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Les instruments de l’orchestre : les bois

Publié le 20 février 2024

— Philippe Berrod à la maison Selmer - © Mathias Benguigui

Vu de la salle, l’orchestre symphonique semble aussi ordonné qu’un jardin à la française. Mais glissons-nous dans le talus des pupitres, en compagnie des musiciens de l’Orchestre de Paris, parfois de leurs luthiers ou facteurs. C’est toute une jungle de plantes rares que nous découvrons issues d’un artisanat de haute école, les secrets de leur taille, ceux aussi qui permettent à leurs musiciens jardiniers de garder leur niveau d’excellence et préserver leur santé !

La flûte, avec Vincent Lucas

Dans la petite harmonie, les flûtes traversières nous semblent familières, et pourtant, que de secrets à découvrir ! Vincent Lucas nous fait partager sa passion pour cet instrument. « Je peux remonter toute la généalogie de mes flûtes : un modèle d’étude, prêté par le Conservatoire de Clermont-Ferrand, une flûte King qui m’a permis de gagner le concours d’entrée du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris, puis une Emerson. J’ai à présent la chance de jouer une Muramatsu, flûte la plus prisée des professionnels. Au moins 85 % des solistes et musiciens en jouent. Elles sont fabriquées avec des matériaux différents : maillechort argent, argent massif, en or, 9, 14 ou 18 carats, et même en platine ! Les prix sont de plus en plus élevés, sans toutefois atteindre le prix des violons anciens. »

La fascination exercée par cet instrument en métal précieux agit aussi sur les compositeurs. Varèse a ainsi composé une pièce intitulée Density 21,5, faisant référence au platine dont la densité est proche de 21,5 grammes. « J’utilise toujours une flûte en argent, achetée il y a 33 ans en Allemagne, lorsque je jouais au Philharmonique de Berlin. Sa particularité est d’être accordée en 445, alors que la plupart des orchestres jouent à 442 hertz. Elle me permet de trouver un compromis idéal entre les flûtes en or et en bois et de produire un son si brillant qu’il peut émerger ou au contraire se fondre dans la masse. » « Mes petites manies ? Je ne me sépare jamais de ma gourde en concert : les quintes de toux sont nos pires ennemies, surtout dans une salle très sèche ou par grande chaleur ! Et bien sûr, ne jamais oublier son écouvillon qui permet d’essuyer facilement l’intérieur de la flûte. Imaginez quand nous soufflons pendant une heure durant les grandes symphonies de Mahler ! L’eau s’accumule et peut mouiller les tampons. Le petit remède ? Glisser par-dessous du papier à cigarette pour absorber l’humidité. Car vous l’aurez compris, notre cauchemar en concert est que les clés ne se ferment plus correctement et que le son ne sorte pas ! »

— Sébastien Fontaine réglant une clarinette - © Mathias Benguigui

Le hautbois, avec Alexandre Gattet

— Marigaux / Hautbois - La fabrication d'un hautbois

Mais d’où vient ce privilège de donner ainsi le la à tout l’orchestre ? Peut-être d’un handicap initial, répond Alexandre Gattet : « Quand les formations baroques et classiques se sont constituées, le hautbois était l’instrument le plus difficile à accorder ; toujours trop bas ou trop haut ! L’habitude s’est donc prise de s’aligner sur le moins souple. Voilà bien longtemps, toutefois, que la facture romantique, puis moderne, a résolu ce problème. Mais avec sa sonorité pénétrante et riche en harmoniques, le “haut-bois” domine facilement le brouhaha d’un orchestre entier en train de s’accorder. » La légende de l’instrument montre également le hautboïste tailler ses anches (petites languettes dont la vibration est essentielle à l’émission du son) avec amour, et les changer à la première occasion pour suivre le caractère des œuvres au programme. « Avec amour, rarement, sourit Alexandre. Avec lassitude, plus fréquemment ! Heureusement, l’arrivée sur le marché de anches déjà “grattées” comme celles fabriquées depuis vingt ans par la maison Berthelot, a permis à ceux qui le souhaitent de diminuer le temps autrefois consacré à cette occupation », souligne celui qui emploie une partie du sien à l’activité de « testeur de anches » pour l’enseigne française.

Il réfute par la même occasion la versatilité du hautboïste en concert à l’égard de ce petit accessoire essentiel à la vibration du son : « Une anche de secours dans la poche suffit généralement. Il faut vraiment passer, dans le même programme, des nervures classiques de Mozart à l’ampleur de Mahler pour que plusieurs modèles soient nécessaires. » Mais il confirme aussi l’activité frénétique déployée par le musicien en concert, même quand il ne joue pas, mais astique, ajuste, vide et scrute son instrument afin de conserver au son sa qualité et sa justesse : « Avec la condensation, les différences de température, l’eau risque toujours de boucher les trous. » Si les modèles ont peu changé en apparence au fil du dernier siècle, les musiciens mettent l’accent sur l’élévation spectaculaire de la qualité de la facture ces dernières décennies. Des facteurs comme Marigaux, en France, travaillent sur de nouvelles essences d’arbres et de meilleurs composites synthétiques. La famille des hautbois brille toujours également par la variété de ses tailles et de ses représentants aux noms poétiques : cor anglais, hautbois d’amour… « Nous sommes tous polyvalents, mais l’organisation du pupitre conduit les musiciens à une certaine spécialisation, explique Alexandre. Cela présente l’intérêt de répartir les solos parmi nous, ce qui est évidemment très motivant pour tous. »  

