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Le bal : communion, invention, subversion -
Entretien avec Sophie Jacotot

Publié le 29 avril 2024 — par Sophie Jacotot

— Le printemps du bal - © Véronique Chochon

Rassemblement musical et dansant, le bal est à la fois une scène des musiques populaires et traditionnelles, un lieu d’expérimentation sonore et chorégraphique, et un espace de rencontres ou de retrouvailles. Deux journées de colloque pour explorer ces thématiques, les 3 et 4 mai 2024.

Comment définiriez-vous les « bals trads » et quelle est leur pratique actuelle ?

Sophie Jacotot

Le colloque intitulé « Le Bal : communion, inversion, subversion », tout comme l’ensemble de l’événement « Le printemps du bal » organisé à la Philharmonie de Paris, se focalise non pas sur les multiples pratiques de danse au bal existant aujourd’hui, mais sur les bals « trads », qu’on appelle aussi communément « bals folk ». Il s’agit d’un type de bal qui s’est développé en France à partir du milieu des années 1970, sous l’impulsion de passionnés de musiques et de danses traditionnelles, dans la lignée des mouvements d’éducation populaire. Se distinguant de la pratique des groupes folkloriques qui, depuis l’entre-deux-guerres, ré-interprétaient sur scène les traditions du monde paysan d’antan, ce nouveau courant revivaliste a mis l’accent sur la participation dans la danse (et non sur la représentation des danses). En s’inscrivant dans le contexte du bal public, phénomène omniprésent dans les pratiques culturelles en France depuis le milieu du XIXe siècle, il a réussi le tour de force de promouvoir un nouveau type de bal, alors même que celui-ci — et les danses qui avaient fait son succès massif — entamait à la même époque une profonde mutation, à l’heure de la multiplication des discothèques et de l’émergence des danses en solo. 

Dans l’histoire générale du bal, quelle place occupent les « bals trads » ?

Ne serait-ce que pour cela, les bals trads occupent une place singulière dans l’histoire du bal. Nourris de collectages et d’enquêtes de terrain, mais aussi d’une autre façon de rêver le « vivre-ensemble », ils connaissent un succès qui ne se dément pas depuis un demi-siècle. Associant une curiosité pour les répertoires de musiques et de danses provenant de différentes régions françaises (de la Bretagne au Poitou, en passant par l’Auvergne ou la Gascogne) et des idéaux de contre-culture issus de la pensée de Mai 68, ces bals ont d’emblée proposé un répertoire mixte. Celui-ci se compose en effet à la fois de danses collectives (ronde, chaîne ouverte, quadrette…) issues des traditions paysannes, de danses en couple introduites en France au XIXe siècle puis intégrées au répertoire des bals ruraux (valse, polka, mazurka, scottish), et enfin de « mixers » — danses collectives caractérisées par des changements successifs de partenaires — provenant de différents pays d’Europe.

— Le Grand bal - Laetitia Carton

Au-delà d’une pratique de la danse, le bal revêt des enjeux sociologiques et géographiques : on se rend au bal du village, c’est un lieu de rencontre, un espace de sociabilité. Quel sens donner à toutes ces dimensions, et comment les appréhender ?

De nos jours, les bals trads, balèti en Occitanie ou festoù-noz en Bretagne (avec leur généalogie spécifique) constituent un courant spécifique au sein des pratiques contemporaines de danses au bal. Celles-ci ont connu un renouveau depuis les années 1990, notamment avec le succès des danses en couple (tango, salsa, swing, musette, etc.), allant de pair avec une forme de spécialisation par « communauté » de danses. Les bals trads se démarquent d’autres types de bals en vogue aujourd’hui par leur caractère résolument transgénérationnel et par la présence systématique de musiciens, ce qui est aussi à mettre en lien avec l’existence d’une scène musicale trad particulièrement dynamique. La diversité des formes de danses présentes dans leur répertoire est sans doute l’une des clefs de leur succès, créant un contexte propice à la cohabitation de personnes ayant des expériences et des préférences de danses assez variées. Aujourd’hui, des bals trads sont organisés de façon régulière ou ponctuelle sur tout le territoire français, en milieu rural comme en ville, le plus souvent par des associations qui prodiguent également des stages où il est possible d’apprendre à danser, et éventuellement à jouer, ces différents répertoires (branles, rondeaux, bourrées, avant-deux, etc.). La pratique des bals trads passe aussi de plus en plus par l’organisation de nombreux festivals (qui n’ont d’ailleurs pas lieu qu’en été), en France mais aussi dans d’autres pays d’Europe où le « balfolk » à la française fait des émules, aux côtés de bals mêlant des répertoires issus de diverses traditions européennes ou extra-européennes.

Le bal remplit plusieurs fonctions et répond à plusieurs besoins dans notre société contemporaine et le bal trad n’y échappe pas : socialisation amicale ou amoureuse, plaisir kinesthésique, plaisir haptique (lié au toucher), plaisir de la rencontre non verbale, plaisir de l’unisson dans les danses de groupe et de l’intimité dans les danses en couple, plaisir du lien avec les musiciens qui jouent pour nous quand on danse. Il peut y être question également d’estime et de mise en scène de soi, du goût de la dépense (voire de l’endurance) physique, de temps suspendu en-dehors des contraintes sociales quotidiennes (même si des codes spécifiques régissent le bal)… Et toujours, fondamentalement, d’interaction sociale et de participation à un événement collectif.

Sophie Jacotot

Sophie Jacotot est danseuse et historienne, chercheuse associée au Centre d’histoire sociale du XXe siècle.

  • Propos recueillis par Tristan Duval-Cos