L’enfance, la guerre, les partenaires musicaux, Dieu... À quelques jours du concert Ivry Gitlis & Friends, le grand violoniste israélien se confie.
Né en Israël de parents d’origine russe mais tzigane dans l’âme, Ivry Gitlis ne laisse jamais indifférent, tant son pouvoir de séduction opère instantanément. Œil malicieux, cheveux à la Léo Ferré, rien de ce qui est humain ne lui est étranger car l’amitié et les rencontres ont toujours été sa source inépuisable de vie. À l’approche de ses 96 ans, il garde au plus profond de lui-même ce don d’empathie que l’assistance perçoit d’emblée dès qu’il entre en scène.
Familier des violonistes les plus illustres (Bronislaw Huberman son mentor, Jascha Heifetz, David Oïstrakh, Yehudi Menuhin, Ruggiero Ricci), il n’a jamais cessé de parcourir le monde, curieux de tout ce qui l’entoure. Avec son Stradivarius « Sancy » de 1713 qui fait partie intégrante de son corps et plonge également au tréfonds de son âme, il creuse véritablement le ciel. Sa sonorité à nulle autre pareille est immédiatement reconnaissable, mélange de passion, de chaleur, de finesse qu’il traduit par une alchimie très personnelle. Par l’ardeur de son intonation, il porte sur les cimes tout autant la Sonate de Bartók que les concertos de Berg, Sibelius ou Stravinski, mais il sait se lover avec délices dans les viennoiseries de Kreisler (ces fameux Liebesleid, Liebesfreud) au tact et au charme contagieux. De l’École française et de sa fréquentation de Jacques Thibaud ou de Georges Enesco à Paris, il a conservé cette légèreté de touche qui convient si bien au bondissant Rondo capriccioso de Saint-Saëns ou à la Symphonie espagnole de Lalo, improvisés avec une intensité faite d’émotion pure et de générosité.
Un désir inextinguible d’absolu a interdit à cet artiste hors pair de livrer au public un enregistrement des 24 Caprices de Paganini réalisé en 1976 mais insatisfaisant à son goût. On a découvert depuis que son interprétation, sur le fil du rasoir, capable de toutes les prises de risques, pouvait se comparer à une coulée de lave au pied d’un volcan. Un tel engagement a même conquis des compositeurs comme Iannis Xenakis, Bruno Maderna ou René Leibowitz qui l’ont sollicité à plusieurs reprises pour créer certaines de leurs œuvres pour violon et orchestre.
Atypique au risque de désarçonner des musiciens académiques – comme il le fit un soir au Festival de La Chaise-Dieu dans le Concerto de Tchaïkovski face à un chef incapable de s’adapter à son jeu vibrant, libre et inventif –, Ivry Gitlis est non seulement le patriarche des violonistes, mais plus encore un éternel jeune homme à la recherche de l’inaccessible étoile. Il aurait pu se contenter comme nombre de ses collègues, une fois la célébrité acquise, de suivre un parcours balisé de virtuose international répétant à l’envi chaque grand concerto du répertoire. Son destin l’a amené, outre une carrière de soliste, à vivre des expériences plurielles. On le retrouve créateur et animateur du Festival de Vence où il sort des sentiers battus, invitant avec audace des artistes à se produire hors de leur domaine de compétence. Ce diable d’homme a en effet plus d’une corde à son arc, et sa recherche d’expériences plurielles l’entraîne là où nul n’attend un violoniste de sa trempe. On le voit aussi bien auprès des Beatles que des Stones dans les années 1968, qu’acteur à la télévision dans Les Enquêtes du Commissaire Maigret, au cinéma dans L’Histoire d’Adèle H. de François Truffaut ou encore interprète du Concerto pour violon de Vladimir Cosma dans le film La Septième Cible de Claude Pinoteau.
Dans la Grande Salle Pierre Boulez, le programme de musique de chambre « Ivry Gitlis & Friends » qui lui est dédié réunit des musiciens, toutes générations confondues, venus lui apporter la preuve de leur admiration et de leur attachement dans le cadre d’un partage fraternel.