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Sanzamania : une collection de 300 lamellophones africains rejoint le Musée de la musique

Publié le 15 juin 2021 — par Alexandre Girard-Muscagorry

— Chantier des collections organisé autour des sanzas, 17-21 mai 2021 - © Elisa Borde

Le Musée de la musique vient d’acquérir près de 300 lamellophones (sanzas). Une collection exceptionnelle qui permet de redécouvrir cet objet sonore emblématique des musiques traditionnelles africaines.

«  Que tout mon temps s’enivre

de ton chant en graines de notes  »

Francis Bebey, « Sanza », préface au portfolio de Dominique Rousseau, Battez des mains, Daniel Cointe éditeur, 1981.

Le 29 avril 2021 marque un grand jour pour le Musée de la musique, avec l’arrivée de plus de 300 lamellophones africains, instrument plus connu en Europe sous le vocable de « piano à pouces » ou de « sanza ». Composé principalement d’exemplaires venant d’Afrique centrale, berceau du lamellophone, cet ensemble d’une diversité étonnante provient de la collection constituée par Françoise et François Boulanger-Bouhière. Ce couple de Bruxellois, passionné par les lamellophones, a ainsi réuni de façon méthodique la plus importante collection au monde en mains privées, comptant plus de 600 pièces.

— Vue de la collection de lamellophones au domicile des collectionneurs, Bruxelles, février 2020 - © Alexandre Girard-Muscagorry

Afin de préserver cet ensemble unique d’une dispersion sur le marché de l’art, un projet d’acquisition atypique a été pensé par le Musée de la musique et le musée des instruments de musique (mim) de Bruxelles afin d’acheter conjointement les 600 instruments et de les répartir équitablement entre les deux institutions. À l’issue d’un travail d’inventaire et de partage de longue haleine, la moitié des sanzas ont enfin rejoint le Musée de la musique.

— Partage de la collection de lamellophones entre le musée des instruments de musique (Bruxelles) et le Musée de la musique (Paris), 16 avril 2021 - © Simon Egan

Le lamellophone est sans aucun doute l’instrument de musique le plus emblématique d’Afrique. Apparu probablement au cours du premier millénaire de notre ère dans l’actuel Cameroun et dans la région du bas-Zambèze, au sud-est du continent, l’instrument s’est ensuite diffusé à travers toute l’Afrique centrale avant de gagner l’Afrique de l’Ouest, puis les Amériques à la suite de la traite des Noirs. La sanza présente une facture en apparence simple : des lamelles métalliques ou végétales sont disposées sur une table d’harmonie associée à un résonateur (en calebasse le plus souvent, mais aussi en bois, en métal, en carapace de tortue ou en noix de coco). Les lamelles reposent sur deux chevalets chargés de transmettre la vibration à la caisse de résonance et sont mises en tension au moyen d’une barre de pression. Derrière cette fabrication légère se cache un foisonnement de tailles, de formes, de matériaux, de décorations, que la collection Boulanger-Bouhière permet d’appréhender dans toute sa richesse.

— Exemples de lamellophones de la collection - © Elisa Borde

L’un des éléments les plus fascinants est offert par la variété des « enrichisseurs de timbre » — aussi appelés « bruiteurs » — qui ornent les sanzas. Graines d’arbustes, cailloux, coquillages, anneaux métalliques, pièces de monnaie, cocons d’araignées, perles de verre, capsules de bière, tessons de faïence, etc. Ces petits éléments, placés dans la caisse ou autour des lamelles, vibrent lorsque le musicien actionne l’instrument et permettent de produire des sons nasillards ou grinçants ou encore de rythmer la mélodie. Au même titre que le détournement de baleines de parapluies ou de rayons de roues de bicyclettes pour former les lamelles ou de boîtes de conserve afin de servir de résonateurs, ces enrichisseurs de timbre témoignent de la formidable inventivité des musiciens et de l’adaptation de leur instrument à la mondialisation et aux changements induits par la colonisation.

— Exemples d’enrichisseurs de timbre ornant certains lamellophones - © Alexandre Girard-Muscagorry et Elisa Borde

Décrite par le poète Henri Michaux comme un « instrument pour se soulager de tous les bruyants du monde », la sanza était en effet souvent jouée à des fins récréatives, pour s’occuper lors de déplacements ou de veilles nocturnes, se délasser après une journée bien remplie ou accompagner un conte ou des festivités. Toutefois, dans quelques régions, comme au Zimbabwe, l’instrument revêt une dimension rituelle lorsqu’il accompagne des cérémonies en l’honneur des ancêtres. Bien que la large diffusion de nouveaux instruments, comme la guitare électrique, dans la seconde moitié du xxe siècle, ait contribué à éclipser la sanza dans de nombreux pays, on assiste aujourd’hui à un regain d’intérêt pour cet instrument ludique et délicat, aussi bien en Europe qu’en Afrique.

L’arrivée de cet ensemble considérable à la Philharmonie de Paris offre de riches perspectives de valorisation musicale, pédagogique et scientifique. Afin de préparer au mieux leur nouvelle vie muséale, un chantier des collections réunissant élèves conservateurs, restaurateurs et régisseurs a été organisé durant une semaine, en partenariat avec l’Institut national du patrimoine et l’École du Louvre. Au programme : description, prise de mesures, évaluation de l’état sanitaire, dépoussiérage, photographie et réalisation de boîtes de stockage sur mesure pour assurer la meilleure conservation possible à ces instruments avant leur exposition prochaine dans le parcours du Musée de la musique.

— Chantier des collections organisé autour des sanzas, 17-21 mai 2021 - © Elisa Borde