Philharmonie de Paris - Page d'accueil

La renaissance des dessins techniques du Musée de la musique

Publié le 08 décembre 2022 — par Sabrina Valy

— Impression du dessin technique de la flûte à bec alto en sol [E.368] par Jean-François Beaudin (Paris, 1979) - © Laurent Sarazin

Basses de viole, flûtes traversières, guitare de Jean Voboam, tête de flûte à bec, clavecins de la famille Ruckers, théorbe vénitien de Matteo Sellas, archets : les Éditions de la Philharmonie rééditent soixante dessins techniques issus des collections du Musée de la musique, imprimés à l’échelle 1/1. Conjuguant art et artisanat, ces plans d’instruments dévoilent les richesses de la facture instrumentale et révèlent les secrets d’atelier.

Prolonger le geste artisanal

Dans les laboratoires des musées instrumentaux, les plans dessinés sont un outil précieux pour la recherche scientifique autour des collections : ils guident l’étude des instruments et sont utilisés pour la fabrication de fac-similés. Réalisés par les techniciens de restauration du musée instrumental du Conservatoire de Paris, les premiers plans d’instruments réellement aboutis datent du début des années 1970. L’engouement pour les instruments anciens — avec la remise en avant de l’original, notamment dans la musique baroque — encourage les musées à valoriser leurs collections instrumentales. Dans leurs ateliers, les dessins techniques se multiplient ; dans l’espace et dans le temps, le geste artisanal se prolonge.

Dès cette époque, la demande des facteurs d’instruments est croissante. Pour y répondre, la Société des amis du Musée instrumental (SAMI) commence à diffuser les « tirages » par photocopie des plans, puis assure la commercialisation des dessins techniques, en duplicata, créés par le Musée de la musique1 . Ces plans sont désormais imprimés sur papier et reproduits à l’échelle 1/1, fixant les proportions exactes de l’instrument : ils coïncident avec les besoins et les pratiques contemporains des luthiers et facteurs d’instruments, professionnels, amateurs ou étudiants. Ils les utilisent pour étudier le fonctionnement acoustique, s’exercer dans l’apprentissage de la lutherie ou réaliser leurs propres instruments, en copie ou inspirés d’instruments emblématiques des collections. Celle du Musée est l’une des plus importantes au monde, par son ancienneté, le nombre et la qualité des instruments qui la composent. Témoin de ce rayonnement, la majeure partie des commandes de dessins techniques proviennent de l’international — aujourd’hui encore.

La consultation fréquente des plans d’instruments à la Médiathèque de la Cité de la musique-Philharmonie de Paris témoigne de l’usage actuel de ces ressources matérielles qui à leur tour ont formé collection : consultables in situ, 1 250 dessins techniques, issus de la collection du Musée et d’autres institutions, peuvent être décalqués ou recopiés manuellement. Si cette collection est exceptionnelle, il en existe d’autres, significatives, conservées dans les musées européens et internationaux : au Royal College of Music et au Victoria and Albert Museum de Londres ; au musée des Instruments de musique de Bruxelles ; au Kunsthistorisches Museum de Vienne ; au Germanisches Nationalmuseum de Nuremberg ; et à la Smithsonian Institution de Washington, aux États-Unis.

— Dessins techniques d’une bûche des Flandres, d’une cithare et d’épinettes des Vosges [E.896], [E.1652], [E.447], [E.1829], [E.1627] et [E.1628] par Pierre Abondance, Pierre Jacquier et Michel Robin (Paris, 1978) - © Musée de la musique
— Dessin technique de la guitare [E.1411] par Pierre Abondance (Paris, 1982) - © Musée de la musique

Le plan dessiné : une interprétation de l'instrument

Comment sont réalisés techniquement ces plans dessinés ? À quel « style » de dessin ont recours leurs auteurs, qui sont avant tout des techniciens de laboratoires ou des conservateurs de collections, parfois d’anciens facteurs d’instruments ? Pour la réalisation de ces planches quasi « anatomiques » du corps de l’instrument, l’objet est exposé sur une table que côtoie une table à dessin industrielle, où le dessin est exécuté sur un support matériel : à l’origine, sur papier-calque ou Canson, avant que ne se démocratise l’emploi du film plastique Mylar, couramment utilisé en ingénierie. Au savoir-faire traditionnel du relevé manuel au compas, au stylo (de type Rötring) et à la règle se combine l’invention artisanale : il arrive que la prise de mesures d’un clavier soit faite à l’aide de règles télescopiques… Des patrons sont réalisés pour le tracé à l’encre des formes courbes.

