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Lucie Antunes, douce transe

Publié le 21 septembre 2023 — par Vincent Théval

— Nuit chamanique - © DR

La compositrice et percussionniste embarque une belle équipe pour une Nuit chamanique en forme d’expérience immersive. 
— Lucie Antunes - Lāska (Live Version)

Invitée à proposer une nuit de musique, cinq heures imaginées comme une expérience singulière du temps, Lucie Antunes a immédiatement pensé à la transe et au chamanisme, avec lequel elle a un lien fort de longue date. Pour cela, elle reste fidèle à une ligne de conduite exigeante et libératrice: casser les codes, préférer le pas de côté et les itinéraires bis à l’autoroute des projets formatés. Cela peut être aussi simple qu’une nouvelle disposition spatiale: elle et les artistes qui l’accompagnent dans cette performance seront non pas sur scène, mais au cœur de la salle, au plus proche du public qui les entourera. Comme une cérémonie ou une fête. Mais cela peut être aussi ardu qu’un concert fleuve sans setlist ni partitions, sans préparation particulière, un saut dans l’inconnu de l’improvisation. «Ce projet, c’est une respiration, une folie que je m’autorise parce qu’on me donne carte blanche, explique Lucie Antunes. Cette soirée, c’est le partage de ce pour quoi j’ai l’impression d’exister: jouer avec des gens que j’aime et faire vibrer.»

Ce goût du partage et des expériences neuves la guide depuis toujours. À l’image d’une génération pour qui les distinctions et hiérarchies entre les genres n’ont plus aucun sens, la musicienne cherche et trouve dans toutes les directions. Batteuse et percussionniste formée au conservatoire, nourrie par le courant minimaliste et férue d’électroacoustique, elle goûte aux expérimentations pop de Yuksek ou Aquaserge avant de se lancer, au milieu des années 2010, dans la mise en scène de spectacles qui sont autant de collaborations avec des chorégraphes, musiciens et performeurs (notamment à la Maison des métallos à Paris, avec Mémoires de femmes en 2014 ou Moi, comme une autre en 2016). En 2019, son premier album, Sergeï, synthétise ses recherches au fil de sept compositions ambitieuses où orchestrations synthétiques et organiques (notamment son vibraphone) se marient à merveille. Sur scène, Lucie Antunes poursuit l’exploration de cette tension entre musiciens et machines, en proposant par exemple une relecture augmentée de ses morceaux: sur la scène de la Salle des concerts de la Cité de la musique, pour l’édition 2022 du festival Days Off, elle proposait –avec le Collectif Scale– une scénographie où les sept instrumentistes de son Sergeï Ensemble jouaient au cœur d’un cercle formé par des bras lumineux robotisés. Pour son deuxième album, le bien nommé Carnaval paru au printemps 2023, la compositrice a travaillé à plus de simplicité et de joie: des chansons aux structures solides, proches de la pop, où la voix tient une place de choix, premier des instruments.

— Lucie Antunes - © Marine Keller

Mais ce n’est pas ce répertoire que Lucie Antunes et ses invités vont explorer lors de la Nuit chamanique. Avec la batteuse Anne Paceo, le guitariste Piers Faccini, tous deux rompus aux joies de l’improvisation, mais aussi la comédienne Anna Mouglalis, et les musiciennes et musiciens François Atlas, Léonie Pernet, P.R2B, Franck Berthoux et ALA.NI, elle va plonger dans l’inconnu pour proposer une expérience inédite. De l’infiniment petit à l’infiniment grand, de l’acoustique à l’électronique, artistes et public seront invités à lâcher prise et vivre intensément le moment présent. «Pour moi, c’est un peu comme faire l’expérience de l’ayahuasca, explique Lucie Antunes. C’est un extrait de liane proposé sous forme de liquide à boire lors des rituels chamaniques, que beaucoup considèrent comme une drogue mais que j’envisage comme un moment médicinal. C’est un voyage chamanique vers un état de transe, un état un peu second. C’est ce que j’aimerais que les gens arrivent à vivre, sans prendre d’ayahuasca. Je voudrais qu’ils vivent le moment intensément, parce que nous-mêmes allons être dans une improvisation quasi-totale. C’est un vrai défi pour moi parce que je prévois toujours tout. Là, je fais le pari que les artistes que j’appelle et moi pouvons obtenir une soirée folle, un peu comme une fête où l’on se retrouverait et que les gens auraient la possibilité de vivre. Est-ce encore possible aujourd’hui de s’autoriser ce genre de choses? Et comment envisager différemment un lieu comme celui-ci? On y va sans rien préparer, c’est toute l’idée. Il y aura quelques règles, comme il y en a toujours dans l’improvisation, et le point central, c’est moi. Je ne quitte jamais le plateau et j’invite les différents artistes à improviser au fur et à mesure avec moi.» La musique comme expérience immersive et collective, comme circulation des énergies et médiation entre les esprits et les corps.

Vincent Théval

Pendant vingt ans, Vincent Théval a essentiellement travaillé dans le champ des musiques contemporaines : après avoir longtemps œuvré sur France Musique, avec notamment l’émission Label Pop, il est toujours chroniqueur sur RFI. Co-auteur du Nouveau Dictionnaire du Rock (Éditions Robert Laffont, 2014), il a été rédacteur en chef de la revue Magic. Il exerce aujourd’hui dans le domaine du spectacle vivant et collabore, comme auteur, avec le Festival d’Automne à Paris, le Théâtre National de Chaillot, le CENTQUATRE-PARIS, la Soufflerie à Rezé, Angers Nantes Opéra ou le Centre Chorégraphique National de Caen.