté encore avec une mélodie pleine d’élan. Le mouvement central, faisant appel aux cordes seules, est une sicilienne tout en émotion dont la gestion du discours, entre suspens et bifurcations, préfigure le style Sturm und Drang (que l’on pourrait traduire en français par « orage et passion ») que Joseph Haydn adoptera à partir de 1766.
Composition : 1972.
Création : le 16 septembre 1972, aux Berliner Festwochen, par l’Orchestre philharmonique de Berlin sous la direction de Christoph von Dohnányi, avec Karlheinz Zöller à la flûte et Lothar Koch au hautbois.
Effectif : 3 flûtes (aussi piccolos), 3 hautbois (le 2e aussi hautbois d'amour, le 3e aussi cor anglais), 2 clarinettes (la 2e aussi petite clarinette), clarinette basse, 3 bassons (le 3e aussi contrebasson) – 2 cors, trompette, trombone – percussion, célesta – harpe – cordes.
Durée : environ 15 minutes.
Le premier concerto pour soliste de Ligeti, le Concerto pour violoncelle de 1966, montre le compositeur hongrois revisiter le genre, et plus précisément, comme le note Karol Beffa, « reconsidérer le rapport du soliste et de l’orchestre ; concevoir autrement la notion de virtuosité; introduire de nouvelles techniques de jeu ; faire entendre le son autrement, en termes de hauteur, de timbre, de nuances, et non seulement en termes de mélodie et d’harmonie.» Tout en témoignant de l’évolution du compositeur, les partitions suivantes (Double Concerto pour flûte et hautbois en 1972, Concerto pour piano de 1985-1988, Concerto pour violon de 1989-1993 et Hamburg Concerto pour cor achevé en 2003) révèlent la même démarche.
Dans L’Atelier du compositeur, Ligeti explique ainsi à propos de l’œuvre pour flûte et hautbois: « La dénomination « Concerto » ne fait pas référence à la forme concertante traditionnelle mais au traitement des instruments: dans ce Double Concerto, deux instruments à vent, la flûte et le hautbois, sont utilisés de façon virtuose et concertante. Bien qu’ils dominent, ils ne forment pas une couche en contraste comme dans les concertos traditionnels, mais se mélangent, s’amalgament et se combinent de diverses façons aux autres instruments de l’orchestre ; l’orchestre lui-même est traité de façon concertante. » Joseph Delaplace, parlant d’une « conception nouvelle du rôle du soliste », précise : « L’ensemble orchestral étoffe […] le discours de la flûte et du hautbois, il fait miroiter les complexes mélodiques en perpétuel mouvement, comme si le son des solistes était exploré de l’intérieur. » On note l’absence de violons dans l’orchestre – c’est aussi le cas de l’œuvre Clock and Clouds, qui en est contemporaine –, marque d’un certain tropisme vers les sonorités médium-grave auxquelles concourt également l’utilisation de la flûte alto ou de la flûte basse par le soliste (la flûte traversière classique n’apparaissant qu’au cours du second mouvement), ainsi que la présence du hautbois d’amour, référence baroque particulièrement chère au Ligeti de cette époque.
L’articulation de l’œuvre en deux mouvements, comme c’était déjà le cas du Concerto pour violoncelle, évoque un précédent hongrois volontiers utilisé par Liszt, le traditionnel verbunkos (danse hongroise de recrutement militaire) qui enchaîne lassan (lent) et friska (rapide), les figurations rapides de l’Allegro corrente contrastant ici avec les grands accords évoluant lentement du Calmo initial. Les microintervalles, dont les conditions d’exécution sont parfois laissées à la discrétion des instrumentistes, y sont utilisés de manière à ce que « l’harmonie à douze sons menace constamment d’éclater comme une bulle de savon » (Ligeti), et ils participent à conférer à l’œuvre une puissance évocatrice clairement sensuelle en suscitant chez l’auditeur la sensation de variations lumineuses.
I. Allegro con brio
II. Andante
III. Poco allegretto
IV. Allegro
Composition : en 1883 à Wiesbaden.
Création : le 2 décembre 1883 à Vienne, par l’orchestre de la Philharmonie de Vienne sous la direction de Hans Richter.
Effectif : 2 flûtes, 2 hautbois, 2 clarinettes, 2 bassons, contrebasson) – 4 cors, 2 trompettes, 3 trombones – timbales – cordes.
Durée : environ 33 minutes.
« Je ne composerai jamais de symphonie ! », promit Brahms en 1870 au chef d’orchestre Hermann Levi. « Tu n’as pas la moindre idée de ce que c’est qu’entendre continuellement derrière soi les pas d’un géant ! » Non que le jeune homme doutât de ses talents d’orchestrateur: il comptait déjà à son actif les deux Sérénades et le Premier Concerto pour piano, et le récent succès des Variations sur un thème de Haydn ne pouvait que l’encourager. Mais, s’agissant de manier une forme plus vaste, le poids du « géant » (Beethoven) était trop écrasant. En 1870, la Première Symphonie était déjà en chantier depuis quinze ans ; elle ne progressa vraiment que durant l'été 1874, pour être achevée deux ans plus tard, après une gestation record de vingt et un ans. Brahms était libéré : la Deuxième Symphonie naquit dans la foulée en moins de quatre mois, de juin à octobre 1877. Quatre mois suffirent également pour la Troisième Symphonie, en 1883. Et Brahms passa les deux étés suivants (1884 et 1885) à sa Quatrième Symphonie, couronnée par une éblouissante passacaille.
