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James Thierrée, un Mo’ haut en couleur

Publié le 24 mai 2022 — par Pascal Bertin

— James Thierrée - © Richard Haughton

Avec MO’s, spectacle né de la période de pandémie, le fantasque touche-à-tout ajoute la corde vocale à son arc déjà bien fourni de chef d’orchestre, musicien, circassien et danseur.

— MO's concert

Certains héritages familiaux se révèlent aussi des fardeaux bien lourds à porter. James Thierrée s’est brillamment affranchi du sien, l’honorant à sa façon tout en se faisant un nom bien à lui. Petit-fils du monument Charlie Chaplin, il a brillamment créé son propre univers artistique, dont le spectacle MO’s constitue une pièce essentielle, au croisement de la musique, de la danse et du cirque.

Né le 2 mai 1974, James a pour parents Victoria Chaplin et le comédien Jean-Baptiste Thierrée. Quelques années plus tôt, le couple a donné naissance au Cirque Bonjour, un projet novateur –sans animaux– qui interpelle l’imaginaire du spectateur sans jouer la surenchère de performances physiques. Il se transformera par la suite en Cirque Imaginaire puis en Cirque Invisible, autant d’occasions pour eux de bousculer le genre.

Tandis que son Charlie de grand-père disparaît alors qu’il n’a que trois ans, James vit une enfance forcément imprégnée des passions artistiques familiales. Au programme des spectacles de ses parents, il présente très vite des numéros d'acrobaties au sol, de trapèze et de bicyclette acrobatique, et vit au rythme de leurs tournées. C’est aussi le cadre idéal pour apprendre la danse et le violon, et s'initier à la magie et au mime. Sa formation de comédien passe ensuite par le Piccolo Teatro de Milan, la Harvard Theatre School de Boston, le Conservatoire national supérieur d'art dramatique de Paris, et le cours du metteur en scène belge Robert Cordier. Musique, danse et comédie s’imposent comme ses cordes supplémentaires, celles qui le singularisent au milieu de la tradition cultivée par ses aïeuls.

UN CRÉATEUR TOUCHE-À-TOUT

Ses prolifiques études terminées, Thierrée fonde en 1998 la Compagnie du Hanneton, au premier spectacle presque homonyme: La Symphonie du hanneton. Pourquoi un tel attachement à cet insecte? Parce qu’enfant, c’est le surnom que son père donnait au petit James quand il allait, le matin, de son lit à celui de ses parents, en virevoltant et en trébuchant. Associant théâtre, voltige, jonglage, acrobatie, contorsion, danse et chant lyrique, La Symphonie du hanneton est écrite sous la forme d’un rêve et donne déjà la mesure de l’œuvre en gestation de Thierrée. Énorme succès international: son auteur est récompensé du prix Adami en 2005, de quatre Molières en 2006, et lance magistralement sa carrière.

Celle-ci se poursuit avec d’autres créations marquantes: La Veillée des abysses (2003), Au revoir parapluie (2007), Raoul (2009), Tabac rouge (2012), La Grenouille avait raison (2016) et Frôlons (2018). Entretemps, il fait des incursions au théâtre et au cinéma, sous la direction, entre autres, de Peter Greenaway, Bob Wilson, Coline Serreau, Raul Ruiz, Claude Miller ou Jacques Doillon. Il tient notamment le rôle de Taloche dans Liberté, film de Tony Gatlif. En 2016, il joue le clown blanc Footit dans le film Chocolat de Roschdy Zem aux côtés d’Omar Sy, performance qui lui vaut le César du meilleur acteur dans un second rôle. Génial touche-à-tout, il met aussi ses talents de scénographe au service de la tournée de M en 2013.

— Mo's -The Damn Jam Concerto - Compagnie du Hanneton, James Thierrée

MO'S, UNE FANTASMAGORIE DÉBRIDÉE

Avec MO’s, Thierrée inscrit son travail dans le prolongement de l’inventivité dont il a fait preuve durant ces vingt dernières années, sans pour autant donner l’impression de se répéter. «Roman-concert, carrousel mélo harmonique débridé, toupie folle emportant corps et instruments en une valse tellurique des lendemains qui chantent aujourd’hui», voilà les mots qu’il utilise lui-même pour définir le spectacle. Plus concrètement, on décrira sa performance par la conjugaison de tous ses talents précédemment exercés, auxquels il ajoute cette fois celui de chanteur. Créé au printemps 2021, MO’s doit son existence à la pandémie de Covid-19 qui a interrompu la réalisation de l’ambitieuse coproduction Room qui, depuis, a été reprogrammée cette année. Bien que fermées au public, les portes des théâtres restent alors ouvertes aux artistes, ce qui ne manque pas de l’inspirer. Il apprend aussi à apprivoiser sa voix.

Face au besoin d’expression apparu, un spectacle spontané, purement musical, s’impose à Thierrée, tel un jaillissement créatif, conçu dans l’urgence en se servant des recherches effectuées pour Room, aboutissant à ce qu’il résume comme un «concert-manifeste d’un artiste imaginaire.» Ainsi naît le personnage de Mo’, à la fois avatar et alter-ego, derrière lequel il endosse les rôles de chanteur, chef d’orchestre, musicien, danseur… «Mo’ is back. Disparu. Revenu. Inventé. Fantasmé. Toujours là depuis toujours, Mo’ Lazare  est de retour avec sa bande pour un ultime concert. Une  frappe intimement ba-rock, comme il les aime.» Autour de lui, six samouraïs musiciens concoctent une bande-son fantasmagorique et baroque, entre rock et électro. Deux danseuses l’accompagnent du geste, à tour de rôle amies ou ennemies. Voir et entendre James Thierrée chanter ne doit surtout pas laisser supposer qu’il s’est assagi. L’artiste traite l’exercice vocal à la manière des disciplines auxquelles il se confronte, en acrobate sans filet, à la recherche de l’expérience extrême et de la mise en danger permanente, d’autant qu’il n’est pas question de la pratiquer en délaissant ses autres passions. Cela donne un résultat bouillonnant, foisonnant, enthousiasmant– à l'image des Temps modernes de son grand-père.

Pascal Bertin

Journaliste et auteur, Pascal Bertin est le collaborateur régulier de Libération, Tsugi, Getup Radio, Vice France, ainsi que de la SACEM, du Printemps de Bourges et du CDN de Reims.