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Salon espagnol - Entretien avec Thibaut Garcia & Jean-Philippe Échard

Publié le 24 janvier 2023 — par Jean-Philippe Échard

— Entretien avec Thibaut Garcia & Jean-Philippe Échard

Entretien
Salon espagnol : Thibaut Garcia & Jean-Philippe Échard autour des guitares du Musée de la musique

Thibaut Garcia, guitariste : Pour m’amuser, j’adore imiter les guitaristes anciens. J’adore imiter un phrasé. Je prends une pièce que Segovia a jouée et je m’amuse à l’imiter avec son son, son phrasé... Et sur ces guitares, ça marche tout seul. Je vais jouer ce concert sur 4 guitares différentes. Ça change tout par rapport au son. Je suis obligé de venir les travailler en amont pour apprivoiser ces instruments. Il y a une chose hyper importante, quand on est musicien, c’est d’apprivoiser un instrument. L’instrument a une couleur, nous, on a une façon de jouer, une patte sonore. Comment regrouper les deux et se comprendre ? Il faut vraiment essayer de comprendre le langage de l’instrument pour pouvoir bien le jouer. Je ne vais pas forcément jouer les 4 guitares avec le même toucher.

Jean-Philippe Échard, conservateur au Musée de la musique : Les 4 guitares que va jouer Thibaut Garcia pendant ce concert appartiennent au Musée de la musique. Elles sont très représentatives, toutes les quatre, de la grande tradition de la guitare espagnole, qui deviendra la guitare classique au XXe siècle. Elles ont été fabriquées entre 1883 pour la plus ancienne, jusqu’à 1931 pour les deux plus proches de nous. Ces guitares sont de la même famille, de la même tradition de facture et leur facture s’étale sur près de 50 ans. Il y a, lorsqu’on les observe et peut-être même quand les entend en concert, une forme de filiation et de transmission dans la tradition de facture. Antonio de Torres a inspiré de nombreux facteurs de guitares en Espagne d’abord, à Madrid, à Barcelone. Et nous entendrons lors de ce concert des guitares d’Enrique Garcia, Francisco Simplicio et Santos Hernández, qui sont des facteurs de Madrid et de Barcelone qui s’inscrivent dans cette tradition inspirée par Torres et où la transmission au sein d’ateliers actifs pendant plusieurs décennies est très importante. L’une de ces guitares est une guitare d’Antonio de Torres, qui est considéré comme le père, l’inventeur en quelque sorte de la guitare classique moderne. En effet, Torres, qui a vécu au XIXe siècle, a commencé par fabriquer des guitares vers le milieu du XIXe siècle encore dans la tradition des guitares dites « romantiques », qui existaient auparavant. Et pendant, disons, trois décennies de la seconde moitié du XIXe siècle, il va progressivement faire évoluer les formes, la technique de construction et les caractères structurels de la guitare pour en faire un instrument qui a une table d’harmonie d’une surface bien plus grande : celle que nous connaissons. Et il va également faire évoluer le barrage, qui est la structure des pièces de bois sous la table d’harmonie, et qui régissent la manière qu’a la table d’harmonie de vibrer.

Thibaut Garcia : Là, on parle de l’histoire. Nous, nos instruments modernes sont des bébés. Moi, ma guitare, elle a sept ans. Et là, c’est vraiment un témoignage historique. Personnellement, j’ai été bercé par les enregistrements anciens des anciens guitaristes que j’aime énormément. Andrés Segovia, Ida Presti Alexandre Lagoya... Et donc une sonorité qui n’est pas la même que la sonorité d’aujourd’hui. Et pour moi, ça restait jusque-là un imaginaire. Et le jour où j’ai posé mes doigts sur des instruments d’époque, j’ai compris des choses. J’ai compris pourquoi ça sonnait comme ça, pourquoi le phrasé était ainsi. J’ai compris tout ça, et c’est génial de pouvoir jouer un peu dans cette histoire-là. Tout le monde n’a pas la chance de jouer ces instruments-là. C’est une grande chance et j’y prends beaucoup de plaisir. Le choix de la guitare se fait en fonction du répertoire, parce que ce sont des imaginaires différents. Si on va dans un répertoire plutôt de musique Renaissance, même si on le joue à la guitare alors que ça a été écrit pour le luth, par exemple, il faut s’imaginer un peu comment était la tension des cordes à l’époque. C’était quelque chose de plus mou, de plus rebondissant et de moins serré, de moins tendu. Donc on va essayer de phraser différemment et la guitare va nous y aider. Avec un instrument très moderne, ça ne sera pas forcément plus facile. La guitare espagnole, par exemple, c’est quelque chose que j’imagine à la fois très soyeux, dansant, mais avec énormément de feu, de caractère, avec un côté presque percussif dans le son de temps en temps. Et pour ça, l’instrument va aussi nous aider.