Brahms avait cinquante ans lorsqu’il écrivit sa Troisième Symphonie. Comme chaque année, il mena cette composition durant l’été, la vie trépidante qu’il menait le reste du temps ne lui laissant pas un tel loisir. Pour une fois, il fit une infidélité aux Alpes autrichiennes et opta pour une croisière sur le Rhin ; inspiré par Wiesbaden, il y loua un logement avec vue sur la vallée, et c’est là que la symphonie vit le jour. On pourrait donc y voir un pendant à la « Rhénane » de Robert Schumann, le mentor de Brahms, qui porte elle aussi le numéro 3. Mais, dans une lettre célèbre envoyée à Brahms le 11 février 1884, Clara, la veuve de Schumann, préféra voir en cette partition une « idylle sylvestre » (Waldidylle).
C’est pourtant à une autre amitié que renvoie la Troisième Symphonie, aussi profonde que celle liant Brahms à Clara Schumann : celle qu’il a nouée trente ans plus tôt avec Joseph Joachim, le dédicataire du Concerto pour violon. Le violoniste hongrois avait adopté la devise F.A.E., « Frei aber einsam» (Libre mais solitaire), traduite musicalement (selon la notation allemande) par les notes fa-la-mi; Brahms lui avait répondu avec F.A.F., « Frei aber froh » (Libre mais heureux), soit fa-la-fa. Ce motif ouvre solennellement la symphonie, porté par trois accords qui forment un portique grandiose. Puis il se glissera régulièrement dans le tissu symphonique, de manière évidente ou plus secrète, participant à la cohésion de l’ensemble.
Dense et complexe, le premier mouvement tente de réaliser cette devise ; trois accords soutiennent le motif ascendant, héroïque, confié au pupitre des vents, dont Brahms tirera le matériel thématique du mouvement, sorte de motif originel à partir duquel s’élabore le discours. Page toute de poésie et de grâce, ce thème exprime on ne peut mieux la simplicité recherchée dans le retour aux sources populaires. Dans une nuance générale piano, ou dolce, où domine le timbre des clarinettes et des bassons, l’Andante instaure un dialogue élégiaque entre vents et cordes, morceau de musique de chambre tout en retenue. Le climat général débute dans une grande intériorité puis évolue vers une plus grande expressivité. Le troisième mouvement doit sa célébrité à la magnifique mélodie présentée par les violoncelles et reprise par diverses combinaisons instrumentales – l’une des plus belles est le solo de cor où l’instrument reste dans d’émouvantes demi-teintes. Le foisonnant finale renoue avec la grandeur et les tensions du premier mouvement. Le mystérieux thème qui débute l’Allegro final projette l’auditeur dans une « ballade nordique » où violence, douceur et héroïsme s’affrontent. Grave et aux bassons, il assombrit d’emblée le propos. Un thème secondaire apparaît bientôt, brève réminiscence de la partie centrale de l’Andante, avant le déchirement mélodique des violons et des bois et l’explosion de contrastes rythmiques qui engendrent le second thème. Équilibre dans le déséquilibre ; le flot puissant du discours musical balaie sur son passage des fragments de thèmes, avant que la paix céleste ne revienne avec le rappel du motif initial du premier mouvement. L'œuvre se concluant, dans une apothéose quasi wagnérienne, sur une citation, aux cordes, du thème principal de ce même mouvement..
Claire Delamarche
Christoph von Dohnányi a été premier chef invité de l’Orchestre de Paris de 1998 à 2000. Il n’aimait rien tant qu’offrir au public l’occasion de voyager dans le temps en mêlant les répertoires : dans ce concert de 2019, le dernier qu’il ait donné avec l’orchestre, le classique avec Haydn, le romantisme avec Brahms et le vingtième siècle avec Ligeti.
Bien que ne figurant pas au nombre de ses partitions les plus connues, la concise Douzième Symphonie de Haydn culmine dans un Adagio noblement expressif. Malgré son ampleur, la Troisième Symphonie de Brahms se caractérise par son intimiste et prenant lyrisme. Violoncelles et cors magnifient le thème si nostalgique du troisième mouvement, repris de nombreuses fois dans des chansons et musiques de films. Très à l’aise notamment dans le répertoire moderne, Christoph von Dohnányi a toujours accordé à Ligeti une place de choix dans ses programmes, le grand chef allemand assurant lui-même la création, à Berlin en 1972, du Double Concerto pour flûte et hautbois.