Ayant initié leur collaboration avec Have a Good Day! (2013), un opéra pour dix caissières, sons de supermarché et piano, les trois artistes lituaniennes Rugilė Barzdžiukaitė (scénographie, mise en scène), Vaiva Grainytė (livret) et Lina Lapelytè (composition, direction musicale) se sont ensuite de nouveau alliées pour créer Sun & Sea. Quelque part entre opéra contemporain, installation et performance, cette œuvre hybride évoque la crise climatique de manière saisissante via un dispositif original.
Situé sur une plateforme en surplomb de l’espace de représentation, le public est amené à tendre yeux et oreilles vers un paysage de plage a priori sans nuage. Bronzant, jouant, lisant, écoutant de la musique ou rêvassant, hommes, femmes et enfants y évoluent dans cette atmosphère de suspension légère propre aux vacances en bord de mer.
«L’idée première consistait à observer les humains comme des sortes d’insectes, souligne Rugilė Barzdžiukaitė. Idéalement, nous aurions aimé que le public puisse varier sa perspective, se rapprocher, s’éloigner. C’est pourquoi nous encourageons les spectateurs, même s’il n’y a qu’un seul niveau, à se déplacer durant la pièce, à être actifs, à varier l’angle, “zoomer” sur différentes parties de la plage».
Jaillissent alors, de certains des corps étendus, des chants –chœurs ou arias– qui viennent troubler la sérénité ambiante. Exprimant des pensées intérieures de nature et d’importance très variées, ils génèrent une narration à plusieurs strates et instillent une sensation croissante de malaise– comme une ombre fatale portée sur un tableau trop beau pour durer. «Il faut passer un peu de temps dans la pièce avant de commencer à faire attention au texte et à sentir la dimension apocalyptique derrière ce décor lumineux et optimiste», pointe Lina Lapelytè.
La (pas si) banale petite portion de terre ensablée sur laquelle se déroule l’action semble alors répercuter rien moins que le chant du monde, d’une amplitude profonde. Expérience de mise en abyme au cœur brûlant de notre temps, Sun & Sea tend à aiguiser la perception sensible que l’on a d’un lieu et de ce qui s’y trame, sous la surface des apparences. Plus largement se renforce ainsi l’attention –vitale– que l’on porte aux autres et au monde.
Après avoir illuminé la Biennale de Venise en 2019, où elle a valu à la Lituanie le Lion d’or récompensant la meilleure participation nationale, la pièce a été présentée depuis dans plusieurs pays. Elle peut se découvrir maintenant pour la première fois en France, à la Grande Halle de la Villette, en coréalisation avec la Philharmonie de Paris et le Festival d’Automne à Paris.