Jean-Philippe Échard : Nous sommes vraiment très heureux de pouvoir proposer à un musicien tel que Thibaut Garcia quatre guitares, une forme d’éventail, de la grande facture de guitares espagnoles et classiques, pour ce concert. Cela revêt un sens très particulier et cela remplit une mission du Musée de la musique car la dimension sonore et musicale est très importante également dans la préservation d’un tel patrimoine.

Thibaut Garcia : Une guitare de Simplicio, c’est un luthier que pouvait jouer Agustín Barrios, un guitariste que j’adore. Je suis passionné par ses compositions et son jeu, des peu d’enregistrements qu’on peut avoir. C’est toujours assez fascinant de se dire : « Là, je suis en train de mettre les doigts sur une guitare que peut-être, une de ces personnalités a déjà jouée dans sa vie. » 

Entretien réalisé par Tristan Duval-Cos
Vidéo réalisée et montée par Laurent Sarazin – Imaginé productions
© Cité de la musique – Philharmonie de Paris, 2023

La riche collection des guitares conservées au Musée de la musique témoigne de la diversité des formes que peut prendre cet instrument. Aujourd’hui, ce sont quatre de ces guitares, emblématiques de la grande tradition de lutherie espagnole des XIXe et XXe siècles, qui sont confiées à Thibaut Garcia dans le cadre d’un « salon espagnol ».

Antonio de Torres est aujourd’hui considéré comme le «père» de la guitare classique moderne. Datant de 1883, la guitare jouée par Thibaut Garcia est parfaitement représentative des développements majeurs qu’apporta Torres à la conception de l’instrument au cours de sa carrière. C’est la veuve du guitariste Jean Lafon qui en fit don au Musée en 1963. Cette guitare porte d’importances traces d’usure de jeu et de restaurations soulignant l’intensité de son histoire musicale. Elle fut notamment restaurée dès 1912 par le luthier madrilène Manuel Ramirez, puis par Robert Bouchet, le luthier qui réalisa des guitares pour le célèbre duo formé par Ida Presti et Alexandre LagoyaCes deux guitares font également partie de la collection du Musée de la musique (1958, inv. E.2002.3.1 et 1959, E.2002.2.1).

Ce «salon espagnol» est la première occasion d'entendre en concert au Musée de la musique cette guitare de Torres –de 140 ans d’âge– suite à sa restauration récenteIntervention réalisée par Émeline Chevalier (Atelier du Chevalier, Paris) et Sebastian Kirsch (Équipe Conservation Recherche, Musée de la musique, Paris)., aux côtés d’une guitare faite en 1918 par Enrique García– luthier barcelonais à la réputation internationale, dont un des clients fut Francisco Tarrega lui-même, et de deux instruments datant de 1931: l’un par Santos Hernández à Madrid, et l’autre par Francisco Simplicio à Barcelone. 

Apprécier les caractères respectifs de quatre guitares historiques, sous les doigts d’un même musicien: un événement rare d’expression des valeurs musicales et patrimoniales de ces instruments.


Retrouvez également sur la Librairie en ligne de la Philharmonie de Paris la réédition d'une série de dessins techniques de guitares historiques conservées au Musée de la musique.

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