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Kaija Saariaho, au bout du rêve

Publié le 11 janvier 2024 — par Vincent Agrech

— Kaija Saariaho - © Wim Jansen

La compositrice finlandaise, disparue le 2 juin 2023, avait accordé au magazine Notations l’un de ses derniers grands entretiens.

Après ses aînés Pärt, Williams, Reich, Glass et Adams, elle est probablement la compositrice la plus connue au monde. À leur opposé, Kaija Saariaho s’est pourtant épanouie au sein des avant-gardes européennes, avec lesquelles elle n’a jamais éprouvé le besoin de rompre. Formée dans sa Finlande natale, comme ses amis Magnus Lindberg et Esa-Pekka Salonen (le second dirigeant très souvent ses œuvres), puis en Allemagne et en France, elle s’est aussi bien imprégnée de l’héritage de Sibelius que de celui de DarmstadtDarmstadt : Ville en Allemagne, où se réunirent, dès 1946, les compositeurs de l’avant-garde, comme Boulez, Stockhausen, Maderna et Nono, voulant faire table rase de l’ancien héritage musical tonal., de l’IRCAM, et du mouvement spectralMusique spectrale : Courant musical découlant de l’analyse physique du son, qui s’épanouit dans les années soixante-dix en réaction aux écoles plus mathématiques et conceptuelles promues à Darmstadt. dont elle fut proche sans lui appartenir. À la complexité des œuvres de ses débuts a succédé, au tournant du millénaire, une apparence de simplicité, un élan lyrique, aussi, qui a pu faire lever le sourcil à quelques gardiens de temples, mais a conforté l’engouement d’un public déjà mondial. Partout ses opéras, ses pièces orchestrales, sa musique de chambre sont fêtés. Avec Paris, où elle s’est installée il y a près de quatre décennies, Kaija Saariaho entretient une relation privilégiée. Pour célébrer ses soixante-dix ans, l’Orchestre de Paris, sous la direction de son jeune compatriote Klaus Mäkelä, présente un panorama de ses œuvres au fil de la saison. L’occasion de s’entretenir avec cette femme discrète mais directe, aussi sensible que pudique, dont le corps frêle est habité d’une force qui éclate dans l’intensité du regard.

Vincent Agrech

La petite fille Kaija Saariaho, qui s’enfermait dans sa chambre pour composer, rêvait-elle déjà d’orchestre symphonique ?

Kaija Saariaho

Il lui aurait d’abord fallu savoir ce dont il s’agissait… Le poste de radio familial était mon jouet préféré ; je passais d’une station à l’autre pour écouter toutes ces langues, toutes ces musiques. Sibelius était tellement diffusé en Finlande, à l’époque, que j’ai nécessairement entendu très jeune certaines de ses œuvres, sans les identifier. Ma famille n’était ni musicienne, ni mélomane. C’est à ma timidité maladive que je dois d’avoir été inscrite par mes parents, à six ans, dans une école Steiner, dont la pédagogie faisait une large part aux enseignements artistiques, pour stimuler les enfants introvertis et canaliser les hyperactifs. Donc, le premier contact avec l’orchestre dont je me souvienne avec certitude, c’est celui dans lequel je jouais du violon, avec mes camarades. Fidèle à ma nature, je préférais cependant imaginer la musique seule dans mon coin, plutôt que d’en faire en public. C’étaient surtout des mélodies très intimistes, liées à un texte, que j’essayais de coucher sur le papier, avec les moyens rudimentaires que je vous laisse imaginer.

Vincent Agrech

Et qu’a représenté l’orchestre ? Un idéal, ou une vieillerie, comme pour beaucoup de jeunes compositeurs des années soixante-dix ?