La clarinette, avec Philippe Berrod

— Selmer / Clarinette - Philippe Berrod fait réajuster sa clarinette

Quand Philippe Berrod donne rendez-vous chez Selmer, c’est un peu comme s’il recevait chez lui. Car le lien qui l’unit au célèbre facteur de saxophones et de clarinettes dépasse de loin celui entre client et commerçant. Depuis plus de dix ans, il apporte au fabricant son savoir-faire et son expérience. « Je suis testeur, résume-t-il simplement. Je donne mon avis et mes conseils, lorsque la maison souhaite créer une nouvelle gamme ou apporter des changements à un modèle existant. » Des conseils d’autant plus précieux s’agissant d’un instrument particulièrement sensible à la qualité des matériaux utilisés pour sa conception comme aux variations de températures, au sérieux de l’entretien, à l’usure du temps.

« Il existe différents modèles de clarinettes, certains plus adaptés à des répertoires bien précis, ou requis pour des œuvres particulières, indique Philippe. Les clarinettes en la et en si bémol sont les plus courantes, mais l’utilisation du cor de basset, de la petite clarinette en , ou de la petite clarinette en mi bémol, est parfois nécessaire. Il y a une bonne douzaine de variantes. » Et contrairement à un violoniste, un clarinettiste ne peut jamais avoir la certitude de conserver un instrument toute sa vie : « Une clarinette, même de bonne qualité, finit par s’user s’il n’y a pas de révisions régulières. Le bois se vide et se dégrade. Il peut se fendre en deux ou trois ans s’il subit des coups ou des chocs thermiques. Lorsque vous avez des clarinettes professionnelles, qui coûtent autour de 5 000 ou 6 000 euros, l’entretien est essentiel. Cela explique peut-être que beaucoup de clarinettistes nouent des liens forts avec leurs facteurs. » Ce jour-là, Philippe profite justement de sa présence chez Selmer pour échanger avec Sébastien Fontaine, expert, réparateur, mais aussi confident. Sa clarinette, un modèle Privilège, ne souffre pas trop aujourd’hui. « Elle a huit ans, mais elle est comme neuve car Sébastien la voit régulièrement, entretient le bois. Et les musiciens sont souvent anxieux ; parler avec lui permet de repartir rassuré, surtout avant une longue série de concerts. Il y a une complémentarité totale entre instrument, musicien, expert et technicien. » 

Le basson, avec Amrei Liebold

Le basson, au son riche et grave, est l’instrument de la petite harmonie qui semble le plus discret et pourtant, il contribue très fortement à l’identité de l’orchestre. Si fortement, que Daniel Barenboim, alors directeur musical de l’Orchestre de Paris, demanda au pupitre de changer d’instruments, et jouer, plutôt que le français, le basson allemand : le fameux Fagott. L’Orchestre de Paris fut donc le premier orchestre hexagonal à adopter le modèle d’outre-Rhin, tandis que la plupart restaient fidèles à la tradition nationale. « S’il est bien entretenu, un basson peut se garder beaucoup plus longtemps que les autres instruments de la famille des bois, souligne Amrei Liebold. De la multitude de modèles qui existaient autrefois, seuls deux sont encore joués dans l’orchestre moderne : les français en bois exotique (souvent de palissandre) et les allemands, tournés dans l’érable. Le Fagott allemand, développé par Heckel à partir de 1825, qui repense l’instrument, changeant notamment le diamètre de la perce et le système de clétage, a essaimé dans le monde entier. » Mais comment faire la différence à l’oreille entre basson français et Fagott ? « Par la couleur : le son chantant du basson français, sa légèreté dans le registre suraigu, sont magnifiquement représentés dans le Boléro de Ravel, mais surtout dans Le Sacre du printemps de Stravinski ! Les Fagott ont plus de rondeur dans les graves. C’est très enrichissant de pouvoir écouter les répertoires allemands et français avec l’instrument pour lequel ils ont été pensés. » Et l’arme secrète du basson ? « Les anches ! Vous pouvez les acheter ou les fabriquer vous-mêmes, c’est pourquoi vous nous voyez souvent affairés à tailler, couper, enrouler avec du fil de couleur. En plus de la boîte qui renferme les anches, nous avons des ciseaux, du fil, bref un vrai nécessaire à couture ! » Pour fonctionner, les anches doivent être humides : « Nous devons être vigilants à ce qu’elles ne s’assèchent pas, nous avons donc aussi un petit verre d’eau à proximité pour les tremper. »

  • Vincent Lucas, première flûte solo de l’Orchestre de Paris
  • Alexandre Gattet, premier hautbois solo de l’Orchestre de Paris
  • Philippe Berrod, première clarinette solo de l’Orchestre de Paris
  • Amrei Liebold, contrebasson solo de l’Orchestre de Paris