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Une intégrale Louis Couperin par Jean Rondeau

Publié le 09 octobre 2025

— Jean Rondeau - © Clément Vayssieres

À l’occasion du 400e anniversaire de la naissance du compositeur, le claveciniste français propose quatre récitals sur des instruments du Musée, un concert en compagnie du Ricercar Consort de Philippe Pierlot et un moment musical dédié au jeune public.
— Entretien | Jean Rondeau, la musique de Louis Couperin

Louis Couperin, pour les clavecinistes et même pour le monde de la musique en général, c’est un compositeur essentiel, qui est mort assez jeune et qui pourtant nous a légué un répertoire assez prolifique. Pour le clavecin, c’est une période de l’histoire musicale, aux environs de la moitié du XVIIe siècle, où le clavecin devient central dans la vie musicale.

La porte d’entrée dans la musique de Louis Couperin, je m’en suis saisie très jeune enfant puisque le premier morceau de musique que j’ai joué c’était un petit prélude non mesuré de Louis Couperin. Et j’ai un souvenir très vif de ce moment où on accède à un morceau de musique quand on est jeune débutant en musique et qu’on se rend compte de la puissance émotionnelle que peut générer un assemblage de quelques notes, de quelques résonances.

Dans la musique de Louis Couperin, tout est surprise. À chaque coin de note, on peut vraiment se laisser surprendre par une importante inventivité, que ce soit en matière de couleur, de direction narrative. J’aimerais aussi préciser que dans sa musique il y a aussi une rigueur contrapuntique. C’est-à-dire qu’on va avoir une indépendance des différentes voix à l’intérieur de sa musique qui arrivent à se mêler ensemble avec à la fois une grande rigueur mais un grand génie. C’est vrai que j’ai été aussi fasciné par le traitement du matériel dans une écriture à la fois traditionnelle mais extrêmement inventive. Il y a aussi une forme très spécifique à Louis Couperin, qui est un peu héritière de la façon dont jouait le luth, que sont les préludes non mesurés qui sont une forme d’improvisation écrite et qui sont des sortes de cadences un peu ininterrompues. C’est vraiment Louis Couperin qui a été le compositeur majeur pour cette forme que sont les préludes non mesurés.

Les concerts de ce week-end à la Philharmonie de Paris accompagnent la sortie d’un événement discographique assez important puisque j’ai enregistré avec d’autres l’intégralité de l’œuvre de Louis Couperin, pour clavecin, pour orgue, la partie musique de chambre. J’en ai profité pour enregistrer aussi des compositeurs contemporains de Louis Couperin, que ce soit ses maîtres, ses disciples, ou les compositeurs qui ont été inspirés par son œuvre.

L’œuvre pour clavecin de Louis Couperin s’opère de la manière suivante : c’est un assemblage de danses que l’on peut composer en suite. Elles n’ont pas été « triées » par le compositeur. L’héritage qu’on en a ce ne sont pas des manuscrits de sa main propre, donc on a un puzzle à construire, ce qui est très créatif comme démarche. C’était assez excitant à la fois de construire les programmes des disques mais aussi des concerts, de mettre en miroir certaines pièces, d’utiliser les couleurs – à savoir les tonalités – pour les agencer entre elles pour essayer de construire un récit, une histoire qui captive. Il y a eu ces choix-là mais aussi des choix qui se sont faits évidemment en fonction des instruments qui vont être utilisés.

Il n’y a pas énormément d’instruments qui nous parviennent de l’époque de Louis Couperin, de son vivant. Ici, au Musée de la musique, on a le privilège d’avoir un instrument qui a été fabriqué par Joannes Couchet. Cet instrument c’est vraiment un des instruments les plus authentiques pour jouer la musique de Louis Couperin. Ce sont des instruments d’une grande qualité et qui nous permettent d’entrapercevoir un son, une esthétique pour lesquels cette musique a été écrite. Donc là il y a eu un choix de différents instruments : le clavecin Couchet qui est spécifique au temps de Louis Couperin, qui correspond tout à fait en matière de dates, et puis par exemple un instrument du XVIIIe siècle, comme le clavecin Hemsch, qui va avoir quasiment un siècle d’écart avec la musique de Louis Couperin donc c’est toute une autre approche, une autre conception par rapport à l’appréhension de la musique de Louis Couperin quand je vais la jouer sur ces instruments.