Kaija Saariaho

J’ai dû entendre mes premiers concerts de musique symphonique vers l’âge de dix ou onze ans. Tant de richesse sonore m’a impressionnée et émue – sans immédiatement changer ma vie. J’ai toujours eu une approche très pratique de mes capacités. Au fur et à mesure que je gagnais en compétence, apprenant le piano, la guitare, l’orgue, la théorie musicale, l’envie d’écrire pour des effectifs plus larges s’éveillait. Mais c’est vrai, en ce temps, on prédisait plutôt la mort de l’orchestre, comme celle de l’opéra, surtout en Allemagne et en France où j’ai achevé ma formation, après l’Académie Sibelius à Helsinki. La flexibilité, la réactivité des ensembles à géométrie variable qui naissaient alors, là brillait l’avenir… Dès 1982, j’entamais pourtant l’écriture de Verblendungen [« Éblouissements »], qui manifestait mon intérêt pour l’orchestre de chambre dans sa forme traditionnelle. Mais il m’a fallu plonger dans les œuvres de Berio, Nono et Grisey afin d’affermir ma détermination. Sans généraliser, la musique post-sérielleMusique post-sérielle : Musique qui prolonge les recherches de Schönberg sur la composition par séries (de notes, de rythmes…) jusqu’à une abstraction mathématique., issue des branches les plus fidèles de l’École de Darmstadt, me semblait souvent laborieuse quand elle touchait à l’orchestre : les textures trop complexes pouvaient rendre l’harmonie illisible, laissant le cerveau sans repères. Je me questionnais : l’orchestre symphonique peut procurer un tel plaisir intellectuel et sensoriel, comment guider l’auditeur, et peindre les couleurs que j’imagine ? Comment renouveler le miracle d’un Sibelius, qui suspendait le temps et l’espace, nous transportant vers d’autres planètes ? Ce questionnement a donné naissance à ma première œuvre pour grand effectif, Du cristal …à la fumée.

Vincent Agrech

Page majeure de la littérature orchestrale de la fin du XXe siècle, régulièrement jouée, mais pas autant que certaines de vos œuvres postérieures…

Kaija Saariaho

Peut-être du fait de la taille de l’orchestre, mais aussi sans doute parce que des pièces comme Orion, dont l’Orchestre de Paris reprend, les 1er et 2 mars prochains, Winter Sky (Ciel d’hiver), offrent davantage de repères aux auditeurs que les nappes planantes de ma première période.

— K. Saariaho, Orion - Christoph Eschenbach, SWR Symphonieorchester

Vincent Agrech

Ce qui cautionnerait la lecture de certains commentateurs, estimant que vous avez opté pour une forme de néo-classicisme, après une période proche de l’avant-garde spectrale… Vous acceptez cette vision, ou elle vous énerve ?

Kaija Saariaho

Elle m’énerve ! D’abord, parce que je n’ai jamais considéré ma musique comme spectrale. J’ai étudié le spectre du son afin de le comprendre comme matériau physique et acoustique, mais je n’ai jamais tiré de cette analyse un seul accord qui en découlerait, à l’inverse de Gérard [Grisey] ou de Tristan [Murail], qui m’ont l’un et l’autre tant apporté. Ensuite, parce que je n’ai pas la moindre idée de ce que l’on entend par « néo-classicisme ». Mais ce n’est pas moi qui fais les labels, je n’ai d’autre choix que d’accepter leur existence.

Vincent Agrech

Peut-être ce « néo-classicisme » désigne-t-il justement cette attention aux repères mélodiques et harmoniques qu’un public non musicien peut saisir, d’où la différence de notoriété entre Du cristal et Orion ?

Kaija Saariaho

Hum… Je ne suis pas pleinement convaincue, mais si vous voulez l’exprimer ainsi… Plus prosaïquement, il y a aussi un temps pour chaque chose. Quand j’ai commencé à écrire pour l’orchestre, j’étais fascinée par la perception d’une luminosité et d’une couleur du son, selon des mécanismes de synesthésie que j’ai beaucoup analysés chez moi, et que je crois très présents chez de nombreux auditeurs, sans qu’ils en aient toujours conscience. Après Du cristal, il m’a semblé être allée aussi loin que possible dans cette direction. Le goût de la couleur sonore ne m’a pas quittée, mais il est devenu un élément parmi d’autres de mon langage, tandis que je me concentrais sur d’autres paramètres musicaux touchant au rythme, au déroulement mélodique…

Vincent Agrech

Votre aventure avec l’Orchestre de Paris débute en 2001, avec la création française de votre premier opéra, L’Amour de loin, au Théâtre du Châtelet. Reprendre une œuvre avec une formation pour laquelle elle n’a pas été écrite, c’est angoissant ?

