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Cage², un piano préparé à la danse

Publié le 14 mai 2024 — par Thomas Hahn

— Élodie Sicard - © Alain Julien

Conçues à l'origine comme des solos dansés pour Merce Cunningham, les premières œuvres de John Cage pour piano préparé affirmaient le lien essentiel entre musique et danse. Ce dialogue est prolongé et étendu par Bertrand Chamayou et Élodie Sicard.
— Cage² – Bertrand Chamayou, Elodie Sicard // la Scène nationale d'Orléans

Entre la musique de John Cage (1912-1992) et l’art chorégraphique, d’intenses liens se sont tissés, quasiment dès ses débuts. En 1937, la danse entre dans la vie du compositeur qui accompagne une classe de ballet à la Cornish School of Allied Arts de Seattle. C’est là qu’il rencontre pour la première fois Merce Cunningham, un danseur de grand talent. Et la danse commence alors à influencer l’univers de Cage. Ainsi ses premières pièces pour piano préparé, composées entre 1940 et 1945, s’adressent-elles directement à des œuvres chorégraphiques. 

En 1940, on lui demande d’accompagner en musique la création Bacchanale de la chorégraphe et danseuse afro-américaine Syvilla Fort (1917-1975), mais le plateau est trop étriqué pour y déployer la panoplie de percussions. D’où l’idée de « préparer » le piano du théâtre en introduisant des objets de divers matériaux entre les cordes afin de créer une diversité percussive, en écho aux expérimentations de Henry Cowell (1897-1965), pionnier et penseur du renouvellement musical. Le rôle de ce compositeur visionnaire est d’autant plus décisif que celui-ci fut l’un des professeurs de Cage, qui étudia également avec Adolph Weiss (1891-1971) et Arnold Schönberg (1874-1951). 

Dans les années 1940, tout change pour Cage, avec le début de sa collaboration avec Cunningham. C'est aussi la fin de son mariage avec la peintre et plasticienne Xenia Andreyevna Kashevaroff (1913-1995). En février 1943, Cage donne un récital au MoMA de New York et grâce à la reconnaissance qui s’ensuit, il intègre l’avant-garde américaine. Dans le même temps, il commence à se passionner pour les philosophies et musiques orientales, intégrant certaines influences de la philosophie indienne dans ses compositions. En introduisant le hasard (« chance ») – plus tard aussi utilisé par Merce Cunningham en danse – dans le processus de création musicale, Cage interroge le statut d’auteur et d’œuvre. 

Entre 1946 et 1948, il compose pour piano préparé son cycle Sonates et Interludes, le titre jouant des contrastes avec le modèle classique. On y est loin de la radicalité déconstructive qui a pu amener Cage jusqu’à son 4’33’’, où il efface complètement la musique, pour ouvrir la voie à l’écoute des bruits environnants, le silence révélant la musique qui sommeille en toute chose. Mais contrairement à l’interprète de 4’33’’ – qui reste assis face au clavier sans frapper les touches – le pianiste Bertrand Chamayou, couronné en 2023 de sa cinquième Victoire de la musique classique (en tant que soliste instrumental de l’année), interprète ici des œuvres bien musicales et sonores de Cage. 

Intime connaisseur du piano préparé du grand New-Yorkais, Chamayou rebondit sur la vocation chorégraphique des Sonates et Interludes, offrant à la chorégraphe Élodie Sicard une complicité qui leur permet de présenter une création pluridisciplinaire, où les échanges atmosphériques et rythmiques construisent de véritables paysages mentaux et physiques, réinventant la relation Cage-Cunningham. Et s’il est vrai que Chamayou cultive une grande passion pour Ravel (il est président et directeur artistique du Festival et de l’Académie Ravel en Pays Basque), son dernier album est consacré à la fois à John Cage et à Erik Satie. 

Élodie Sicard, dont les pièces sont programmées dans de nombreux festivals et concours où se définit l’art chorégraphique de demain, est à son tour une vaillante exploratrice d’univers musicaux, toujours prête à partager le plateau, tantôt avec des percussions (Rebonds et Métaux de Iannis Xenakis), tantôt avec un chanteur-corniste ou de la musique de transe thérapeutique. En rendant hommage à John Cage, elle accueille avec bonheur « l’idée d’un corps en mouvement comme extension des étranges et merveilleuses vibrations émanant de ce piano détourné » pour « approfondir la question de la matérialisation du sonore », dans une relation d’alter ego entre la danse et la musique. 

Thomas Hahn

Journaliste de danse, Thomas Hahn est rédacteur pour dansercanalhistorique.fr et la revue Transfuge, ainsi que le correspondant en France de la revue allemande tanz. Il contribue à des livres sur la danse et est rédacteur pour des magazines spécialisés en scénographie.