« Voyons, maintenant. Quelles mascarades, quelles danses aurons-nous
pour passer ce long siècle de trois heures
qui doit s’écouler entre l’après-souper et le coucher ?
Où est l’intendant ordinaire de nos plaisirs ?
Quelles fêtes nous prépare-t-on ? N’a-t-on pas une comédie
pour soulager les angoisses d’une heure de torture ? » (1)
Difficile de déterminer la contribution de The Fairy Queen au Songe d’une nuit d’été. Aucune des merveilleuses musiques de Purcell n’illustre directement la pièce – les parties chantées n’en reprennent d’ailleurs pas un mot – et l’œuvre de Shakespeare n’a nullement besoin de la musique pour être comprise. Sans doute faut-il plutôt voir, dans les différents « masques » que représente chaque acte musical, des « divertissements » au sens de l’opéra baroque français : sans rôle dramatique spécifique ni aucun personnage à proprement parler, ils interrompent l’action dans le seul but de divertir. Pour cette raison, les reconstitutions des parties musicales dans la pièce tendent à être frustrantes. Le public moderne peut être désarçonné par ces interruptions et a du mal à faire le lien entre la progression de l’intrigue et la musique, aussi belle soit-elle. Cette dernière, pourtant, est très présente dans la pièce elle-même...
« J’entends une étrange musique, qui résonne dans les airs.
C’est une musique de fée, envoyée par moi
Pour vous guérir de votre incrédulité » (2)
Voilà pourquoi je souhaite que notre Fairy Queen soit une célébration du génie de Purcell, plutôt que de celui de Shakespeare. Si la pièce de théâtre reste une toile de fond constante, tout au long de la représentation, c’est elle qui deviendra ce soir le divertissement de la merveilleuse musique de Purcell – et non l’inverse.
« Redites d’abord la chanson par cœur.
Sur chaque parole nous fredonnerons une note
En nous tenant par la main avec la grâce féerique,
Et nous bénirons ces lieux. » (1)
Pour ce faire, nous attribuons aux différents actes de musique de Purcell des lieux et des atmosphères différents, selon le contenu de chaque intermède musical. Lorsque le spectacle commence, à l’Acte I, la magie n’est pas encore là : il fait encore jour et nous sommes dans notre propre espace temporel. C’est alors que le duo « Venez, quittons la ville » nous invite à nous éloigner de la ville animée et nous prépare au voyage, dans l’enchantement de la nuit. Un poète ivre, pauvre et dépourvu – qui a peut-être un peu trop célébré la fin de ses tâches quotidiennes – se dirige lui aussi vers l’oubli de la nuit, pour y faire d’étranges rêves de fées et d’amants…
« La langue de fer de minuit a compté douze.
Amants, au lit ! voici presque l’heure des fées. » (1)
L’Acte II s’ouvre alors que la nuit descend et que la magie commence à opérer. Les figures allégoriques du Secret et du Mystère nous introduisent dans un monde onirique ; un monde d’obscurité nocturne où s’adonner aux plus délicieux des plaisirs secrets. « Une nuit charmante a plus de délices que mille jours chanceux », nous dit-on, avant de nous lancer : « Chut, rien de plus » ! Et voilà que la nuit nous endort…
« L’œil de l’homme n’a jamais ouï, l’oreille de l’homme n’a jamais vu rien de pareil ;
la main de l’homme ne serait pas capable de goûter, sa langue de concevoir,
son cœur de rapporter ce qu’était mon rêve. » (1)
Notre Acte III traite de l’amour – la monnaie de la nuit – sous toutes ses multiples facettes. « Si l’amour est une douce passion, pourquoi nous tourmente-t-il ? » Et en effet : pourquoi devrions-nous souffrir pour quelque chose d’aussi beau, d’aussi fondamental ? Les cygnes glissent sur l’eau et les fées dansent, tandis que Corydon et Mopsa (un homme déguisé en femme) se moquent des conventions romantiques de la cour et célèbrent une union plus rustique avec les faucheurs :
« Allons, chers elfes, préparez un masque féérique
pour divertir mon amour ; et transformez ce lieu
en mon lac enchanté. » (2)
Dans l’Acte IV, vient le temps de célébrer la nature et les saisons. Le « long et cruel hiver » est enfin terminé et le « printemps toujours reconnaissant » est là pour nous réchauffer. « L’été, gai et vif », laisse place à la récolte lourde et généreuse des « champs bigarrés » de l’automne avant qu’enfin, inévitablement, les jours raccourcissent, que la fraîcheur du matin revienne et que « l’hiver arrive lentement ».
« Êtes-vous sûrs
que nous sommes éveillés ?
Il me semble, à moi,
que nous dormons, que nous rêvons encore. » (1)
Même la nuit la plus magique ne peut durer éternellement. L’Acte V célèbre l’aube : la « nuit est chassée » et « le monde lugubre commence à briller ». Il ne s’agit pas simplement d’un lever du soleil, mais d’une renaissance de la beauté physique et métaphysique. Nous concluons qu’ « ils seront aussi heureux qu’ils sont justes, l’amour remplira tous les lieux de soins ».
« Ombres que nous sommes, si nous avons déplu,
figurez-vous seulement (et tout sera réparé)
que vous n’avez fait qu’un somme,
pendant que ces visions vous apparaissaient.
Ce thème faible et vain, qui ne contient pas plus qu’un songe,
gentils spectateurs, ne le condamnez pas ;
nous ferons mieux, si vous pardonnez. » (1)