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La renaissance d’un setâr persan

Publié le 09 décembre 2022 — par Jérémy Davila

— Restauration d'un setâr iranien du XIXe siècle © Charles d'Hérouville
Parmi ses riches collections originaires d’Asie centrale, le Musée de la musique conserve un ensemble unique d’instruments de l’Iran qajar (1786-1925), parmi les plus anciens au monde. En 2022, un luth setâr de cette collection a fait l’objet d’une restauration fondamentale permettant de lui restituer sa forme initiale.
 

— Setâr n° E.1485 avant sa restauration - © Jérémy Davila

Le luth setâr, au cœur de ce projet de restauration, a appartenu à Alfred Jean-Baptiste Lemaire (1842-1907). Engagé comme musicien dans l’armée française en 1863, il est envoyé en 1868 en Perse où il acquiert rapidement d’importantes responsabilités au sein de la Cour. Devenu directeur général des musiques de l’armée persane, il compose le Salamati-ye Shah, l’hymne national persan de 1873 à 1909. Enseignant la musique au Dar al Fonum, école qu’il a lui-même créée, il collectionne également des objets, dont des instruments traditionnels persans. En 1893, une partie de sa collection est présentée dans l’exposition d’« Art musulman » organisée pendant l’Exposition internationale du progrès de 1893 au Palais de l’industrie de Paris. À l’issue de cette manifestation, vingt-et-un instruments de musique de Lemaire rejoignent le musée instrumental du Conservatoire de musique de Paris – l’ancêtre du Musée de la musiqueEn 2021, une cithare santur de la collection Lemaire a également fait l'objet d'une importante restauration au Musée de la musique. À ce sujet, voir Esther Jorel, « À la recherche du décor disparu d'une rare cithare iranienne », Magazine de la Philharmonie, 27 septembre 2021..

Le setâr est un luth d’Asie centrale présentant un manche élancé monté sur une caisse de résonance piriforme. Bien que le mot « setâr » signifie littéralement « trois cordes », ce luth en présente quatre. La quatrième corde est ajoutée à l’instrument au milieu du XIXe siècle par le célèbre musicien Moshtâgh Ali Shâh. Accordée à l’octave supérieure de la corde grave, elle permet de donner plus d’ampleur au son.

— Premier assemblage à blanc - © Jérémy Davila

— Comblement des lacunes principales - © Jérémy Davila

Sans doute complet au moment de son entrée dans les collections en 1893, l'instrument a pâti de l’histoire tumultueuse du musée instrumental du Conservatoire et se trouvait, avant sa restauration, dans un état très lacunaire : seul le manche fretté et cinq côtes de la caisse de résonance subsistaient. De façon à rendre sa lisibilité à l’instrument, le parti de restauration s’est orienté vers la réintégration structurelle de la caisse de résonance et son remontage au manche au moyen de la fabrication de la table d’harmonie et de trois côtes manquantes.

— Setâr n° E.1485 après sa restauration - © Jérémy Davila

Après avoir expérimenté plusieurs types de matériaux répondant tous à un cahier des charges strict, le bois de noyer a été retenu afin de concevoir les éléments de substitution pour les lacunes principales de la caisse de résonance. Ils ont été mis en forme par découpe et déformation et ont été assemblés à l’instrument au moyen d’une résine synthétique et de renforts internes. De la cire synthétique pigmentée a été employée afin d’obtenir une teinte et une matité satisfaisantes tout en permettant de distinguer, par une observation précise, les éléments de substitution et ceux d’origine.

Ayant désormais retrouvé sa forme, le setâr sera amené, dans les prochaines années, à être exposé dans le parcours permanent du Musée de la musique. Cette intervention participe d’un intérêt renouvelé pour la collection d’Alfred Jean-Baptiste Lemaire qui fait l’objet d’une importante politique de restauration depuis plusieurs années.


Je remercie Shadi Fathi, virtuose de setâr, et Farrokh Vahabzadeh, ethnomusicologue et joueur de dotâr, qui m’ont permis de mieux comprendre la culture dont le setâr persan est issu, dans son histoire et sa vitalité contemporaine.

Références :

- Victor Advielle, La musique chez les Persans en 1885, Paris, chez l’auteur, 1885.
- « Alfred-Jean-Baptiste Lemaire, un musicien français à Téhéran », Terre d’Iran, 28 septembre 2015.
- Babak Ershadi, « Les hymnes nationaux de l’Iran du XIXe siècle à nos jours », Téhéran, n° 139, juin 2017.
Exposition d’Art Musulman. Palais de l'industrie. Catalogue officiel, Paris, Imprimerie A. Bellier, 1893.
- Esther Jorel, Étude et conservation-restauration du santur persan E.1490 de la collection Alfred Jean-Baptiste Lemaire du Musée de la musique. Recherche d'un matériau de substitution naturel pour la restitution du décor de nacre et d'os, Mémoire de Master 2 Conservation-restauration des biens culturels, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, 2021, 122 p.
- Alfred Jean Baptiste Lemaire, Vatanam Vatanam (First National Anthem of Iran)
Hymne national d’Iran composé par Alfred Jean-Baptiste Lemaire d’après un poème de Bijan Taraghi.

 

Jérémy Davila

Titulaire d'un Master en conservation-restauration de biens culturels à l’École supérieure d’Art d’Avignon, Jérémy Davila est spécialisé dans la restauration d’objets en bois et métaux.