Explorateur majeur de la scène électronique française, entré dans le grand bain musical au mitan des années 2000, Molécule – pseudo sous lequel navigue Romain De La Haye-Serafini – développe un processus créatif très particulier, loin des rivages ordinaires.
En 2013, il a embarqué sur un chalutier pour aller sonder, durant plus d’un mois, les eaux remuantes de l’Atlantique Nord. « Porté par le doux rêve de mettre en musique la tempête, je suis parti avec mes instruments et mes micros », se souvient-il aujourd’hui. À partir des enregistrements sonores réalisés là-bas, retravaillés avec la plus grande minutie, il a composé – entièrement in situ – des morceaux, dans la veine d’une électro atmosphérique proche de l’ambient, qui ont donné forme à 60°43’ Nord, album paru en 2015.
« Je suis revenu de ce voyage avec le sentiment d’être à ma place, de me trouver exactement là où je devais me situer, souligne le musicien navigateur. Depuis, j’ai remis en pratique ce processus artistique à divers endroits du globe. Les régions qui m’attirent sont celles où la nature est dominante. À Paris, où j’ai vécu pendant 25 ans, la nature est dominée. Je ressentais le besoin de me reconnecter avec elle. J’avais envie d’aller dans des territoires où l’on peut écouter et enregistrer les éléments naturels dans toute leur splendeur, presque virginale. Ces enregistrements constituent la source de mes compositions. Je les sculpte, édite, triture pour en extraire de la matière musicale. »
Au confluent de l’art, de la technologie et de la réflexion environnementale, son cheminement répond ainsi à l’appel du large autant qu’au désir de mener des expérimentations en profondeur sur le son. Après 60°43’ Nord, il a entrepris plusieurs autres voyages au bout de l’inouï. L’un de ces périples l’a conduit jusqu’au Groenland et a généré l’album -22.7°, lui aussi façonné entièrement in situ, sorti en 2018. S’y déversent dix plages très mouvantes et suggestives, aux pulsations rythmiques soutenues, plus proches de la techno que de l’ambient. Truffées de sons captés sur le terrain, notamment des craquements d’icebergs, des bruits de pas dans la neige, des bribes de voix humaines et des cris d’animaux divers, elles répercutent avec éclat l’immensité blanche dont elles proviennent.
« Les paysages du Groenland m’ont donné la sensation d’une intense beauté originelle, observe Romain De La Haye-Serafini. J’ai particulièrement été marqué par l’expérience du silence, par le constat que le silence véritable n’existe pas, même dans les lieux les plus reculés. J’ai aussi eu la sensation de découvrir un monde en voie de disparition, qui subit le dérèglement climatique de plein fouet et dont le mode de vie traditionnel – en connexion étroite avec la nature – est en train de se perdre. »
Dans le cadre du week-end Antarctica, qui nous entraîne vers l’autre cercle polaire, il propose une création inédite irriguée par cette aventure au cœur du Groenland. L’album -22.7° constitue ici la matrice d’une performance 100 % live, avec une part d’improvisation, qui requiert un dispositif hors norme : la salle est plongée dans le noir pendant presque toute la durée du concert (seuls quelques rares flashes lumineux viennent percer l’obscurité par instants) et l’artiste joue au milieu du public, lui-même entouré par un cercle d’une douzaine d’enceintes surélevées qui forment comme un dôme.
« L’idée consiste à proposer une expérience musicale collective, dansante et énergique, avec les dernières avancées en matière de diffusion du son en temps réel, explique Romain De La Haye-Serafini. Pour la première fois, je spatialise moi-même une partie de la performance. Je cherche à pousser le curseur technologique au maximum par rapport à l’idée d’immersion, afin que le public soit entièrement enveloppé par la matière sonore. » Frissons garantis.