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Festival de Jérusalem : Mozart sous le regard de Fanny et Felix Mendelssohn

Publié le 24 février 2023 — par Olivier Lexa

— Elena Bashkirova, pianiste soliste du Festival de Jérusalem - © Nikolaj Lund

Le Festival de Jérusalem met à l’honneur la famille Mendelssohn en proposant de redécouvrir des pièces méconnues de Fanny et de Felix, pleinement représentatives de l'idéalisme allemand.
— Fanny Mendelssoh, Trio en ré mineur op. 11 - Trio Chausson (avril 2022)

Le lied, la clarinette et l’influence de la forme classique : voici les trois idées maîtresses qui président aux programmes de ces deux concerts. Elles unissent Felix Mendelssohn et sa sœur Fanny autour de leur dévotion pour le modèle mozartien qui, dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, côtoie l’émergence de nouveaux instruments et de formes musicales inédites. La musique romantique allemande, dont les Mendelssohn sont aujourd’hui d’incontournables représentants, naît en partie d’une nouvelle réflexion autour du texte chanté et des timbres sonores procurant des émotions profondes et indicibles. Nés au sein d’une riche famille juive éclairée et convertie par leur père au protestantisme luthérien, Felix et Fanny grandissent dans une maison qui demeure un lieu de rendez-vous de l’intelligentsia berlinoise. Parmi leurs hôtes, on compte Hegel, Heine et on présente Felix à peine âgé de onze ans à Goethe. De fait, toute l’œuvre des Mendelssohn sera une expression de l’idéalisme allemand à peine né. Celui-ci tourne l’ultime page du chapitre des Lumières dans la pensée occidentale : on répond au rationalisme systématique du XVIIIe siècle par un retour à l’abstraction, aux sentiments indéfinissables et à l’aspiration à une réalité supérieure. Seule discipline artistique non représentative, la musique devient la forme d’expression privilégiée du romantisme. Pour dire les sentiments les plus profonds, les œuvres instrumentales surpassent les mots, d’où les 64 Romances sans paroles de Felix et la centaine de pièces pour piano de Fanny.

— Fanny Mendelssohn - © Lebrecht Music Arts / Bridgeman Images

Au centre du dualisme entre la musique, abstraite par définition, et la poésie, lourde de sens, il y a le lied. Aux yeux du pur lecteur, la musique phagocyte la poésie, elle demeure un obstacle à sa compréhension ; pour le mélomane, le poème n’est qu’un prétexte à l’invention musicale, il est souvent gênant. Le prodige naît de cette invraisemblable association, que l’on trouve d’ailleurs au centre de la culture luthérienne allemande : le lied est né de la mise en musique du texte sacré sous une forme simple afin que celui-ci soit facilement compris. L’idée romantique selon laquelle la musique élève la parole est donc ancienne en Allemagne. La question est d’ailleurs centrale pour Felix puisque c’est à lui que l’on doit la redécouverte de la Passion selon saint Matthieu de Bach, œuvre-phare de l’art luthérien. Après la période baroque, l’accompagnement de la voix passe progressivement de la basse-continue au piano, instrument alors en plein essor ; les meilleurs exemples de premiers lieder dans leur forme moderne sont ceux de Mozart. Enfin, à l’orée du romantisme, le lied se développe notamment avec la jeune Fanny Mendelssohn qui y voue ses premières compositions alors qu’elle est encore une adolescente : elle composera, toute sa vie durant, près de 250 lieder ! Avec elle, cette forme devient l’art de l’humilité, de la simplicité, de la délicatesse. La sophistication s’y abrite derrière un naturel subtil.

