Comment est née l’idée de cette Symphonie africaine ? Dans quelle mesure fait-elle écho à votre album Sings (2015), enregistré avec l’Orchestre Philharmonique du Luxembourg ?
Symphonie africaine répond avant tout à mon désir de célébrer l’Afrique. C’est là que se situe la source première de mon inspiration, la matrice de mon ADN de musicienne. Je veux d’abord rendre hommage à toutes celles et tous ceux qui, avant moi, ont contribué à la richesse musicale du continent africain. J’ai le sentiment que nous vivons une époque où tout va trop vite, dans une sorte de dictature de l’immédiateté : nous n’avons pas le temps de penser vraiment à ce qui s’est passé avant. Ainsi, nous ne prenons pas forcément conscience que ce qui se fait aujourd’hui n’est pas né de rien, qu’il existe des précurseurs – en musique, par exemple – qui ont réalisé des choses fantastiques. Symphonie africaine met aussi à l’honneur des artistes de ma génération et d’autres plus jeunes. Cette création me permet d’exprimer à travers la musique le rythme de la vie, de la nature. C’est très important de maintenir une continuité d’une période à l’autre. Il faut connaître le passé pour pouvoir comprendre le présent et appréhender l’avenir. De la même manière, si l’on écrase ce qui se fait aujourd’hui, il n’en restera pas de traces et ce vide sera très préjudiciable pour les générations futures. L’idée d’une rencontre musicale intergénérationnelle constitue vraiment le cœur du projet.
Sur quoi se fonde la trame musicale ?
Ma famille est très métissée, j’ai grandi dans une culture musicale multiple. Si je suis musicienne aujourd’hui, je le dois à mes parents qui m’ont fait écouter des musiques de genres et de pays différents, m’ont transmis des valeurs humanistes, m’ont permis d’aller à l’école et de me construire librement, contre le poids des traditions… Je n’avais pas envie de faire une symphonie juste pour faire une symphonie, d’interpréter un répertoire sans substance profonde. Je voulais raconter une histoire à partir de mon vécu et de mon bagage musical. Je tenais aussi à parler des luttes menées par les artistes avec leur musique. Hugh Masekela et Miriam Makeba, par exemple, ont combattu l’apartheid. C’est pourquoi j’ai choisi d’intégrer en particulier la chanson « Nongqongqo » de Miriam Makeba, avec laquelle elle remercie ceux qui ont lutté pour la liberté, qui ont donné leur vie pour défendre leurs idéaux.
Pour les arrangements, vous avez travaillé avec le compositeur et producteur américain Derrick Hodge…
C’est le meilleur choix que j’aie jamais fait. Derrick a su traduire mes envies musicales de manière remarquable. Je voulais amener les chansons qui composent Symphonie africaine dans le monde moderne sans altérer leur identité ni perdre ce qui m’a touchée en les écoutant.
La création mondiale s’est déroulée à Lyon en juin 2024, pendant les Nuits de Fourvière, avec l’Orchestre national de Lyon. Depuis, le projet a aussi été présenté en Allemagne et aux États-Unis. S’agit-il à chaque fois du même programme musical ?
Oui. Les concerts en France – celui donné à la Philharmonie de Paris est le deuxième – sont les seuls où des invité.es me rejoignent sur scène pour interpréter avec moi certaines chansons. Ce sont des artistes très proches, avec lesquel.les j’avais à cœur de partager ces moments forts : Yael Naim, Lura et James BKS (le fils de Manu Dibango). Je considère Yael et Lura comme des sœurs dans un milieu, celui de la musique, encore beaucoup trop masculin.
Des chansons emblématiques d’autres artistes de votre génération ou de générations antérieures jalonnent le concert. Vous avez déjà parlé de « Nongqongqo » de Miriam Makeba. Pouvez-vous en évoquer quelques autres ?
Je commence avec « Lady » de Fela, un hymne féministe, pour célébrer les femmes africaines – et les femmes en général – et je termine par une autre chanson phare de Miriam Makeba, « Pata Pata », le premier tube de la musique africaine moderne. Il y a aussi « Soul Makossa » de Manu Dibango, un des artistes africains les plus importants dans ma vie musicale. Présent à mes côtés dès mon premier album, il a toujours été un soutien considérable. Je peux citer encore « Seven Seconds », une chanson de Youssou N’Dour (écrite et interprétée en duo avec Neneh Cherry dans sa version originale, NDR) dans laquelle il est question du moment où naît un enfant : à ce moment-là, il s’agit simplement d’un être humain qui vient au monde sans conscience de sa couleur de peau et de ce qu’elle représente.
Comment est représentée la nouvelle génération ?
À travers un medley de trois chansons de jeunes artistes du Nigéria : « Calm Down » de Rema, qui a remporté un succès planétaire, « Anybody » de Burna Boy et « Shekere » de Yemi Alade, une chanson chantée en duo par elle et moi. Il se passe plein de choses actuellement sur le plan musical en Afrique. Ça me rend vraiment heureuse.
Plusieurs chansons extraites de votre répertoire complètent le programme.
Par exemple « Malaïka », une de mes premières chansons, que ma maman adorait. Parmi les autres figure notamment « Afrika ». J’ai écrit cette chanson le dernier jour du XXe siècle. J’avais hâte d’entrer dans le XXIe siècle, de voir si nous allions enfin être capables de vivre ensemble avec toutes nos différences. En attendant, avec « Afrika », je voulais rappeler que l’Afrique – un continent dont la beauté n’a d’égale que la diversité – est le berceau de l’humanité. Nous venons tous et toutes des mêmes ancêtres.
Vous avez fêté récemment vos 40 ans de carrière. Ressentez-vous toujours autant de désir et de plaisir avec la musique ?
Ah oui ! Ma passion pour la musique est intacte, nourrie par ma passion pour les êtres humains.