Kaija Saariaho

Au contraire, dans ce cas précis ! La création mondiale au Festival de Salzbourg reste pour moi un souvenir traumatique, malgré le succès. Je débutais à l’opéra. Je n’avais donc aucune expérience de ces journées en tension continue, où chaque minute est comptée et où tant d’énergies venues du plateau, des coulisses, de la fosse et de la salle doivent se rencontrer. Au Châtelet, j’ai enfin pu savourer le travail de chacun. Kent Nagano restait au pupitre et maîtrisait chaque recoin de la partition où il guidait l’orchestre ; le décor, véritable bijou, avait été légèrement repensé ; l’alliage discret entre le corps symphonique et le dispositif électronique s’était encore affiné… Nous nous sommes récemment retrouvés avec Peter Sellars, qui avait réalisé la mise en scène, à l’issue du récent spectacle qu’il présentait au Châtelet. Nous avons évoqué avec beaucoup de nostalgie le souvenir merveilleux de cette reprise, peut-être l’un des moments les plus heureux de ma vie professionnelle en répétitions.

— K. Saariaho, L'Amour de loin - Metropolitan Opera

Vincent Agrech

Depuis, l’Orchestre a régulièrement joué vos œuvres, mais donné une seule création mondiale, Mirages, en 2008. L’identité de la formation pour laquelle vous écrivez influence-t-elle vos compositions ?

Kaija Saariaho

Je pense toujours à ceux qui vont créer mes œuvres, et en 2008, je connaissais désormais bien l’Orchestre de Paris et certains de ses membres. La personnalité de Christoph Eschenbach, qui était alors le directeur musical, a eu également une importance déterminante…

Vincent Agrech

Votre ami Esa-Pekka Salonen estimait, dans notre précédent numéro [Notations #3, septembre-décembre 2022, ndlr], qu’on mesure vraiment aujourd’hui le rôle d’Eschenbach dans l’ascension de l’Orchestre de Paris au plus haut niveau.

Kaija Saariaho

Je suis tellement d’accord ! Beaucoup d’orchestres tardent à percevoir ce qu’apportent des personnalités qui ne sont pas, vis-à-vis d’eux, dans un rapport classique d’autorité, et cela vaut aussi pour les artistes invités. Moi-même, j’ai autrefois dû me faire violence pour exiger le respect de ce que je demandais, quand certains musiciens ne faisaient pas attention au sens de l’archet, ou voulaient simplifier des harmoniques, persuadés qu’elles ne s’entendaient pas dans la salle… Moins qu’ailleurs, cependant, à l’Orchestre de Paris, qui cultive une grande tradition de la couleur sonore.

Vincent Agrech

Vous serez donc encore d’accord avec Salonen, quand il juge que l’orchestre symphonique est passé à côté de nombreux compositeurs ces dernières décennies…

Kaija Saariaho

Il n’est pas rare de nous trouver sur la même longueur d’ondes avec Esa-Pekka ! J’essaie d’aider mes jeunes collègues, dans les cours que je leur donne, à anticiper les difficultés concrètes de l’écriture pour orchestre, et notamment la plus redoutable, le manque de temps. Au mieux, vous aurez trois répétitions, et si le chef ne vous soutient pas et privilégie la symphonie connue en deuxième partie de programme, qui va servir de point de comparaison à l’orchestre et au public, vous vous retrouverez très seul. Personnellement, je ne compte pas beaucoup sur ce que je vais pouvoir dire quand les musiciens répètent, mais je rédige beaucoup de notes auparavant, et j’insiste pour qu’elles soient lues avant la première répétition. Il faut admettre que c’est dans la musique de chambre que vous pourrez laisser aller votre imagination, prendre des risques, expérimenter. À l’orchestre, vous n’aurez généralement pas d’autre choix que d’adopter un langage plus direct et facile à mettre en place dans ce temps limité, et c’est une contrainte intéressante. Peut-être que le « néo-classicisme » dont parlent certains à mon égard est l’autre nom du pragmatisme, puisque je ne vois pas à quoi il peut renvoyer esthétiquement.