— Felix Mendelssohn - © Lebrecht Music Arts / Bridgeman Images

On peut d’ailleurs se demander si cette humilité relève du choix de la compositrice, ou si celle-ci y a été forcée. De quatre ans l’aînée de Felix, Fanny a été avant lui une enfant prodige, surdouée pour la musique. Âgée de 13 ans à peine, elle surprend sa famille en jouant par cœur l'intégralité des préludes du premier livre du Clavier bien tempéré de Bach. Déjà nombreuses, ses compositions dévoilent un talent hors du commun. Mais le père Mendelssohn a une idée rétrograde, représentative de son époque, du rôle de la femme : elle devra se consacrer à son foyer. Ainsi, tandis que Fanny doit se limiter au salon musical de la famille, les parents Mendelssohn offrent tous les dimanches à Felix, leur deuxième enfant aux talents précoces, un orchestre lui permettant d’expérimenter ses dons de compositeurs. À seize ans, Felix est déjà l’auteur de treize symphonies pour orchestre à cordes, d’une première grande symphonie, d’un octuor et de cinq concertos pour violon ou pour piano. L’année suivante, son père finance la publication de sa musique pour Le Songe d’une nuit d'été. Pour lancer sa carrière, on sacrifie celle de sa sœur. Le père se justifie auprès de sa fille dans une lettre : « La musique deviendra peut-être pour Felix son métier, mais pour toi elle doit seulement rester un agrément : jamais la base de ton existence et de tes actes. » Très proche de sa sœur, Felix n’est néanmoins pas en reste : « L’encourager à publier quoi que ce soit, je ne le peux, car ce serait aller contre mes convictions. Nous avons souvent discuté fermement de cela et je maintiens tout à fait mon opinion. Fanny, telle que je la connais, n’a jamais souhaité devenir compositrice ni avoir une vocation pour cela ; elle est trop femme. » Autres temps, autres mœurs… Mais le caractère de Fanny lui permet de prendre du recul et d’admirer sincèrement son frère. On lui a tellement interdit d’avoir autant de talent que lui qu’elle a sans doute fini par le croire. Elle l’accompagne sans cesse dans des joutes pianistiques et des conversations sur la composition ; le frère et la sœur resteront très liés toute leur vie durant. En 1829, Fanny épouse le peintre Wilhelm Hensel qui l’encourage à jouer et, contrairement à sa famille, l’incite à publier ses œuvres. Lorsque Fanny meurt d’une crise d’apoplexie à l’âge de 41 ans, son frère est dévasté : il ne lui survit que de cinq mois. Son catalogue compte alors 321 œuvres, alors que sa sœur en a composé… 460.

— Felix Mendelssohn, Neue Liebe - Anja Zügner & Julia Aldinger

Les pièces instrumentales de Fanny et Felix ici interprétées s’inscrivent dans la lignée du Quintette avec clarinette de Mozart. Créé pour l’instrumentiste Anton Stadler, un ami très proche du compositeur qui fréquente la même loge maçonnique que lui, ce quintette érige la clarinette en symbole de la fraternité. Il date de 1789, une année douloureuse pour Mozart qui rend son amitié avec Stadler plus nécessaire que jamais. La tonalité lumineuse de la majeur exprime une profondeur traversée par des éclats de joie, comme un sourire à travers les larmes. Le timbre si particulier de la clarinette, instrument encore récent, attire les compositeurs du premier romantisme pour la musique de chambre : on est alors à la recherche, dans un cadre intime, de nouvelles formes d’expression des sentiments. Une nostalgie que l’on peut qualifier de mozartienne irrigue les œuvres que Felix Mendelssohn consacre à l’instrument : les Opus 113 et 114, tous deux en trois mouvements, ainsi que les trois pièces arrangées par Ernest Naumann nous aident à comprendre que Mendelssohn n’est pas considéré comme « le plus classique des romantiques » seulement à cause de son affection pour les compositeurs du passé, mais aussi par l’équilibre permanent qui habite ces compositions. Équilibre entre le lyrisme et la légèreté, la poésie et l’entrain que Fanny déploie à sa suite avec son trio et son quatuor, dans des proportions nous démontrant qu’elle n’était pas une compositrice moins méritante que son frère. Ces deux pièces nous emportent dans un souffle romantique, un langage personnel qui, là aussi, rend hommage à l’émotion mozartienne, mais en s’affranchissant du modèle classique pour partir à la recherche de nouvelles dimensions.

— Mozart, Quintette pour clarinette et cordes K 581 - Armida Quartet & Sabine Meyer

Dans le programme de ces deux concerts, le frère et la sœur se rejoignent davantage autour de leurs lieder. La nuit, la nature, le voyage et l’amour sont les thèmes récurrents des poèmes qu’ils ont choisis pour dépeindre leurs sentiments les plus intimes. Les huit chansons signées par Felix ici réunies et revisitées par Aribert Reimann, un des plus grand compositeurs contemporains allemands, sont un hommage commandé par le Festival de Schwetzingen en 1996. Magnifiquement arrangées pour soprano et quatuor à cordes, elles alternent avec six intermèdes imaginés par Reimann. Ils répondent à trois lieder de Fanny où l’accompagnement du piano, comme celui du quatuor à cordes, soutient et répond tour à tour à la soprano dans l’expression d’une duplicité semblable à la relation qui unissait le frère et la sœur : concurrents par la force des choses, mais unis à jamais par un indicible amour fraternel, né et mort avec eux. Avec la mélodie qu’il a écrite sur un poème français lors de son séjour à Paris, Dans un bois solitaire, Mozart interprète un sentiment semblable en composant la musique du quatrain final : « Va ! Va ! dit-il, / De nouveau languir et brûler ! / Tu l’aimeras toute la vie, / Pour avoir osé m’éveiller. »

— Mendelssohn/Reimann - ...oder soll es Tod bedeuten?
Olivier Lexa

Auteur et metteur en scène, Olivier Lexa a publié huit ouvrages portant essentiellement sur la musique et l’opéra ; il a créé différents spectacles en Europe et aux États-Unis. Il effectue régulièrement des travaux de dramaturgie, notamment pour le Teatro alla Scala à Milan.