Formé en 1973, le Kronos Quartet célèbre aujourd’hui cinquante années d’un voyage fascinant aux confins de toutes les musiques contemporaines : celles écrites – souvent à son initiative – par les compositrices et compositeurs les plus passionnants du post-minimalisme ; celles héritées des musiques folkloriques d’Amérique du Nord, d’Asie et d’Afrique ; celles issues de traditions plus récentes, liées au jazz, au blues et au rock. En 1985, le quatuor pose trois jalons importants dans une discographie encore jeune, témoignages d’une ouverture et d’une fidélité qui sont les fils rouges de son trajet. Cette année-là, paraissent coup sur coup la bande originale du documentaire Mishima, composée par Philip Glass, l’album Monk Suite, où l’œuvre de Thelonious Monk est à l’honneur, et enfin Cadenza on the Night Plain, qui regroupe des compositions de Terry Riley, dont certaines commandées par le Kronos.
Cet enregistrement formalise une collaboration entamée en 1979, entre le quatuor et un compositeur qui s’est déjà éloigné du minimalisme et de la musique répétitive, dont In C (1964) est l’une des pierres de touche. Les premières pièces que Terry Riley compose pour le Kronos Quartet en 1980, Sunrise of the Planetary Dream Collector et G Song, signent non seulement le début d’un compagnonnage qui dure encore aujourd’hui mais aussi le retour du compositeur à la partition, après une décennie marquée par l’improvisation et la transmission orale. Ces deux pièces ont pour points communs de fixer des formes que Terry Riley avait éprouvées lors des longues performances nocturnes qu’il donnait alors régulièrement et d’intégrer des éléments issus de la pop et du folk, des musiques « qui génèrent beaucoup de matériau que les musiciens classiques finissent toujours par utiliser ». En cela, sa philosophie est la même que celle du Kronos Quartet et elle se déploie à nouveau – vingt ans plus tard – au fil du cycle Sun Rings.
Au printemps 2020, quand la NASA propose au quatuor de créer une œuvre célébrant le 25e anniversaire du lancement de Voyager 1, son fondateur et premier violon David Harrington pense immédiatement à Terry Riley. Lancées à la fin de l’été 1977 et destinées à l’étude des planètes externes du système solaire, les deux sondes jumelles Voyager ont embarqué à leur bord des récepteurs d’ondes plasma, conçus dans les années 60 par l’astrophysicien Don Gurnett et déjà placés sur de nombreux objets envoyés dans l’espace. Ces récepteurs permettent de capter les événements sonores qui circulent entre les planètes. C’est donc une bibliothèque de sons étonnante et inouïe que la NASA confie aux musiciens, issue de quarante années d’un collectage inédit. Inaudibles à l’état brut, ces sons ont été manipulés pour pouvoir être utilisés et épousent des formes très différentes, semblables à des interférences radio, des stridences qui évoquent les cris d’oiseaux extraordinaires, des résonnances d’une grande douceur ou des chocs associés en un chaos stellaire étrangement organisé. En tout cas, tous semblent incroyablement organiques et vivants.
Terry Riley s’en empare pour imaginer une œuvre en dix pièces distinctes, comme dix atmosphères croisées au fil d’une dérive fantasmée dans notre système solaire. Puisant dans la technique du sample, largement développée dans le champ de la pop et du hip-hop depuis la fin des années 70, le compositeur a fait retravailler ces sons bruts par le compositeur électro-acoustique David Dvorin et les a organisés en catégories, au sein desquelles il puise pour composer sa musique. Les fragments de mélodies qu’il décèle dans ces sons extra-terrestres sont parfois la source des thèmes développés pour le Kronos Quartet. Mais tandis qu’il travaille à Sun Rings, la tête dans les étoiles, Terry Riley est rattrapé par une catastrophe tragiquement humaine : les attentats du 11 septembre 2001, qui laissent les États-Unis et le monde dans un état de sidération assourdissant. Inspiré par une intervention radiophonique d’Alice Walker, où l’autrice de La Couleur pourpre raconte que, le jour des attentats, elle s’est récité un mantra improvisé (« une terre, un peuple, un amour »), le compositeur décide d’insuffler un peu de cet esprit dans Sun Rings. Il ajoute notamment un chœur sur deux mouvements et compose la pièce One Earth, One People, One Love