Chacun peut s’être accordé tranquillement dans son coin, comme il se serait fait les ongles, pour qu’un ensemble sonne juste, il faut que tous les instruments soient accordés sur la même base. Cette base, c’est le la. Mais il y a la et la.
Entre le la du diapason (440 hertz, par convention, depuis le milieu du XXe siècle), celui du chef d’orchestre (variable), celui de chacun des instrumentistes (variable aussi) et celui des différentes époques de l’histoire de la musique (extrêmement variable), il y a un monde. La tradition veut que ce soit le hautbois qui mette tout le monde d’accord (certains disent que c’est parce qu’il est du genre plutôt stable, d’autres parce qu’il a peu de marge de manœuvre, d’autres encore parce que son timbre permet à chacun de s’y retrouver). À défaut, s’il est coincé dans le métro ou les embouteillages, on pourra se rabattre sur la clarinette.
Piiiiiiiinnnnnnnhhhhhhh…
Le premier hautbois se lève, donc, et joue fièrement son la. Si l’on veut éviter une interminable cacophonie, on procèdera méthodiquement : les vents s’accorderont les premiers. Certains d’entre eux préfèreront un si bémol pour des raisons qui restent obscures au reste de l’orchestre. Le hautbois le leur donnera parfois, dans un deuxième temps. Une fois les vents calmés, le hautbois brandira son la en direction du premier violon, qui accordera sa propre corde de la. C’est lui qui donnera le la aux autres instruments à cordes – il est toujours plus facile de s’accorder sur la base d’un timbre proche –, parfois en commençant par les violoncelles et les contrebasses. Tous les instruments à cordes ayant trituré leur la jusqu’à l’amener à la hauteur demandée, ils accordent, chacun dans son coin mais tous ensemble, le reste de leurs cordes en conséquence. Bon, ça, c’est la version dépliée, bien à plat. Dans certains orchestres, tous les musiciens s’accordent en même temps, sans pour autant qu’advienne le capharnaüm redouté. C’est un métier.
L’Orchestre Les Siècles s’accorde dans les règles de l’art :
Ça y est, on peut y aller ?
Ça se complique encore…
Notons qu’il s’agit là de cas simples. Les choses se compliquent dans le cas d’un concerto pour piano, par exemple. Le piano a été accordé avant le concert, il est trop tard pour revenir en arrière, c’est donc son la qui a raison, et l’orchestre s’accorde dessus. Tant pis pour le hautbois. Il nous est aussi venu aux oreilles l’histoire d’une soprano, à l’aigu sans doute un peu inquiet, dont le la était inscrit au contrat. L’orchestre s’est donc plié bon gré mal gré à la règle. Mais la chanteuse, finalement en pleine forme, a chanté plus haut que prévu. Et si les instruments à cordes, qui peuvent jouer plus haut à volonté, l’ont suivie, une bonne partie de l’orchestre est, elle, restée clouée à son la contractuel, et donc au sol.