Louis Couperin a écrit principalement pour le clavecin, pour l’orgue aussi. Il a écrit aussi quelques pièces de musique de chambre, d’ensemble, notamment pour consort de violes. On sait que c’était un grand joueur de viole de gambe. La musique qu’il nous a léguée pour consort de violes de gambe c’est assez restreint, il n’y a pas énormément de pièces, mais c’est d’une puissance émotionnelle vraiment incomparable. Donc on a construit un programme autour de ces œuvres-là en mettent en miroir d’autres compositeurs contemporains de l’époque et même en réalisant quelques transcriptions de pièces de clavecin pour consort de violes.

Je trouve ça toujours assez excitant de raconter l’histoire du clavecin. Dès qu’il y a une porte vers la pédagogie, la transmission, la médiation, c’est toujours quelque chose que je souhaite saisir, et à l’occasion de ce week-end là ça me paraissait essentiel. Pour un concert jeune public, pour s’adresser aux enfants, c’est toujours assez facile avec le clavecin car c’est un instrument à la fois fascinant, très délicat aussi, dont il est assez aisé de produire un son. Quand un enfant s’essaie au clavecin tout de suite il va y avoir un retour de production sonore évident et facile d’accès. C’est un instrument qui s’accorde avec la maturité physique d’un enfant. Esthétiquement, visuellement aussi ce sont des instruments qui sont vraiment loin d’une standardisation et qui regorgent d’inventivité, de folie dans leur facture. Le clavecin est une belle porte d’entrée dans la musique.

« Je crois que ce projet est l’un des plus importants de ma vie de claviériste. D’une part pour son contenu prolifique, pour son extraordinaire richesse, et d’autre part pour la relation si forte et si juste qu’ont pu entretenir Louis Couperin et son œuvre avec le clavecin et avec l’orgue. […] "Parfait" : ce mot qui ne dit pas grand-chose quand justement il n’y a pas à dire, car il n’y a qu’à entendre, écouter la musique se faire, se déployer, s’offrir à nous. Et la jouer, et jouer avec. Avec humilité. » 

C’est ainsi que Jean Rondeau parle de l’aventure dans laquelle il s’est lancé ces derniers temps, à l’occasion du 400e anniversaire de la naissance de Couperin ainsi que des 10 ans de sa propre collaboration avec sa maison de disques. Dix heures de musique, sept instruments différents, dont plusieurs historiques, trois lieux et une tournée de concerts, certains en solo et d’autres avec la bande d’amis avec laquelle il travaille depuis des années. Pour en arriver là, le claveciniste s’est plongé dans l’étude des sources, et en particulier dans le deuxième recueil du Manuscrit Bauyn, relié durant la seconde moitié du XVIIe siècle, recueil grâce auquel un grand nombre de pièces de Couperin nous sont parvenues. Cette recherche musicologique qui tient parfois presque du jeu de piste a nourri son interprétation des œuvres, qu’il s’agisse des préludes non mesurés qui font la réputation de Couperin ou des suites de danses. Jean Rondeau s’enthousiasme : « Au sein d’un style nouveau et cadré, Couperin arrive à nous surprendre à chaque coin de mesure. Saisissante et intelligible, singulière sans nous déconcerter, sa musique apparaît avec pureté. Elle sait aussi toucher au travers d’une palette émotionnelle très large. » 

Jean Rondeau organise son exploration du répertoire pour clavier seul en quatre concerts au cours desquels il fait sonner les instruments du Musée de la musique : un clavecin Couchet réalisé à Anvers en 1652 puis transformé en France en 1701, un clavecin Donzelague de 1716 et un clavecin Hemsch de 1761. Le claveciniste donne aussi un concert accessible aux enfants à partir de 6 ans, où il partage sa passion pour l’instrument et raconte son histoire. Enfin, il est rejoint pour son dernier concert par le Ricercar Consort, fondé par le gambiste Philippe Pierlot, l’un de ses collaborateurs privilégiés, afin d’explorer le répertoire pour ensemble composé par Couperin.