Le plan de l’instrument dessiné n’est donc pas une reproduction exacte de sa réalité, mais une interprétation de l’instrument, qui va d’une simple esquisse à des dessins relativement complets, donnant une idée du volume de l’objet par la réplique de ses détails décoratifs. C’est le cas du dessin de l’archiluth vénitien de 1654 (E.546) fabriqué par Christoph Koch et interprété par Joël Dugot, luthier et ancien conservateur du Musée de la musique. Finement travaillées, les scènes pastorales dessinées dans les cartouches en forme d’ellipse sont des représentations de représentations. Certains dessins vont jusqu’à porter en eux un pouvoir d’abstraction. On le lit dans le plan de la table d’harmonie du clavecin Ruckers de 1618 (E.980.2.649) dessiné par Pierre Abondance, architecte de formation, dont la reproduction grandeur nature évoque un relevé géologique… Les plans dessinés peuvent être appréciés, au-delà de l’utilité pratique de la sphère professionnelle, pour leur valeur esthétique.

— Détail du dessin technique de l’archiluth [E.546] par Joël Dugot (Paris, 1997) - © Musée de la musique
— Détail du dessin technique de la table d’harmonie de clavecin [E.980.2.649] par Pierre Abondance (Paris, 1982) - © Musée de la musique

Comment reproduire un clavecin à l'échelle 1/1 ?

Depuis la cessation d’activité de l’Association des amis du Musée de la musique (SAMI), en 2016, les dessins techniques n’étaient plus réimprimés, devenant indisponibles au fil du temps. Pour répondre à une demande continue, soixante dessins techniques ont été numérisés, mis au net (grâce à un examen des surfaces pour nettoyer les éventuels scories et accidents dans les originaux) et réédités (par une réactualisation graphique du cartouche, où figurent certaines indications portées en légende). La reproduction à l’échelle 1/1 est un défi technique pour les plans des instruments de grande dimension, notamment les clavecins dont la taille peut atteindre 2,5 mètres de long par 1,3 de large. Le tirage de ces plans a été réalisé à partir de prises de vue haute définition, qui ont permis la numérisation, à taille réelle, des dessins des instruments et leurs détails. La restitution fidèle des images est rendue à l’impression par traceur numérique, d’une infime précision : les dessins se révèlent au fur et à mesure de la superposition de l’encre2 , qui sèche instantanément au contact du papier. Celui-ci, couché mat de 150 grammes, offre à l’usage des luthiers et des facteurs opacité et résistance. Et à l’œil et au toucher des amateurs de tels objets, il donne une sensation de relief du tracé.

Les plans dessinés imprimés à l’échelle 1/1 demeurent un outil prisé par les luthiers. De même que le livre imprimé résiste au livre numérique, les évolutions technologiques n’ont pas affecté la demande de plans d’instruments en papier, au profit de dessins ou relevés dimensionnels et géométriques numérisés (DAO en général). Dans la recherche, les dessins faits à la main ont peu à peu été remplacés par la photogrammétrie, une reproduction très précise en 2D, qui rejoue autrement la transposition des volumes en images.

Quelles conséquences suscitera la technologie nouvelle, comme la numérisation 3D, dans la réalisation des dessins eux-mêmes ? Ces progrès techniques pourraient-ils contrevenir aux règles de la propriété intellectuelle ou au contraire faciliter la fabrication, l’entretien et la réparation des objets ? Des instruments récents, comme les guitares du XXe siècle (Selmer, Torres, puis Fender ?), aujourd’hui absents des collections de dessins techniques, viendront-ils renouveler le corpus muséal ? Comment seront-ils représentés et pour quels usages ? Pour entretenir un rapport vivant avec les fabricants d’instruments, professionnels et amateurs, et avec les scènes musicales d’aujourd’hui, nous pourrions par exemple imaginer la production de plans de lutherie électronique (Martenot, Moog)… Par la rareté de ce type de documentation, ce public est acquis depuis longtemps au do it yourself et se forme ponctuellement dans des domaines pointus — électricité, électronique — pour pouvoir réparer ses instruments, les transformer ou en fabriquer soi-même, employant parfois la technique traditionnelle des plans dessinés. Envisagerait-on de réaliser, à l’échelle institutionnelle, les plans des circuits imprimés qui composent ces instruments-machines ?

— Calage de l’impression des dessins techniques chez CMJN (Saint-Michel-sur-Orge, décembre 2022) - © Laurent Sarazin

Sabrina Valy, Directrice des Éditions de la Philharmonie


Commander les dessins

Certains dessins techniques sont accompagnés d'une notice explicative.

  • 1Véronique Wiltz, « Les dessins techniques au Musée de la musique : bilan et perspectives », rapport d’étude, Musée de la musique, septembre 2017.
  • 2Il s’agit d’un système d’encre à séchage par lampe UV.