Fondé par le violoniste David Harrington à Seattle, le Kronos Quartet a donné son premier concert en novembre 1973. Se consacrant quasi exclusivement aux créations musicales, Kronos trace depuis un chemin sans concession, mais dont la radicalité l’emmène également sur des sentiers inattendus, couvrant tous les genres musicaux ou presque– bien loin, en tout cas, du seul sérail de la musique de tradition écrite dont il est issu. C’est ainsi que, en abordant le rock ou en enregistrant d’inoubliables bandes originales (Requiem for a Dream, Heat…), son audience est devenue massive, faisant de ce quatuor une véritable star.
Ce jubilé est donc évidemment l’occasion d’une grande tournée mondiale, dont la Onzième Biennale de quatuors à cordes est l’étape parisienne. Les deux concerts que le Kronos Quartet donne en ouverture proposent un florilège du cœur de son répertoire (Black Angels de George Crumb, Steve Reich, Philip Glass, Penderecki) en même temps qu’ils introduisent le monumental projet –mêlant créations, performances, pédagogie et transmission– que les quatre musiciens ont initié pour souffler leurs cinquante bougies. Forts de toutes ces années de collaborations avec des compositeurs du monde entier, ils ont en effet passé commande de cinquante pièces conçues pour que les quatuors, qu’ils soient amateurs ou aspirants professionnels, puissent faire ou affûter leurs premières armes dans le domaine des musiques du XXIe siècle. L’idée étant bien sûr que, dans un premier temps, Kronos crée et diffuse largement ces œuvres. Parmi les compositeurs sollicités, certains sont très connus, d’autres moins, voire n’appartiennent pas au monde de la musique contemporaine (tels le multi-instrumentiste Trey Spruance, le DJ Jlin ou la chanteuse malienne Hawa Kassé Mady Diabaté).
Et, respectant l’esprit du projet, l’intégralité du catalogue de ces cinquante partitions sera jouée au cours d’un «Marathon Kronos» par une myriade de jeunes (et moins jeunes) quatuors à cordes.
L’esprit de création et de dépassement du Kronos Quartet se retrouve dans le programme exclusivement féminin porté par le Quatuor Béla (couvrant un siècle de radicalité, de Ruth Crawford Seeger à Francesca Verunelli, en passant par Grażyna Bacewicz et Meredith Monk) ainsi que dans celui, tourné vers les musiques répétitives américaines, du Quatuor Tana (Terry Riley, Philip Glass et la jeune Caroline Shaw), ou encore dans le concert 100% créations du Quatuor Diotima (Marc Monnet, Augusta Read Thomas et Thomas Larcher).
Plus classique, le reste de la programmation est toutefois tout aussi attirant, avec des formations de haut vol (Borodine, Hagen, Jérusalem, Modigliani, Casals, Belcea…) ou des découvertes prometteuses (Confluence, Leonkoro) défendant les plus grandes pages du quatuor à cordes, de Mozart à Chostakovitch, en passant par Bartók, Smetana, Ravel ou Brahms. Et même une intégrale de L’Art de la fugue de Bach par les Casals…
Quant à la clôture de la Biennale, c’est un feu d’artifice à la mesure de celui qui l’a ouverte: une pléiade de jeunes talents (issus des rangs des Leonkoro, Barbican, Chaos, Agate, Akilone, Arod, Confluence), sous le mentorat du Quatuor Modigliani, nous offre un concert en forme d’apothéose à cordes avec le Langsamer Satz d’Anton Webern, l’Octuor de Felix Mendelssohn et le Quatuor n° 1 d’Edvard Grieg.