Vous connaissez bien l’Orchestre de Paris puisque vous avez été, entre 2014 et 2016, cheffe assistante de Paavo Järvi. Quel effet cela vous fait de le retrouver presque dix ans plus tard, mais cette fois en tant que cheffe invitée?
Dalia Stasevska
C’est une immense joie de revenir et j’espère revoir beaucoup d’anciens amis ! J’ai des souvenirs très forts de ces deux années passées avec l’Orchestre. Tout le monde s’est montré très accueillant. Je me sentais comme dans une grande famille. Le travail était intense, au plus haut niveau d’exigence musicale, mais dans un climat très chaleureux. C’est une chance en tant que jeune cheffe d’orchestre de pouvoir faire ses armes dans un environnement aussi bienveillant.
Dans quelle direction avez-vous évolué depuis ces années-là?
D.S. J’ai acquis plus d’expérience, ce qui est normal. J’ai un bébé de sept mois. Cela vous transforme. Mais au fond, je suis la même Dalia, toujours aussi enthousiaste à l’idée de jouer de la musique qui vous transporte dans des contrées magiques. Elle demeure un formidable moyen de communiquer entre les êtres.
Pouvez-vous nous parler de Sibelius, l’un de vos compositeurs de prédilection?
D.S. Quand vous grandissez en Finlande, Sibelius est une présence incontournable. Il est l’un de mes compositeurs favoris et l’une des figures les plus importantes de mon parcours musical. Mais la musique contemporaine est aussi très développée en Finlande. Je suis très fière de venir d’un pays qui est le berceau de tant de bons musiciens et compositeurs. Le rapport si particulier aux saisons, cette alternance entre la lumière et l’obscurité dont nous faisons l’expérience sous nos latitudes, donnent à la musique une couleur singulière.
Votre programme fait la part belle aux cordes. Vous avez pratiqué le violon et l’alto…
D.S. Cette expérience est très précieuse. J’ai été altiste au sein du Philharmonique d’Helsinki pendant plusieurs années et je suis très attachée à la culture symphonique. Jouer en orchestre a toujours été ma passion et devenir cheffe a été quelque chose de très naturel. Bien sûr, je me sens particulièrement à l’aise avec les pupitres de cordes. Je sais exactement comment cela fonctionne, quelle indication donner pour les faire sonner comme je l’entends. J’ai aussi joué du basson, donc je n’oublie pas les vents et à quel point ceux de l’Orchestre de Paris sont fabuleux!
Quelle est votre vision de la Symphonie n° 9 «Du Nouveau Monde» de Dvořák?
D.S. Dvořák a une idée simple autour de laquelle il varie. La forme est très classique, mais la moindre phrase doit exprimer quelque chose de différent de la précédente. Cela tient aussi aux racines folkloriques dans lesquelles il puise son inspiration. C’est un langage qui vit en permanence. Chez Dvořák, on retrouve une grande liberté, cette dimension improvisée. C’est un challenge d’interpréter une œuvre que tout le monde connaît. Vous devez la jouer comme si c’était la première fois. Mais le fait de la connaître si bien ouvre aussi à beaucoup d’expérimentations possibles.
Comment votre vocation de cheffe d’orchestre s’est-elle forgée?
D.S. Je devais avoir autour de vingt ans et j’étudiais le violon à l’Académie Sibelius. J’étais amoureuse du répertoire d’orchestre. Je lisais les partitions et j’avais pris l’habitude de jouer du violon par-dessus le CD. C’était il y a quinze ans et je n’avais pas rencontré beaucoup de femmes cheffes d’orchestre… À vingt ans, j’ai vu pour la première fois une femme diriger. J’avais enfin un modèle auquel m’identifier. Cela m’a immédiatement inspirée. Moins de six mois plus tard, je participais à ma première master-classe avec un professeur légendaire: Jorma Panula. Après cela, je n’ai plus jamais reposé la baguette. Je savais que je voulais être cheffe.
Le contexte a-t-il changé pour les femmes aujourd’hui?
D.S. Oui et je suis heureuse de voir que ce n’est plus une lutte aussi intense aujourd’hui pour faire carrière en tant que cheffe. Maintenant, on voit des très grandes musiciennes diriger. Leur légitimité ne fait plus débat. Ce sont de véritables modèles pour les jeunes filles qui peuvent envisager à leur tour de prendre cette direction. J’espère que dans vingt ans ce sera encore plus évident. Pour le moment, nous empruntons le bon chemin.
Aujourd’hui, vous êtres principale cheffe invitée de l’Orchestre symphonique de la BBC, sans compter vos multiples engagements auprès de grandes phalanges internationales (Cleveland, New York, Los Angeles…). Vous êtes aussi directrice musicale de l’Orchestre symphonique de Lahti. Quelles sont les prochaines étapes?
D.S. J’aime diriger partout dans le monde car cela vous donne un bon aperçu des différentes cultures. Je veux aussi trouver une nouvelle famille musicale puisque mon mandat à Lahti s’achève l’année prochaine. Mais deux choses sont encore plus importantes à mes yeux. La première est mon infinie fascination pour la musique contemporaine. Enregistrer de nouvelles pièces, appartenir à cette grande tradition qu’il faut continuer à bâtir est une immense passion et un challenge en tant qu’artiste. La seconde chose qui m’est essentielle est de soutenir l’Ukraine et sa vie musicale. Je suis très engagée dans l’interprétation de la musique classique ukrainienne qui a été oubliée, interdite et réduite au silence pendant des siècles. Les anciens comme les nouveaux compositeurs sont annihilés par la Russie qui essaye de détruire la culture ukrainienne.
Quelle forme prend votre soutien?
D.S. Je les aide par exemple en réunissant de l’argent pour organiser des tournées d’orchestres ukrainiens en dehors de leurs frontières. Avec le talentueux violoniste Joshua Bell, nous avons monté un projet dont je suis particulièrement fière. Nous avons enregistré avec un orchestre ukrainien (INSO-Lviv Orchestra) que nous avons fait venir jusqu’à Varsovie, le concerto d’un compositeur ukrainien oublié : Thomas de Hartmann. Le disque devrait sortir en septembre.
Propos recueillis par Elsa Fottorino