Au sein de ses riches collections d’Asie centrale, le Musée de la musique conserve un ensemble unique d’instruments de l’Iran qadjar (1786-1925), parmi les plus anciens au monde. La cithare santur de cette collection a récemment fait l’objet d’une restauration qui lui a permis de retrouver son décor de nacre et d’os à l’aide d’un matériau de substitution naturel.
La collection d’instruments iraniens du Musée de la musique fut réunie par Alfred Jean-Baptiste Lemaire (1842-1907)
La position d’Alfred Lemaire, à la fois colonel, professeur et chef de musique militaire, et sa proximité avec la cour royale d’Iran, lui permirent de mettre en œuvre ce projet. Avant son entrée dans les collections du Musée, l’ensemble constitué par Lemaire fit d’abord escale à l’exposition d’Art Musulman de Paris en 1893. Cette manifestation avait pour objectif de donner à découvrir aux visiteurs les arts du monde musulman, encore méconnus en Europe, d’éveiller la même admiration pour ces pièces que pour les objets d’Extrême-Orient et d’enrichir les collections du nouveau Musée d’art musulman d’Alger et du musée du Louvre
La cithare persane, appelée santur, est un instrument trapézoïdale à 72 cordes métalliques tendues sur la table d’harmonie, reposant par groupe de quatre sur de petits chevalets mobiles appelés kharak’s ( “petits ânes ” ) qui permettent à l’instrumentiste d’accorder le santur pour le jeu. Mais c’est son décor qui fait du santur du Musée de la musique un objet unique. En effet, les motifs géométriques et floraux en incrustations de nacre et d’os sont très rares sur ce type d’instrument et attestent de son utilisation à la cour d’Iran. Nous comptons aujourd’hui dans les collections publiques européennes seulement cinq santur datant du XVIIIe et du XIXe siècle, mais l’exemplaire conservé au Musée de la musique est le seul à présenter un tel décor.
L'observation de l’instrument, les analyses scientifiques réalisées sur différents éléments (notamment sur les restes de cordes métalliques et les collages) ainsi que de nombreuses discussions autour de l’objet, nous ont permis de déterminer une partie de son histoire matérielle. Il est notamment désormais possible d’affirmer que l’instrument a bien été joué. C’est d’ailleurs probablement à la suite de son jeu répété que celui-ci s’est brisé au niveau du montant qui supporte les chevilles, et donc la tension des cordes. Cette partie, ainsi que la planche de fond de la caisse de résonance, ont en effet été remplacées. Cette intervention, réalisée avant l’arrivée du santur en France, semble lui avoir déjà fait perdre une partie de son décor.
Après de nombreux échanges avec nos collègues iraniens du Musée de la musique de Téhéran
Les morceaux de cordes anciennes encore présents autour des chevilles, qui ont une importance historique capitale pour la compréhension de la facture instrumentale des santur de l’époque qadjare, n’ont pas été retirés.
L’ensemble réuni par Alfred Lemaire représente indubitablement une grande richesse pour le Musée, constituant l’une des plus anciennes collections de ce type en Europe. Il forme également une source remarquable pour la compréhension des traditions instrumentales et musicales iraniennes ainsi qu’un témoignage historique considérable. La restauration de ce santur contribue, en ce sens, à la (re)valorisation de cette collection et de la trajectoire singulière d’Alfred Lemaire.