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Thierry Escaich : « Le Fantôme de l’Opéra est une formidable source d’inspiration »

Publié le 05 février 2025

— Thierry Escaich - © Marie Rolland

Organiste virtuose et compositeur cinéphile, Thierry Escaich embrase Le Fantôme de l’Opéra de toutes les couleurs du grand orgue de la Philharmonie : sa bande son, improvisée au fil de la projection, dialogue avec le noir et blanc lumineux de Rupert Julian.
— Le Fantôme de l'Opéra — Rupert Julian (1925)

Quelle place occupe le film de Rupert Julian dans votre passion pour le cinéma ? 

Thierry Escaich

Le Fantôme de l’Opéra est l’un des premiers films que j’ai accompagnés lorsque j’ai commencé à donner des concerts. Pour avoir dialogué depuis avec presque deux cents films, je l’inscris aujourd’hui sans hésiter sur ma liste des dix films les plus passionnants. Le drame et la comédie y sont parfaitement équilibrés, le rythme s’y renouvelle sans cesse, sans aucun temps mort. La psychologie des personnages est aussi très travaillée, ce qui invite à éprouver de l’empathie pour le fantôme bien qu’il soit effrayant, et une certaine hésitation envers l’héroïne, qui joue un jeu ambigu entre le fantôme et son futur époux.
Enfin c’est un film que l’on peut lire à plusieurs niveaux, selon que l’on est sensible à cet Opéra de Paris fantasmé par les Américains et totalement reconstitué, à l’intrigue policière, à la trame amoureuse un peu compliquée ou tout simplement à la beauté de l’image.

Votre idée est-elle de donner des couleurs à ce film d’ombre et de lumière en lui donnant une musique ?

Il est passionnant de voir, lorsque l’on dialogue avec ce film, à quel point on peut aller loin dans le renouvellement musical. Il est certain que le noir et blanc magnifique de Rupert Julian incite à redoubler d’inventivité dans la création sonore. Or l’orgue, d’ailleurs joué par le fantôme dans le film, est l’instrument idéal pour cela, particulièrement celui de la Philharmonie : doté d’une immense palette sonore, d’une puissance capable de rivaliser avec un grand orchestre et d’une grande clarté rythmique, il offre une gamme de couleurs extrêmement riche pour le ciné-concert. Une autre direction m’est donnée par le film lui-même, qui se déroule durant une représentation du Faust de Gounod et en fait apparaître plusieurs scènes : cela m’invite expressément à y faire référence.

Fonctionnez-vous de façon thématique avec les personnages ?

La clé de l’improvisation, en ciné-concert, est de savoir réagir à un simple regard, à une lumière qui soudain change. On ne peut s’en tenir à une idée prédéfinie : il faut toujours s’adapter. Bien que je connaisse parfaitement le film que j’accompagne, je veille toujours à garder la capacité à être surpris par la force de l’image sur grand écran au moment du concert. Cette réaction, cette émotion du moment sont essentielles.
Pour revenir aux thèmes, ils permettent de donner une direction, d’installer des climats. Je les imaginerai dans les premiers moments de la projection et les garderai tout au long du film. On peut imaginer un motif du fantôme, qui sera récurrent sous diverses formes en fonction de l’évolution du personnage, et quelques thèmes cités ou inspirés de l’opéra de Gounod. J’adore ce travail de construction : le film est une formidable source d’inspiration, et dialoguer avec lui est un défi très excitant. On n’improvise bien, d’une certaine manière, que si l’on se sent un peu en danger.

Vous sentez-vous totalement libre de traduire votre propre regard sur le film ?

Un ciné-concert m’invite à m’emparer d’un film et à en livrer ma version musicale. Donner ma propre interprétation est donc fondamental. Improviser consiste pour moi à être interprète et compositeur : je dispose d’une trame et d’images qu’il me revient de mettre en musique comme je le ferais d’un livret d’opéra. Cela nécessite non seulement une concordance parfaite de la bande son avec l’image mais surtout une cohérence de mes interventions. Je dois parler avec l’image. Il s’agit d’un véritable dialogue.

Dans quelle mesure votre pratique d’improvisation sur l’image communique-t-elle avec votre travail écrit de compositeur ?

Les deux communiquent de façon très naturelle, particulièrement dans l’opéra, où ma musique essaie de suggérer des images, de créer une diversité de plans sonores. Je sais que cela vient du cinéma. J’ai un souvenir très précis d’une de mes improvisations sur Sunrise de Murnau, qui a donné le début de mon opéra Point d’orgue imaginé avec Olivier Py. Je sais aussi que j’ai intégré à des pièces symphoniques ou de musique de chambre des sons trouvés en ciné-concert. Les passerelles sont à double sens car ce que je recherche en tant que compositeur et mon vocabulaire nourrissent aussi mes accompagnements de films. Je voudrais faire autrement, je n’y arriverais pas.
 

Propos recueillis le 30 janvier 2025 par Claire Boisteau