Vincent Agrech

Pourtant, vous n’êtes pas retournée à la seule musique de chambre pour ne plus en revenir…

Kaija Saariaho

Je dose mes allers-retours ! Je ne pourrais me passer de l’énergie physique et humaine du grand orchestre. Après un opéra, où je me suis astreinte à la stricte discipline de l’accompagnement des chanteurs et de l’équilibre entre les notes et les mots, j’ai un besoin irrépressible de replonger dans le flot symphonique, comme avec Vista, né dans la foulée de l’opéra Innocence, et présenté en octobre dernier par l’Orchestre de Paris.

— Kaija Saariaho - © Wim Jansen

Vincent Agrech

Puis-je vous poser une question très naïve ? Vista est né, dites-vous, des reflets du crépuscule lors d’un voyage sur l’autoroute le long de la côte Pacifique, entre Los Angeles et San Diego. Une œuvre musicale peut-elle avoir une dimension paysagiste, de la même manière qu’une peinture, dans les impressions qu’elle traduit chez le compositeur ?

Kaija Saariaho

Je ne peux parler que pour moi, et pour chaque pièce isolément… Mais je ne me place jamais dans une approche descriptive. Pour Vista, la construction générale préexistait à ce voyage, une envie, une odeur de la musique, des sentiments. Ce qui s’est d’abord imposé au fil de cette route, c’est le titre. Et peut-être aussi une direction, donnée par cette linéarité de la mer, une gamme de lumières et de couleurs. Mais quand je m’installe au bureau devant la partition blanche, le travail devient très technique. Jamais je ne cherche à me souvenir de la façon dont le soleil se reflétait dans les vagues… De même, le titre de ma pièce Orion est arrivé au bout d’un cheminement, qui n’avait au début rien à voir avec le désir de peindre un ciel étoilé. Les harmoniques des cordes et des crotales dans des textures noires, que j’avais envie de retenir de L’ Amour de loin. Le jeu des instrumentistes de l’Orchestre de Cleveland, dont l’interprétation m’avait éblouie dans Du cristal, et que je rêvais d’entendre partager une mélodie devenue Winter Sky. La visite du musée d’art dans cette même ville, où m’avait frappée un panneau médiéval au milieu d’une salle, représentant sur un côté un jeune couple au jour de ses noces, de l’autre couché dans son cercueil – le bruit de mes pas faisant le tour du tableau est devenu le motif de Memento mori. Enfin, un soir où je travaillais à la campagne, en automne, Orion est apparue dans le ciel, et l’ensemble de ces expériences se sont satellisées autour d’elle…

Vincent Agrech

Avec votre rapport aux phénomènes naturels conjuguant curiosité scientifique et élan mystique, votre passion pour l’art et la pensée du Moyen Âge est un autre fil rouge de votre œuvre. Mais d’où vient-il ?

Kaija Saariaho

Je n’en sais rien… Je n’avais pas de lien à cet héritage architectural et pictural médiéval dans un pays tel que la Finlande, qui en est dépourvu. J’imagine donc que j’ai dû entrer dans cet univers par les livres – ma vocation de rat de bibliothèque est celle qui s’est affirmée le plus tôt. Je peignais aussi beaucoup durant mon enfance et mon adolescence, et j’adorais broyer mes pigments à la main ; peut-être ai-je ainsi commencé à me documenter sur les techniques du Moyen Âge. Je crois percevoir dans cette époque une sincérité de l’expression qui me bouleverse. Un rapport à la nature, traduit notamment dans les codes de couleurs, à la fois immédiat et profondément raffiné, mais d’un raffinement d’une nature radicalement différente de celui des époques qui ont suivi, et privilégié la transformation, et la distanciation. Je n’ai pas de souvenir déclencheur, et personne ne m’en a rapporté un. Mes parents m’aidaient comme ils le pouvaient, mais ils n’entraient pas dans l’univers enfantin où ma mémoire se dérobe. J’étais une petite fille si secrète et timide… 

Vincent Agrech

Vous vous êtes imposée dans un monde essentiellement masculin, en vous refusant à commenter les questions de genre. Mais tout récemment, vous avez pris part à une vidéo de l’Union européenne dans laquelle vous encouragez les petites filles à suivre leurs rêves, en évoquant la presse de vos débuts qui s’interrogeait très sérieusement sur la capacité hormonale des femmes à composer !

