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Au départ était Stonewall

Publié le 07 mai 2025 — par Patrick Thévenin

— Dupont’s Party (1977) - © Meryl Meisler

En 1969, une descente de police au Stonewall Inn déclenche de violentes réactions de la part des habitués à l’encontre des forces de l’ordre. Événement symbolique de la naissance de la culture LGBTQ+, les « émeutes de Stonewall » marquent l’apparition d’une nouvelle fierté gay et la création de groupes militants.

Nous sommes le 28 juin 1969, en plein cœur de Greenwich Village, au Stonewall Inn. Un bar du New York homosexuel sous la coupe de la mafia, comme souvent, et majoritairement fréquenté par des drag-queens, des transgenres, des gays des classes populaires ou des prostitués. Double salle, double ambiance, les gays dans l’une, les travestis (pas toujours bien vus à l’époque) dans l’autre. Un bar où les homosexuels chic ou au placard ne se rendent pas, car dangereux et mal famé. Cette fameuse nuit du 28 juin, la clientèle du Stonewall Inn fait face à une énième descente de la police, descentes qui se sont multipliées les semaines précédentes. Déjà meurtri par le récent décès de l’icône Judy Garland, dont la chanson « Over the Rainbow », extraite du film The Wizard of Oz, est devenue un hymne pour la communauté LGBTQ+, ce petit groupe de gays, de travestis et de trans refuse enfin cet acharnement policier et se rebelle. Les jets de pierre fusent, les coups de poing suivent, la pagaille s’installe, et c’est tout le quartier de Greenwich Village – dont les habitués des autres établissements gay – qui s’oppose aux forces de l’ordre. 

Les émeutes de Stonewall s’étendent sur plusieurs jours et vont marquer l’histoire des droits pour les LGBTQ+ aux États-Unis, puis par ricochets dans le monde entier, hissant au rang de modèles des activistes comme Marsha P. Johnson et Sylvia Rivera. Même si d’autres initiatives militantes ont eu lieu avant Stonewall, comme le rappelle avec ironie Dorr Legg dans l’ouvrage We Are Everywhere1 : « Ce n’est pas comme si depuis vingt ans des gays, des lesbiennes, des travs et des trans s’étaient mobilisés et avaient bossé dur, mettant en jeu leurs jobs et leurs vies. » Des changements que l’activiste américain Martin Duberman, auteur du livre Stonewall2, contextualise dans le magazine Times : « Il faut comprendre le contexte global des années 1960, et comment l’idée de la rébellion s’est imposée dans la société à cette époque, à travers la politique mais aussi la culture. C’était le début des mouvements féministes, les luttes des Noirs pour les droits civiques, l’assassinat de Martin Luther King qui a énormément marqué les esprits, même si paradoxalement cette décennie peut paraître très insouciante. C’est ainsi qu’on a commencé à réaliser que les Noirs avaient longtemps été considérés comme inférieurs, mais que désormais le slogan “Black is beautiful” s’imposait. Pour nous, les gays, méprisés pendant si longtemps, il était enfin temps de crier “Gay is beautiful”. » 

Stonewall fait du bruit et disperse les graines de la révolte et de l’émancipation grâce à plusieurs médias comme The Village Voice, qui couvre les émeutes. Quelques mois plus tard, des associations se créent, parmi lesquelles le Gay Liberation Front, qui construit un discours sur la visibilité, révolutionnaire pour l’époque, à l’opposé de celui de la Mattachine Society fondée en 1950 qui conseillait aux LGBTQ+ d’être discrets pour mieux se faire accepter. Un an plus tard, le dimanche 28 juin 1970, date anniversaire des émeutes, la première Pride se tient à New York après des mois de réunions, de discussions enflammées et tendues, entre gays, lesbiennes, travestis, transgenres et bisexuels. Baptisée Christopher Street Liberation Parade, elle réunit plus de deux mille personnes, qui remontent la Sixième Avenue depuis Greenwich Village, le quartier homosexuel de l’époque, jusqu’à Central Park sous le mot d’ordre « Come Out! » (Sortez du placard !). L’année suivante, en 1971, les Prides se multiplient, à Boston, Dallas, Londres, Paris et Berlin-Ouest. Preuve que la révolution est en route.


Catalogue de l’exposition :

Disco, I’m coming out, sous la direction de Patrick Thévenin, Paris, Éditions de la Philharmonie/Éditions de La Martinière, 2025.

Commander le catalogue

  • 1

     Matthew Riemer et Leighton Brown, We Are Everywhere: Protest, Power, and Pride in the History of Queer Liberation, New York, Ten Speed Press, 2019.

  • 2

     Martin Duberman, Stonewall, The Definitive Story of the LGBTQ Rights Uprising that Changed America, New York, Plume, 2019.

Patrick Thévenin

Journaliste, professeur et conférencier, Patrick Thévenin écrit sur la culture, qu’il s’agisse de musique, d’art contemporain, de mode ou de tendances sociétales. Il est conseiller scientifique de l’exposition « Disco, I’m Coming Out » (2025) à la Philharmonie de Paris.

Article extrait du catalogue de l’exposition Disco, I’m coming out, Éditions de la Philharmonie/Éditions de La Martinière, 2025.