Marier les chefs-d’œuvre de la musique et des beaux-arts; irrésistible tentation qui bute bien souvent sur des obstacles conceptuels, esthétiques ou pratiques. D’abord, parce que chaque spectateur a en tête sa propre musique (ou sa texture du silence) devant un tableau, ses propres visions (ou sa profondeur du noir) à l’écoute d’une symphonie. Celles d’autrui, s’agirait-il du plus grand artiste, peuvent être ressenties comme décalées, voire triviales ou même agressives. Ensuite, les musiciens se trouvent souvent handicapés dans les galeries des musées, qui se prêtent à la promenade, aux arrêts imprévus et aux changements de rythme des pas. Quand les danseurs invitent le public à les suivre au fil de leurs déambulations (comme l’hiver dernier la magnifique carte blanche à Anne Teresa De Keersmaeker au Louvre), les musiciens doivent penser pupitres, chaises, piques qui rayent le parquet, équilibres acoustiques dans des espaces qui n’ont pas été conçus pour le concert.
Malgré ces difficultés, rares sont ceux qui résistent à l’opportunité lorsqu’elle se présente, tant ils savent que cette mise en résonnance entre l’oreille et l’œil produit aussi des instants de grâce à nul autre pareils, dès que les interprètes et le public communient dans leur perception. Passionné de photographie, mais aussi de peinture, Klaus Mäkelä est impatient de relever le défi proposé par le musée du Louvre, un lieu dont il est familier depuis des années. «J’ai dû le visiter pour la première fois avec mes parents à l’âge de six ou sept ans, se souvient-il. Ce qui m’avait alors marqué, ce n’est pas une œuvre en particulier. Mais leur profusion, le gigantisme des espaces. Il me semble encore revoir la Grande Galerie à hauteur d’enfant. Est-ce un hasard si j’ai ensuite développé un amour pour les peintures italiennes et espagnoles? Je reste fasciné, au Louvre, par les Raphaël, les Greco et Vinci– moins celui de La Joconde que de Sainte Anne, la Vierge et l’Enfant Jésus. Au fil du temps, je me suis également découvert des affinités avec les maîtres français plus tardifs, l’explosion de couleurs de Delacroix, mais aussi la force de David. L’un et l’autre figurent, d’ailleurs, parmi les rendez-vous musicaux que j’espère donner au public durant la carte blanche que m’offre le musée ce printemps.»
Les derniers détails de celle-ci sont encore en discussion, car tout évènement dans les espaces muséographiques s’organise en concertation étroite avec la conservation et les services en charge de l’accueil des publics. Directeur de l’Auditorium et des Spectacles du musée du Louvre, Luc Bouniol-Laffont fait part de l’enthousiasme éprouvé à parcourir les salles avec un Klaus Mäkelä bouillonnant d’idées. «Nous avions fait connaissance grâce aux deux concerts qu’il a dirigés sous la Pyramide à la tête de l’Orchestre de Paris, mais c’est en préparant cette carte blanche que j’ai eu la chance de découvrir son vrai regard sur les œuvres. Une aubaine pour la nouvelle programmation culturelle du Louvre qui souhaite faire entendre d’autres voix, dialoguer de multiples sensibilités et susciter de nouveaux regards sur le musée, le palais et ses collections!»
Klaus Mäkelä n’est cependant pas seul durant les huit journées qui se succèderont du 2 mars au 16 juin. Les musiciens de l’Orchestre de Paris seront à ses côtés en musique de chambre pour la première, dans la galerie Lebrun, où il partagera avec eux du violoncelle et un programme Biber-Enesco. Et face à lui au grand complet pour la dernière, la Quatrième Symphonie de Mahler sous la Pyramide. Entre les deux, on les retrouvera notamment le 13 juin pour Purcell et les Huit chansons pour un roi fou de Maxwell Davies… devant Le Sacre de Napoléon, de David! Et afin de panacher les répertoires, ce sont les juniors du Chœur de jeunes de l’Orchestre de Paris qui participent, en mai, aux trois concerts donnés par le duo Birds on a Wire (Rosemary Standley, chanteuse du groupe Moriarty, et Dom La Nena) au croisement de la pop, du classique et du folk.