Kaija Saariaho

La situation des années soixante-dix et quatre-vingt présentait plus de similitudes avec notre époque que ce que l’on imagine. Il existait par exemple, en Allemagne, un mouvement de compositrices que je percevais comme un ghetto. Revendiquer la féminité qu’on me reprochait ne correspondait pas à mon tempérament, et sans doute avais-je intériorisé le fait que je ne devais pas trop « la ramener » – je rêvais que ma musique soit jugée pour ce qu’elle était, sans être réduite à mon genre, et donc j’ai fait mine d’ignorer la question, qui était bien sûr omniprésente. Un discours radical serait de dire que c’était une erreur, même musicalement : que j’aurais bridé certaines de mes inspirations en m’insérant dans ce monde d’hommes. Mais je me sens aujourd’hui tellement libre, qu’il me semble avoir trouvé ma voie, quels que soient les chemins qu’a dû prendre ma pensée. J’ai conscience, avec le recul, d’avoir souffert à mes débuts sans toujours me l’avouer, entre des professeurs qui ne voulaient pas de moi, et le sempiternel « compliment » : « C’est vraiment bien, on ne dirait jamais que c’est écrit par une femme ! » J’ai voulu m’exprimer sur le sujet parce que j’ai compris qu’on en était toujours là, et que j’aurais aimé à l’époque avoir des aînées qui en parlent.

— Kaija Saariaho - © Olivier Pascaud

Vincent Agrech

Soutenez-vous les dispositifs destinés aux femmes pour se former à la composition et obtenir des commandes, ou vous paraissent-ils comporter de nouveaux risques d’enfermement ?

Kaija Saariaho

C’est une question très complexe, et difficile à aborder succinctement. Lorsque je vois, dans les universités américaines, émerger cette nouvelle prééminence des catégories de genre, d’ethnie et de religion sur l’individualité de l’étudiant, cela me dérange. Ne pas savoir si l’on est admis dans une école, programmé en concert, pour ses mérites, ou afin de respecter des statistiques, ne rend service à personne. Mais cela ne doit pas servir d’excuse pour ne rien changer, en faisant croire que ces mérites s’expriment et sont reconnus pour toutes les catégories de population, comme si leur marginalisation avait disparu du moment qu’on l’a décrété. Comment susciter une évolution efficace, rapide, mais en ne faisant pas non plus n’importe quoi au nom de la discrimination positive ? On ne va pas du jour au lendemain atteindre la parité dans les programmations ni dans les cursus de composition, il faut le temps de créer des vocations. Les femmes subissent encore trop d’inégalités et de comportements déplacés au quotidien. Elles en ont assez ! C’est cet état d’esprit qu’a changé #MeToo, et je leur donne raison. Au fil de ma carrière, j’avais l’impression que les mentalités changeaient, que les problèmes s’arrangeaient. Mais en échangeant avec des jeunes compositrices, j’ai compris que c’était vis-à-vis de moi que le succès entraînait davantage de respect, mais qu’en profondeur, rien n’évoluait à l’égard des femmes en général. Je me suis souvenue de ces années à avoir honte de ne pas repousser ces hommes trop pressants dans l’ascenseur, et à prendre l’escalier sans mot dire. La libération actuelle de la parole me rend très heureuse. J’espère que nous pourrons reconstruire le monde musical sur des bases saines, et faire de la musique à égalité. La musique reproduit forcément les inégalités de la société, mais elle incarne aussi l’idéal de leur dépassement.

Vincent Agrech
Vincent Agrech est journaliste (rédacteur associé du mensuel Diapason, rédacteur en chef de Notations, le magazine de l'Orchestre de Paris), essayiste (plusieurs ouvrages parus chez Stock et Humensis), conseiller du Théâtre du Château de Drottningholm (Suède) et producteur.