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Joe Hisaishi, la rencontre de la musique de film et de la forme symphonique

Publié le 06 avril 2022 — par Krishvy Naëck

— Joe Hisaishi - © Wonder City Orchestra

Compositeur à succès des films de Miyazaki, Joe Hisaishi est aussi un arrangeur et un pianiste reconnu, toujours en quête de nouvelles sonorités. 

— Joe Hisaishi in Budokan : Princess Mononoke

Il est l’illustre compositeur qui chemine aux côtés de Hayao Miyazaki depuis Nausicaä de la vallée du vent (1984) jusqu’à son dernier film en date, Le Vent se lève (2013). Ce duo est mondialement connu et nous entendrons ce soir deux morceaux issus de leur collaboration : Princesse Mononoké (1997) et Ponyo sur la falaise (2008). Joe Hisaishi s’est également illustré avec la composition musicale des films de Takeshi Kitano comme Sonatine, mélodie mortelle (1993), Kids Return (1996) ou encore L’Été de Kikujiro (1999). Le thème musical principal de ce film («Summer») est d’ailleurs une excellente illustration d’une autre facette de l’œuvre musicale du compositeur japonais : sa qualité d’arrangeur. Reprenant ce morceau dans de nombreux enregistrements (par exemple Melodyphony en 2010 ou Songs of Hope en 2021), Joe Hisaishi en propose toujours une nouvelle version, en bousculant la rythmique, affirmant des contrechants et revisitant complètement l’instrumentation. Ces arrangements successifs de nombreuses de ses créations, comme le thème musical du film Mon voisin Totoro (1988), ou le morceau «Woman» (1996), démontrent probablement l’une des grandes qualités du compositeur, à savoir reprendre ses créations pour nous donner toujours de nouvelles écoutes de ses compositions. Les différences de formations instrumentales font émerger de nouvelles couleurs musicales, nous donnant à entendre la rencontre de notre souvenir musical de l’œuvre originale et les puissances expressives nouvellement formées par ses arrangements. C’est dans cette constante quête de (re)création musicale que Joe Hisaishi excelle et prolonge le plaisir de l’écoute que nous avons de ses musiques.


Un compositeur-arrangeur-interprète

En plus de diriger ses œuvres, il participe également à l’interprétation de ses œuvres en tant que pianiste où il distingue deux approches différentes, qu’il expliquait lors de sa venue ici-même en 2019 avec le 3D Orchestra. En dirigeant des compositions issues de son travail avec le cinéaste Kitano, il déclarait qu’il les dirigeait du piano, en expliquant que c’était bien différent de son habitude car «habituellement, cela veut dire que l’on joue du piano entre les moments de direction, or là, je dirige entre les moments de piano». Les préoccupations et motivations de Joe Hisaishi ne sont pas seulement celles d’un compositeur, mais également d’un arrangeur, chef d’orchestre et interprète : c’est à la rencontre de ces qualités multiples qu’il nous partage sa musique.

— Joe Hisaishi - Concert à la Philharmonie de Paris, 2019 - © Charles d'Hérouville

Une palette musicale immense : des synthétiseurs à l’orchestre

En développant des créations très marquées par les synthétiseurs, comme dans la musique des films de A Scene at the Sea (1992) ou Kids Return de Kitano, ou certains passages de Nausicaä de la vallée du vent de Miyazaki, il a à cœur de développer des sonorités originales. Cette attention aux couleurs musicales se retrouve dans le développement de ses pièces orchestrales et les arrangements dont il fera sans cesse varier l’instrumentation.
Hisaishi fait de plus en plus le choix, dans ses (re)créations, d’aller vers des formes instrumentales (comme son concert pour piano et neuf violoncelles en 1999, par exemple) et dirige de plus en plus d’œuvres en tant que chef d’orchestre avec un moment marquant de sa carrière, celui de la célébration des 25 ans des studios Ghibli où il dirigera un orchestre de 200 musiciens et un chœur impressionnant de 800 chanteurs! Parmi les œuvres qu’il a interprétées plus récemment, on retrouve des pièces de Mozart ou de Beethoven, même si on identifie déjà son attrait pour les grandes œuvres orchestrales dans ses pastiches de Haendel ou de Wagner, respectivement dans Nausicaä de la vallée du vent et dans Ponyo sur la falaise.

La conscience du public

Lors de la sortie de Princesse Mononoké aux États-Unis, Joe Hisaishi accepte de travailler avec le studio Disney, distributeur du film, pour repenser entièrement sa partition musicale et l’adapter au public américain. Refusant de laisser ce travail à un autre, le compositeur fait preuve d’un grand respect vis-à-vis du public en faisant de ce compromis une force de création dans sa proposition de dramaturgie musicale. Il en est de même pour sa musique de film adaptée en concert, où la seule transposition musicale issue de l’œuvre n’est pas suffisante pour lui. Il la reprend et la façonne de telle sorte à lui donner une nouvelle dimension : celle d’une recréation musicale qui, tout en se détachant de l’exacte réplique de la musique issue du film, s’imprègne du potentiel qui s’en dégage. Ce geste du compositeur témoigne de son attention à l’œuvre nouvellement composée, qui nous fait également entendre son nouveau rapport à l’œuvre filmique originale.

— Joe Hisaishi - Summer

Un compositeur de musique de film attaché aux personnages

Joe Hisaishi nous offre constamment, dans les films dont il compose la musique, les puissances expressives liées à la mémoire et à l’affect des personnages aux prises avec leur monde. Ce sont les larmes d’Ashitaka dans Princesse Mononoké qui ne peuvent être retenues et qui rendent compte de l’émotion sous-tendue jusqu’alors ; ou le surgissement du thème musical sur les larmes de Chihiro qui reprend sur ses sanglots, lorsque Haku lui offre à manger après avoir rendu visite à ses parents, transformés en cochons. C’est la douceur musicale qui vient envelopper les deux jeunes protagonistes, Sheeta et Pazu, dans Le Château dans le ciel (1986), symbole d’une intimité partagée, dont la musique de Joe Hisaishi semble vouloir éloigner les deux enfants de la violence du monde. Et préférant être porteur d’espoir, le compositeur fait le choix du lien affectif lumineux des deux jeunes protagonistes.

Sans oublier sa collaboration avec Kitano, par exemple pour le film L’Été de Kikujiro où lorsque le protagoniste principal, un peu rustre, réalise que l’enfant dont il a la charge pour l’été et qu’il doit conduire à sa mère lui ressemble étrangement, la mise en scène du film révèle à travers la musique une tout autre facette du personnage. Nous entendons alors la modulation dans les arpèges de piano avant que Kikujiro et l’enfant, Masao, prennent la route, côte à côte, enveloppés par le thème principal qui se développe lyriquement au violon, symbole d’une intimité partagée. La force de la musique d’Hisaishi, c’est la force d’expression du surgissement de l’aveu jusqu’alors implicite, empreint de douceur et d’empathie. Et chacune de ces compositions musicales destinées à l’écoute en concert renforcent ces puissances expressives.

Krishvy Naëck

Krishvy Naëck est docteure en études cinématographiques, spécialiste de musique de film et a récemment travaillé sur le duo Hisaishi-Miyazaki dans le cadre de l’ouvrage collectif Compositeurs et réalisateurs en duo, de Cécile Carayol et Jérôme Rossi (dir.). Compositrice, sa musique a été interprétée notamment au musée Würth (par l’ensemble de musique de chambre « Ensemble l’Imaginaire », 2017), ou encore dans le cadre du festival Impuls (orchestre dirigé par Aki Schmitt, Bâtiment du Bauhaus, 2016).